L'Express (France)

MON CHER MARI

- M. P.

PAR RUMENA BUZAROVSKA, TRAD. DU MACÉDONIEN PAR MARIA BEJANOVSKA. GALLIMARD, 176 P., 18,50 €. ✷✷✷✷✷

Comment subsister lorsqu’on est une romancière macédonien­ne ? Soit une auteure d’un petit pays de 2 millions d’habitants, dont 20 % sont d’origine albanaise, qui compte parmi les plus pauvres d’Europe ? Une auteure, qui n’a, en outre, écrit que des nouvelles, genre peu prisé dans le monde, à l’exception de la sphère anglo-saxonne. Réponse : prendre pour agent le redoutable Andrew Wylie – celui de Salman Rushdie –, écrire de bons livres, et donner de sa personne. C’est ce à quoi s’adonne la pétulante Rumena Buzarovska, professeur de littératur­e américaine à la Faculté de philologie de Skopje, de passage à Paris pour évoquer Mon cher mari, son recueil de nouvelles sarcastiqu­es sur le couple, publié dans 16 pays. En fait, Rumena Buzarovska, 41 ans, revendique volontiers l’étiquette d’écrivain yougoslave. « Même si la Yougoslavi­e n’est plus depuis 1991, il existe une communauté littéraire yougoslave, dit-t-elle dans un anglais parfait, un état d’esprit partagé par beaucoup de Serbes, de Bosniaques, de Croates, de Slovènes. » Au diable les frontières, donc, et les divisions.

Reste que les onze narratrice­s de Mon cher mari sont toutes macédonien­nes et naviguent entre Skopje, la capitale, et l’arrière-pays. Leur point commun ? Leur soumission à des maris, souvent grotesques ou adipeux. Il y a Goran, au gros nez et au teint terreux, qui court les festivals avec sa poésie « exécrable » ; Zoran, que sa femme soupçonne, à raison, d’adultère et qui le prend en filature ; le gynécologu­e, qui essaie de se faire passer pour un artiste avec de déprimante­s peintures à l’huile, Jovan, qui empêche sa jeune épouse d’aller voir sa mère, pauvre et malade, par peur de la contagion… Tableau outrancier d’une société arriérée ? « La Macédoine est très patriarcal­e, confie la quadragéna­ire, et je voulais évoquer les façons sournoises et nocives dont les femmes sont encore traitées aujourd’hui. Pour autant, le livre a du succès un peu partout, notamment en Allemagne, en Italie et dans tous les pays d’ex-Yougoslavi­e ; les problèmes que je soulève sont universels, je pense. »

Rumena Buzarovska la féministe ne fait pas que brocarder le mâle dominateur ni mettre en exergue la lassitude des couples, elle aborde aussi le manque d’instinct maternel de certaines femmes, la méchanceté et l’insolence des enfants, l’avidité des fratries lors des succession­s, les affres de la vieillesse, le racisme anti-albanais et termine par un texte fracassant et drôlissime (Le 8 mars) mettant en scène une épouse infidèle souffrant d’une intoxicati­on alimentair­e. Bref, Mon cher mari confine au jeu de quilles.

Un carnage, oui, mais désopilant. Auteure d’une étude sur l’humour dans la littératur­e américaine et macédonien­ne à travers le prisme de la nouvelle, cette fan de Raymond Carver et de Lionel Shriver est elle-même pétrie d’esprit. On a hâte de découvrir son quatrième et dernier recueil (I’m Not Going Anywhere), consacré aux migrations et au complexe d’infériorit­é des population­s des Balkans envers les riches peuples de l’Ouest. Une thématique mordante, mais peut-être moins sujette à la fantaisie…

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