« On travaille toujours pour son successeur »
Revenons sur votre quinquennat. Rétrospectivement, on peut dire que la « politique de l’offre », c’est vous qui l’initiez, avec le pacte de compétitivité et le CICE. Votre mandat compte aussi la réforme Touraine sur les retraites et la loi El Khomri sur le travail. Même l’économiste libérale Agnès Verdier-Molinié…
[Plaisantant] Si ça va jusque-là…
… pointe, chiffres à l’appui, que vous êtes le meilleur élève des trois derniers présidents en termes de déficit public. Avez-vous le sentiment d’être un peu le Schröder de Merkel ?
Si Schröder n’avait pas l’image qui est la sienne aujourd’hui, je pourrais sourire de la référence [il rit]. D’une certaine façon, tout président travaille pour son successeur. Il agit pour que le pays avance. Les réformes qui sont menées nécessitent un temps long pour être appliquées et ne portent leurs fruits qu’après son départ.
Mais je ne revendique pas seulement la politique qui a effectivement amélioré l’offre et conduit, par-là même, à la baisse du chômage, mais a également réduit les déficits, limité la dette et assaini les comptes sociaux. Si ce bilan s’arrêtait là, certains pourraient me dire : « Finalement, vous avez été le bon élève de la classe et le dindon de la farce. Vous avez géré les affaires du pays – du capitalisme – au mieux. A quoi bon choisir la gauche si c’est pour simplement bien gérer l’Etat ? »
C’est ce que d’aucuns vous reprochent…
Ils se trompent. Nous avons aussi permis à 800 000 salariés qui avaient une carrière longue de partir en retraite à 60 ans, introduit des règles de pénibilité, assuré la couverture maladie par la complémentaire santé généralisée, ouvert le compte personnel de formation, mis en place le tiers payant. Et nous avons créé 60 000 postes dans l’Education nationale. Nous avons réduit les inégalités entre les revenus du travail et ceux du capital et renforcé la progressivité de l’impôt. Sans parler de la COP 21 et de nos lois sur l’énergie… Donc « en même temps », nous avons redressé l’économie et amélioré le sort de nos concitoyens. C’est ça, la social-démocratie : produire mieux et distribuer davantage. Bref. Nous avons oeuvré à la fois pour le bien commun et pour la répartition.
Il y a aussi la refiscalisation des heures supplémentaires, qui a durement marqué le début de votre quinquennat auprès des classes populaires…
Au début, il fallait faire des économies, celle-là était de trop. Elle se justifiait, théoriquement, mais elle a provoqué une perte de pouvoir d’achat chez ceux qui, précisément, avaient voté pour la gauche : les classes moyennes, les enseignants, les ouvriers… Je revendique la comparaison par rapport à ce qui est advenu après 2017 : baisser les impôts aujourd’hui, alors que nous avons une dette et des déficits élevés, c’est à la fois une incongruité et une injustice.
A gauche, certains vous accusent d’avoir « trahi ». Que leur répondez-vous ?
Ce procès est récurrent. Chacun y a eu droit depuis le Front populaire. Pour beaucoup, gouverner, c’est trahir. Je n’ai pas de compte à rendre à ces inquisiteurs qui, de toute façon, sont d’autant mieux placés pour juger qu’ils ne se salissent jamais les mains et préfèrent élever la voix. Quand j’ai déclaré au Bourget en 2012 « Mon ennemi, c’est la finance », je parlais de la spéculation, de la prédation, de la fuite devant l’impôt. Certains l’ont interprété comme une défiance envers les entreprises et m’ont fait le reproche de les soutenir avec le CICE et le pacte de responsabilité alors que ces mesures ont créé de l’emploi et sauvé de nombreuses PME et TPE. Quant à la finance, elle ne me pose pas de problème quand elle répond aux besoins des ménages et des investisseurs. C’est leur mission, et s’il y a une grande réussite de mon quinquennat, c’est bien la Banque publique d’investissement.
Que pensez-vous d’une taxe sur les super profits, beaucoup débattue ces derniers temps ?
Faut-il l’appeler ainsi ? Je ne sais pas. Mais nous disposons d’ores et déjà d’un outil qui s’appelle « l’impôt sur les sociétés ». Pourquoi ne pas relever le taux de cet impôt à partir d’un certain montant de bénéfices, sans entrer dans je ne sais quelle usine à gaz pour savoir ce qui est un super profit par rapport à un « profit normal ». Pourquoi proposer compliqué quand on peut faire simple ? Pourquoi refuser la contribution des plus hauts bénéfices et des patrimoines les plus élevés quand des sacrifices sont demandés à tous ?
En 2012, « Réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité de 75 % à 50 % à l’horizon 2025 » faisait partie de vos engagements. Vous avez initié la fermeture de la centrale de Fessenheim, ce qui aujourd’hui apparaît comme une erreur aux yeux de beaucoup. Où en êtes-vous désormais sur la question du nucléaire ?
En 2012, après Fukushima et la décision d’Angela Merkel d’en terminer avec les centrales, la pression était très forte – à gauche, et même au-delà – pour sortir du nucléaire. J’ai considéré que ce ne pouvait pas être la position d’un candidat responsable, et qu’il fallait plutôt réduire notre dépendance à l’égard de cette énergie en faisant monter la part des renouvelables. J’ai donc décidé de ne fermer que la plus vieille de nos centrales (Fessenheim) en même temps que nous devions ouvrir l’EPR de Flamanville. Depuis, du temps a été perdu, et EDF fait face à un immense problème de maintenance. Ma position est donc claire : nous devons absolument maintenir une part substantielle pour la production d’électricité par le nucléaire. A quel niveau ? De l’ordre de 50 % à l’horizon 2035, à condition que le renouvelable et que les nouveaux réacteurs fonctionnent. Enfin, il faut impérativement prolonger les centrales existantes. Or, à cet égard, l’état financier d’EDF est plus qu’inquiétant. La renationalisation n’apporte aucun argent frais ! Que va donc pouvoir donner l’Etat pour lui permettre, redevenue public, d’investir massivement dans le grand carénage ? C’est vraiment le sujet principal, car il s’agit de 150 ou 200 milliards d’euros à lever sur le marché. ✸