LES LIENS ARTIFICIELS
PAR NATHAN DEVERS. ALBIN MICHEL, 328 P., 19,90 €. ✷✷✷✷✷
Ce roman s’ouvre par un suicide, ce qui est toujours un moyen plaisant d’attraper l’attention du lecteur. Julien Libérat, pianiste raté, se jette par la fenêtre tout en diffusant les images sur les réseaux sociaux – ou comment réconcilier Icare et Narcisse. Qu’est-ce qui l’a conduit à commettre un tel geste ? Dans Les Liens artificiels, habile roman balzacien post-Facebook, Nathan Devers met en scène un autre personnage, le méphistophélique Adrien Sterner. Ce Sterner est une sorte de Mark Zuckerberg français, plus intello que l’original, influencé par L’Apocalypse de saint Jean et La Cité de Dieu de saint Augustin – tout arrive. Il a créé l’Antimonde, un métavers réunissant un milliard de fidèles à travers la planète. Dégoûté par son destin dans la réalité, Julien Libérat devient sous l’avatar de Vangel un poète provocateur dans le vent. Sterner se met à le sponsoriser et à le pousser, jusqu’à ce que les choses dérapent…
Nous avions déjà dit dans ces pages le plus grand bien des deux précédents livres de Devers, auteur précoce de 24 ans. Avec Les Liens artificiels, le voici sélectionné sur la première liste des prix Goncourt et Renaudot. Aussi inventif que drôle,il vient d’écrire le premier bon roman sur le métavers, et prouve que la littérature française peut suivre son temps avec esprit critique et modernité formelle. La satire sociale parvient encore à défricher de nouveaux territoires, et Houellebecq devrait saluer en Devers un digne héritier. Il est temps de se désinscrire de tous les réseaux sociaux et de lire ce livre dans la vraie vie.