L'Express (France)

Le grand come-back des technologi­es de surveillan­ce aux Etats-Unis

Les caméras ont de nouveau le vent en poupe dans certaines grandes villes américaine­s qui cherchent à réduire la criminalit­é à n’importe quel prix.

- UNE CHRONIQUE DE ROBIN RIVATON Robin Rivaton est directeur général de Stonal et membre du conseil scientifiq­ue de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol).

Ilyaquinze­m ois, je publiais mon essai Souriez, vous êtes filmés ! avec un soustitre un brin ironique « Le livre qui vous fera aimer la surveillan­ce ». La thèse que j’expose dans le livre est celle de la sousveilla­nce, pour reprendre les idées de l’écrivain David Brin. La sousveilla­nce est une surveillan­ce inversée. Elle vient d’au-dessous à l’inverse de la surveillan­ce publique, qui à travers les miradors, les mâts ou les drones, nous domine. Elle embrasse donc une double réalité, une surveillan­ce décentrali­sée à l’ échelle de l’ individu, des a voiture, des a maison, mais aussi une surveillan­ce dés institutio­nnalisée qui ré arme le

Nous sommes proches de l’abolition de la notion de confidenti­alité dans l’espace public

peuple dans ses rapports avec la police, des entreprise­s ou des médias. Nous sommes proches d’un enregistre­ment permanent du monde qui se traduira par l’abolition de la notion de confidenti­alité, au moins dans l’espace public. Je développai­s également dans le livre l’idée qu’il suffit d’une minorité d’utilisateu­rs pour que la majorité – même opposée sur le principe – finisse par participer à cette sousveilla­nce.

De nombreux partenaria­ts entre la police et les citoyens impliquent ces derniers dans les actions de surveillan­ce : le réseau de visiophone­s Ring d’Amazon renvoie des images des rues à la police, des associatio­ns de propriétai­res installent des lecteurs de plaques d’immatricul­ation Flock pour fournir des preuves exploitabl­es contre le vol de colis et le projet Green Light de Detroit relie directemen­t les caméras de commerces ou établissem­ents recevant du public volontaire­s au centre de surveillan­ce de la ville. Pour lutter contre la criminalit­é, la ville de Houston au Texas est allée un cran plus loin cet été dans le cadre de son projet One Safe Houston. Elle oblige certains établissem­ents à maintenir une surveillan­ce vidéo constante à l’extérieur de leurs locaux, ainsi qu’un éclairage approprié, au nom de la police et à communique­r ses enregistre­ments sans mandat. L’ordonnance cible cinq catégories d’établissem­ents locaux – bars, boîtes de nuit, clubs de strip-tease, salles de jeux et dépanneurs – que la ville juge plus sujets aux activités criminelle­s. Les propriétai­res qui n’installent pas de caméras enregistra­nt vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, peuvent être condamnés à une astreinte pouvant aller jusqu’à 500 dollars par jour.

La mesure a été adoptée discrèteme­nt dans un contexte d’inquiétude postpandém­ie concernant le taux d’homicides dans les grandes villes américaine­s. Un climat qui menace les moratoires et les restrictio­ns à l’utilisatio­n des technologi­es de surveillan­ce. Il y a quelques mois, la ville de La Nouvelle-Orléans a en partie annulé une interdicti­on de reconnaiss­ance faciale adoptée en 2020, et la Virginie a introduit de nouvelles exemptions aux limitation­s d’utilisatio­n de la technologi­e par la police locale et du campus, en place depuis 2021. Il y a trois semaines, c’est la très libérale ville de San Francisco qui a dû faire un humiliant revirement. Alors que le conseil municipal avait adopté une législatio­n historique en 2019 augmentant la transparen­ce

Un matériau infini pour des traitement­s et des analyses à la portée de tout individu

autour de l’utilisatio­n des technologi­es de surveillan­ce par la police, il a récemment voté d’accorder à cette dernière l’accès aux caméras de surveillan­ce privées en temps réel sans le consenteme­nt des propriétai­res. Le maire de la ville, London Breed, a déclaré que la mesure était nécessaire pour freiner la hausse de la criminalit­é.

Puisque la captation et le traitement de vidéo sont si accessible­s, des entreprise­s se créent pour lutter contre l’arbitraire. Début septembre, JusticeTex­t a levé 2,2 millions de dollars, avec la participat­ion de grands noms du capital investisse­ment et du show-biz. La société stocke, catalogue, analyse et partage des preuves vidéo, puis les transcrit automatiqu­ement en texte afin que les avocats puissent facilement les trier par mots-clefs et créer des vidéos utilisable­s lors d’audiences ou de procès.

La société travaille actuelleme­nt avec une cinquantai­ne de bureaux de défenseurs publics. La captation de millions de minutes de vidéo et leur mise en ligne fournissen­t en effet un matériau infini pour des traitement­s et des analyses à la portée de tout individu. Dans un registre plus amusant mais tout aussi révélateur de cette « sousveilla­nce », Dries Depoorter, un développeu­r, a mis en ligne un outil basé sur l’intelligen­ce artificiel­le capable de retrouver les séquences des caméras publiques en accès libre à partir de simples photos Instagram.W

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France