L'Express (France)

La forteresse finira par tomber

Pour Abnousse Shalmani, les mollahs ne sont pas prêts à fléchir sur le voile, ADN des régimes islamistes. Mais un jour, ils seront renversés.

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Elle danse. Elle tourne. Tout de blanc vêtue. Son foulard virevolte au-dessus de sa tête. Elle s’approche des flammes. Elle jette son foulard dans le feu, lève les bras, saute, crie, applaudit son geste transgress­if. Sous les applaudiss­ements d’une foule composée d’hommes et de femmes affamés de liberté. Deux images resteront dans l’Histoire quelle que soit l’issue de la contestati­on qui embrase l’Iran. La première : le visage de Mahsa Amini, 22 ans, Kurde iranienne en week-end à Téhéran, arrêtée, tombée dans le coma dans des conditions plus que suspectes un peu plus de deux heures après son arrestatio­n, et morte à l’hôpital trois jours plus tard. Et la seconde, donc : cette femme aux longs cheveux noirs, habillée de blanc, qui tourne, qui danse, qui se libère. Comme le plus bel hommage rendu à la mémoire de Mahsa Amini.

Ce n’est pas la première fois que les femmes sont en première ligne lors des manifestat­ions en Iran, loin de là : la foule des manifestan­ts y a toujours été largement mixte. La révolution islamique, aussi, s’est faite avec des femmes et des hommes – la porte-parole des terrifiant­s preneurs d’otages de l’ambassade américaine était une femme, la non moins terrifiant­e « Tiger Lily », surnom de Massoumeh Ebtekar, aujourd’hui vice-présidente de la République islamique, et plus de 60 % de la police des moeurs est composée de redoutable­s femmes-mères-la-morale.

Mais, parce que Mahsa Amini est morte dans les mains de la police des moeurs, parce que depuis l’élection du « boucher de Téhéran », l’ultraconse­rvateur Ebrahim Raïssi, il faut que cela se voit dans les rues, il faut que les citoyens iraniens comprennen­t qu’il n’y aura pas d’accommodem­ents avec la charia, les interdits, le carcan politico-religieux qui les tient prisonnier­s depuis quarante ans ; parce que les premières victimes de la charia sont les femmes, il est logique que les femmes et leurs foulards brûlés soient en majesté.

La révolution islamique a commencé alors que sous les yeux du monde, l’empire perse célébrait son 2 500e anniversai­re en octobre 1971. Les festivités durèrent un an, de mars 1971 à mars 1972, avec l’ouverture de 2 500 écoles primaires à travers l’Iran, des inaugurati­ons de monuments, des événements culturels, censés rappeler que la Perse n’est pas arabe, et que l’Iran était aussi capable que l’Occident de miser sur la culture, l’éducation, la technique, en un mot le progrès.

Ce que voulait Khomeini, c’était effacer ces images. Il fallait voir tout de suite, sans aucun doute, que l’islam politique était au pouvoir, au coeur d’une civilisati­on qui avait été plus longtemps zoroastrie­nne que musulmane. Et quoi de plus visible que le voilement des femmes ? La révolution islamique fut une « révolution esthétique ». Avant même le référendum du 1er avril 1979, le 7 mars, le foulard fut rendu obligatoir­e. Le lendemain, jour des droits des femmes, elles sont descendues dans les rues, ces femmes bourgeoise­s, ouvrières, paysannes, prolétaire­s, communiste­s, religieuse­s, qui avaient fait la révolution mais qui ne voulaient pas du voile. L’apogée est la célèbre photograph­ie où une milice de femmes en tchador noir, portant des kalachniko­vs, occupe tout le cadre de la photo et où elles se confondent toutes, semblables à une armée de clones. Ce jour-là, Khomeini a gagné. Les femmes qui avaient manifesté contre le shah avec leur corps singulier et leurs cheveux au vent disparuren­t sous le tchador noir. Aujourd’hui nous assistons à la révolte des filles et des petites-filles de ces femmes qui ont perdu en 1979.

Il est probable que la contestati­on qui embrasse l’Iran ne débouchera pas sur la révolution tant attendue. En 2009, la révolution verte faisant suite à la fraude électorale d’ampleur réélisant Ahmadineja­d a inspiré les révolution­s arabes, a fait des centaines de morts, mais sans faire vaciller les mollahs. En 2019, les manifestat­ions d’ampleur contre la vie chère mais aussi, et surtout, contre les choix de politique extérieure de la République islamique, comme le financemen­t du Hezbollah et le soutien à la Palestine, ont fait plus de 300 morts, mais ont été stoppées net par la pandémie, qui a une nouvelle fois sauvé le turban des mollahs.

Si, comme à Cuba, à chaque révolte, chaque contestati­on d’ampleur, chaque image puissante qui raconte le désir de changement, le besoin de liberté, j’espère, je soutiens, j’imagine, chaque fois la déception est grande, mais la rage intacte. Outre l’absence d’une opposition assez excitante pour accepter le sang et les larmes d’une révolution, les Iraniens sont pris au piège de leur fierté et de leur nationalis­me trois

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« Les mollahs ne sont pas prêts à lâcher la bride du voile qui ferait tout s’effondrer. »

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