Sous-variants d’Omicron, la nouvelle menace
Dans la bataille entre le virus et notre immunité, le Sars-Cov-2 semble avoir repris une longueur d’avance, faisant craindre un hiver difficile.
Le Sars-CoV-2 serait-il en train de nous jouer un nouveau tour ? Depuis la fin de 2020, la même histoire se répétait encore et encore : un variant arrivait, chassait le précédent, et s’imposait avant d’être lui-même remplacé. Après la souche originale, Alpha, Delta, Omicron, puis BA2 et BA5 ont chacun relancé des vagues importantes d’infections. Mais, ces dernières semaines, les scientifiques observent une tendance inédite. « Pour la première fois, nous sommes peut-être en train d’assister à une modification du paysage épidémiologique, avec plusieurs sous-variants d’Omicron qui émergent, dont certains cohabitent à l’intérieur d’un même pays », constate le Pr Antoine Flahault, épidémiologiste et directeur de l’Institut de santé globale à l’université de Genève (Suisse).
BQ.1.1, BQ1, BA.2.3.20, BA.2.75.2, BF.7, BJ.1, XBB… C’est toute une ménagerie virale qui commence à faire parler d’elle. Comment expliquer cette soudaine profusion ? Par l’origine de ces sous-variants, très probablement. Alpha, Delta, Bêta, ou encore le premier Omicron, très différents les uns des autres, étaient apparus chez des personnes immunodéprimées. Incapables de débarrasser leur organisme du virus, elles lui auraient donné le temps d’accumuler beaucoup de mutations, au point de générer une nouvelle branche dans l’arbre généalogique du Sars-CoV-2. Rien de tel ici, où tous ces descendants appartiennent à la famille Omicron – la plupart viennent de BA2 ou de BA5. Cette fois, seule la très large diffusion du virus serait en cause dans ces évolutions : « Plus il circule, plus il a d’opportunités pour muter. Les modifications de son génome surviennent de façon aléatoire, mais ensuite certaines sont sélectionnées quand elles lui confèrent un avantage », explique T. Ryan Gregory, professeur de biologie évolutive à l’université de Guelph au Canada.
Dans une population déjà largement infectée et/ou vaccinée, le plus important pour notre minuscule ennemi consiste à réussir à contourner les défenses érigées contre lui. C’est ainsi que l’on retrouve de
« L’immunité acquise après une contamination ou une dose de rappel pourrait ne pas suffire »
façon récurrente chez ses nouveaux descendants des mutations « d’échappement immunitaire » : « Ce sont toujours les quatre ou cinq mêmes, seules ou en combinaison selon les sous-variants », confirme Etienne Simon-Lorière, responsable de l’unité de génomique évolutive des virus à ARN à l’Institut Pasteur. Les spécialistes parlent de « convergence évolutive » : « Les différents variants d’Omicron circulent un peu partout dans une population qui a développé des anticorps similaires, ce qui aboutit à la sélection des mêmes mutations d’échappement », explique le virologue Etienne Decroly, directeur de recherche CNRS à l’université d’Aix-Marseille.
Cette « soupe » de sous-variants, comme la surnomment les experts, représente en tout cas une menace claire. Une
équipe de chercheurs chinois a évalué les capacités du sérum de personnes déjà infectées ou vaccinées à résister à leurs assauts, et les résultats ne sont guère encourageants. « L’immunité acquise par la population après une contamination ou une dose de rappel pourrait ne pas suffire à conférer une protection large contre les infections », écrivent-ils dans leur étude disponible en prépublication (non revue par les pairs). Ils montrent aussi que la plupart des anticorps monoclonaux, précieux pour soigner les personnes infectées et à risque de faire une forme grave, perdent en efficacité, soit partiellement soit totalement. « Dans la course entre le Sars-CoV-2 et notre système immunitaire, le virus a déjà repris une longueur d’avance », résume le Pr Olivier Schwartz, responsable de l’unité virus et immunité à l’Institut Pasteur. Reste à savoir si ces nouveaux venus vont continuer à cocirculer, ou si l’un d’entre eux finira par écraser les autres. « Je ne me risquerai pas à prendre un pari. C’est comme demander à l’avance le résultat d’une course hippique : la tâche est aussi difficile pour le turfiste que pour le virologue », sourit Etienne Decroly. Avec un peu de chance, ces sous-variants pourraient même finir par disparaître, comme d’autres auparavant. A ce stade, ce scénario ne semble toutefois pas privilégié par les scientifiques…
Pour l’instant, ce nouveau bataillon de virus n’a pas encore débarqué en France. Chez nous, la vague actuelle est tirée par BA5, qui continue à se répandre parmi les personnes qui n’avaient pas encore rencontré Omicron. « A cela s’ajoute la baisse de l’immunité au fil du temps, qui se traduit par une augmentation des infections et des réinfections. Nous avons montré qu’après la troisième injection les sujets vaccinés perdaient leurs anticorps neutralisants contre BA.5 au bout de cinq mois », détaille Olivier Schwartz. La situation semble identique en Allemagne. « En revanche, on voit cette constellation de sous-variants commencer à augmenter aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou au Danemark », constate le Pr Antoine Flahault. Le nombre absolu de virus séquencés demeure toutefois encore trop faible pour en tirer des conclusions sur leur réel potentiel de diffusion. « On en saura plus dans quelques semaines », souligne Etienne Simon-Lorière.
Point positif, les trois doses de vaccin continuent de protéger contre les formes graves, quel que soit le virus. Sauf pour les personnes immunodéprimées ou très âgées, qui doivent absolument recevoir une nouvelle injection si la précédente date de plus de six mois (ou trois mois pour les plus de 80 ans). Mais entre l’absence de gestes barrière, la saison hivernale, une immunité déclinante dans la population et ces nouveaux sous-variants, toutes les briques paraissent s’assembler pour rendre les prochains mois encore très compliqués. ✸