AU VENT MAUVAIS
pAr KAOUtHer ADImI. SeUIL, 272 p., 19 €. ✷✷✷✷✷
Septembre 1972, un premier roman algérien de langue arabe est célébré par tous : une vaste fresque qui relate les trajectoires mouvementées de deux habitants du village d’El Zhara, Leïla, jeune divorcée, et Tarek, berger rustre. Las ! Ce roman, écrit par un certain Saïd B., va pourrir la vie des fameux Leïla et Tarek, qui existent bel et bien – ils se sont mariés en 1945, ont eu cinq enfants et ont dû fuir El Zhara pour échapper à la morgue des villageois. « Si la littérature peut sauver, elle peut aussi être un vent mauvais », écrit Kaouther Adimi, qui a reconnu ses propres grands-parents dans les personnages si peu « travestis » de la fiction de Saïd. C’est cette histoire dans l’histoire que l’auteure de Nos richesses raconte dans son émouvant cinquième roman, marqué par le souffle de la révolte et de la liberté, mais aussi traversé par de multiples « vents mauvais », de celui du Sahara à ceux de la guerre, de l’exil et du terrorisme islamiste.
Enfants, ils étaient trois amis, Saïd, Tarek et Leïla : c’est cette dernière qui retient tout de suite l’attention. Mariée, à 15 ans, à un ami de son père, elle a osé le quitter, un bébé sous le bras ! Les frères de lait, Tarek et Saïd, eux, partent à la guerre au printemps 41, leur compagnonnage s’arrêtera là. Pour Tarek, à son retour, les épousailles avec Leïla, l’engagement auprès du FLN contre le colonisateur, les petits boulots à Alger (il est technicien sur le tournage de La Bataille d’Alger), le foyer Sonacotra à Paris… et pour Saïd, les études, l’écriture, et, tapie dans son coeur, la jalousie amoureuse. 1992, tout bascule encore, Saïd meurt, la guerre civile démarre, un énième vent mauvais s’abat sur le pays de Kaouther Adimi.