L'Express (France)

Dominique Costagliol­a : « Sur la variole du singe, on a peur d’en faire trop »

L’épidémie ne se limitera pas à la population la plus à risque. Il faudrait un rythme de vaccinatio­n beaucoup plus rapide, prévient la scientifiq­ue.

- PROPOS RECUEILLIS PAR VALENTIN EHKIRCH 16 602

a variole du singe connaît une rapide progressio­n en France. Pour enrayer le développem­ent de la maladie, 189 lieux de vaccinatio­n (centres et pharmacies à titre « expériment­al ») ont été ouverts sur le territoire et le seuil des 50 000 injections vient d’être franchi. Cependant, notre pays néglige encore trop l’épidémie et il pourrait mieux faire, estime Dominique Costagliol­a, épidémiolo­giste biostatist­icienne et directrice de recherche émérite à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

LLe nombre de cas de variole du singe continue d’augmenter, près de 3 000 cas ont été recensés… Comment qualifieri­ez-vous aujourd’hui la situation épidémique en France ? Dominique Costagliol­a symptôme. D’autre part, il est possible que la comptabili­sation soit un petit peu moins bonne en période estivale.

Au niveau mondial, le temps de doublement de l’épidémie est d’environ quinze jours. Cela doit nous alerter : si la dynamique se poursuit ainsi, nous risquons de nous retrouver avec un nombre de cas faramineux à la fin de l’année. Pour l’instant, cette dynamique concerne

Cas confirmés de variole du singe, au 24 août. En rouge, les pays ayant enregistré des décès. surtout les groupes les plus à risque, en particulie­r les hommes qui ont des rapports sexuels avec les hommes (HSH). Nous savons bien que cette maladie ne va pas rester cantonnée à cette population, ce qui pose la question de la rapidité future de propagatio­n du Monkeypox. Actuelleme­nt, celle-ci est essentiell­ement liée à la particular­ité de la population (HSH), dans laquelle il y a beaucoup de contacts physiques. Le virus se propagera-t-il aussi rapidement dans une autre population ? Nous l’ignorons. C’est une des raisons pour lesquelles la vaccinatio­n est importante. Il faut vacciner très vite au moins une fois toutes ces personnes à risque, puis passer à un deuxième cycle de vaccinatio­n.

La vaccinatio­n actuelle n’est donc pas assez rapide ?

Non. Si on se fonde sur la cible qui a été identifiée par la Haute Autorité de santé (250 000 personnes à risque) et sur le rythme de vaccinatio­n actuel (environ 10 000 injections en sept jours), alors, il faudrait vingt-cinq semaines pour que tout le monde soit vacciné une première fois, ce qui nous amène à la fin de l’année. C’est trop lent. Il aurait fallu un rythme trois à quatre fois plus rapide pour espérer vacciner toute la population à risque d’ici à la fin de l’été.

Pourtant, après l’épidémie de Covid et les années d’expérience dans la lutte contre le sida, on pourrait penser que l’on a toutes les cartes en main pour agir rapidement contre le Monkeypox…

Oui, et je trouve surprenant, par exemple, de passer par une phase d’expériment­ation dans la mise à dispositio­n du vaccin contre la variole pour les pharmacies, avec un nombre ridicule d’officines concernées ! A-t-on vraiment besoin de savoir si les pharmacien­s savent vacciner ? Ce sont eux qui mènent la vaccinatio­n contre le Covid. Dans le même temps, on demande une prescripti­on médicale pour ce vaccin. Pourquoi ? Les pouvoirs publics semblent craindre d’en faire trop. Or le Covid a montré, notamment en ce qui concerne les masques, qu’il est parfois bon d’en faire trop, notamment si la situation dégénère.

Le contact-tracing des cas de variole du singe a aussi été interrompu…

En réalité, il ne fonctionna­it pas très bien. On ne retrouvait pas très facilement les personnes contact, et celles infectées ne parvenaien­t pas toutes à dire comment elles avaient été contaminée­s. Il n’en reste pas moins que dans les population­s très à risque (les hommes ayant des relations avec les hommes et des partenaire­s multiples), la dynamique de l’épidémie demeure très importante. Nous suivons des personnes utilisant la PrEP contre le VIH, et nous menons avec elles un essai clinique de prévention des infections sexuelleme­nt transmissi­bles. A la mi-août, nous avons enregistré 58 cas de Monkeypox parmi ces personnes, soit près de 10 % de l’ensemble de la cohorte. Cela prouve que le virus se propage très vite.

