Renouveau du nucléaire : en finir avec l’ère du doute
Etats-Unis, Japon, Pays-Bas, France, etc. : l’énergie nucléaire est de retour dans les options de politique énergétique (voir page 20). Un retour à pas feutrés qui contraste avec les annonces tonitruantes de la filière sur la « renaissance » du nucléaire de la deuxième moitié des années 2000. Après l’hiver nucléaire post-Tchernobyl, des pays se mettaient alors à reconstruire et de nouveaux venus se lançaient dans la conquête de l’énergie nucléaire… Puis vint Fukushima, annonçant un nouvel hiver pour l’atome, sauf en Chine et en Russie qui poursuivirent tant leur recherche et leur développement de
L’heure n’est plus au face-à-face entre Etats nationaux et mastodontes
nouveaux réacteurs que leur expansion commerciale. L’heure était, à nouveau, au gel, voire à l’annulation, des projets quand il ne s’agissait pas tout simplement de sortir définitivement du nucléaire : l’Energiewende (la transition énergétique) allemande était à la mode…
La prudence de la filière nucléaire occidentale est sage. Par deux fois, elle a fait l’expérience de la versatilité politique face à l’émotion populaire après les accidents de Tchernobyl puis de Fukushima, quand bien même leur impact létal n’avait rien en commun. Elle gagnerait pourtant à se montrer à la fois plus ambitieuse et plus confiante dans son avenir. Il est temps pour elle d’en finir avec l’ère du doute : le contexte dans lequel se joue le renouveau du nucléaire en 2022 n’a rien à voir avec celui des années 2000. L’heure n’est plus au face-à-face entre Etats nationaux et mastodontes historiques de la filière, électriciens ou fabricants de technologie. Sous l’effet accéléré du changement climatique, les scientifiques sont maintenant de la partie, qui affirment haut et fort qu’il n’y aura pas de lutte pour le climat sans ambition nucléaire. Au-delà, d’autres acteurs font désormais partie de l’équation du renouveau nucléaire. Aux côtés des Etats et des acteurs traditionnels, le nucléaire civil est aujourd’hui devenu aussi l’affaire du monde de l’innovation, investisseurs dans les start-up et magnats de la tech.
Dans cette dernière catégorie, Bill Gates est évidemment emblématique : il investit sans discontinuer depuis 2008 dans le nucléaire de nouvelle génération avec Terra Power qui, soutenu par des crédits publics américains dans les années 2010, vise à restaurer le leadership américain à l’export en créant un nouveau standard. Depuis, Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, a rejoint le club des magnats de la tech investisseurs dans le nucléaire, dans la fusion pour sa part. Energéticiens et industriels électrointensifs sont désormais également de la partie, comme les collectivités locales. En Pologne, en parallèle du projet nucléaire classique de réacteurs de grande puissance porté par le gouvernement mettant en concurrence les acteurs traditionnels – EDF et Westinghouse notamment –, ce sont les industriels du secteur des énergies fossiles (ZE Pak, PKN Orlen), des groupes miniers (KGHM) ou encore des chimistes (Grupa Azoty) qui sont à la manoeuvre sur d’ambitieux projets de petits réacteurs modulaires.
Le vieux nucléaire monopolistique est mort ? Reste à construire le nouveau !
L’arrivée de nouveaux acteurs – politiques, économiques, financiers, académiques – dans le monde nucléaire n’est pas que la garantie d’une plus grande diversité technologique. Elle signifie davantage de concurrence pour les acteurs traditionnels qui doivent se remettre en question ; plus d’innovation, donc une abondance de projets, soit davantage d’options pour le politique qui a pu se sentir piégé par l’asymétrie d’informations et de connaissances face à des monopoles de droit ou de fait jouant de leur expertise technique. L’Europe affronte une crise énergétique dramatique qui résulte d’une suppression quasi-systématique des options de politique énergétique par aveuglement idéologique et naïveté, voire compromission géopolitique ; un secteur qui saura proposer des options vers une fourniture d’énergie abondante et décarbonée a tous les atouts.
Le vieux nucléaire monopolistique est mort ? Reste à saisir l’opportunité de construire rapidement le nouveau, au lieu de rejouer avec nostalgie les années 1970 à coups de planification énergétique ou de nationalisation d’EDF. La filière a besoin d’un nouveau contrat, pas d’une mise sous tutelle sur fond de discours aux accents pompidoliens. Laissons-la respirer l’air de la liberté et du grand large en échange d’une garantie de résultats scrupuleusement et régulièrement contrôlés. ✸