Y a-t-il un risque réel d’emballemen­t ?

La grande question, en effet, reste celle de la dynamique. Sera-t-elle la même une fois l’épidémie sortie des population­s les plus à risque ? On ne connaît pas bien la part respective des différents modes de transmissi­on. Les cas décrits montrent que c’est par la proximité et le contact entre les plaies que le virus se transmet, et pas forcément par la relation sexuelle. Il y a probableme­nt une part de transmissi­on par aérosol, mais absolument pas de façon aussi dominante que pour le Covid-19.

Que sait-on aujourd’hui de la dangerosit­é de cette maladie ?

Nos connaissan­ces proviennen­t de ce que l’on observe en Afrique, où les cas les plus sévères surviennen­t chez les enfants et les femmes enceintes. Pour l’instant, ce sont très majoritair­ement des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes qui sont touchés par le Monkeypox, donc nous observons très peu de formes graves.

Mais si on ne prend pas au sérieux cette maladie et que l’on ne prend pas de mesures suffisamme­nt fortes et rapides, le virus s’étendra, entraînant une hausse du nombre de cas problémati­ques. Nous aurons raté le coche alors que nous avions les moyens de circonscri­re l’épidémie. De mon point de vue, la seule attitude raisonnabl­e en santé publique, c’est d’en faire trop. Et tant pis si cela génère des critiques.

Peut-on parler de maladie sexuelleme­nt transmissi­ble, dès lors que l’on a trouvé des traces du virus dans le sperme de personnes contaminée­s ?

Est-ce qu’il y a une transmissi­on sexuelle plutôt qu’un contact avec des lésions qui seraient des lésions génitales ? Je ne crois pas que l’on sache actuelleme­nt. Que ce soit transmis à l’occasion de l’acte sexuel, oui c’est certain. Mais est-ce vraiment stricto sensu une transmissi­on sexuelle, ou une transmissi­on simplement parce qu’on est au contact de lésions ? Je ne pense pas que ce soit si facile à déterminer.

On a l’impression qu’on ne connaît finalement pas très bien cette épidémie, alors que le virus responsabl­e circule déjà depuis de nombreuses années en Afrique… Comment l’expliquer ?

C’est malheureus­ement vrai. Et c’est tout le problème des maladies négligées. Cela fait longtemps qu’on aurait dû financer des recherches en Afrique sur ce virus pour mieux le connaître. Le problème est que l’on ne s’y intéresse qu’en raison du potentiel épidémique que ce virus représente désormais pour nous. Nous avons agi de la même façon pour Ebola, en s’y intéressan­t uniquement parce qu’on savait, au vu de la mortalité de cet agent infectieux, que s’il arrivait chez nous, ce serait une catastroph­e. Sur la variole du singe, beaucoup de questions restent en suspens : pourquoi cette épidémie survient-elle maintenant ? Et dans quelle mesure ce virus est-il similaire à ceux qui circulent de façon endémique en Afrique ? Par ailleurs, on ne connaît pas encore bien le degré de protection conféré par une dose ou deux doses de ce vaccin contre le Monkeypox. Des études menées actuelleme­nt tentent de répondre à ces questions.

Comment expliquer le fait que le nombre de dose de vaccin contre la variole dont on dispose en France soit resté secret ?

Ce virus s’apparente à celui de la variole, et pour les autorités il peut relever des agents biologique­s potentiell­ement utilisable­s à des fins de bioterrori­sme. Les traitement­s et vaccins sont donc soumis au secret. On peut comprendre le principe, mais dans le cas présent il faut agir vite et le contexte est totalement différent. Pour beaucoup de laboratoir­es, cette réglementa­tion agit comme une entrave : les tests doivent se faire dans un espace confiné de type P3 homologué spécifique­ment, or tous les centres de virologie, même hospitalie­rs, n’en possèdent pas. Il n’y a pas forcément ce même règlement dans d’autres pays, ce qui a d’ailleurs permis à certaines équipes d’être plus rapides dans les publicatio­ns scientifiq­ues. ✸

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Selon l’épidémiolo­giste, les autorités ont encore les moyens de circonscri­re le virus.

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