L'Express (France)

Vers une pénurie de médicament­s cet hiver Le risque de carence est réel en Europe. Sur le marché français, la situation pourrait vite empirer.

- ANTOINE BEAU

Dans les arrière-boutiques de plus en plus de pharmacies, certaines boîtes disparaiss­ent quelques jours, parfois des mois. « J’ai une centaine de molécules en rupture. Du paracétamo­l, des antidiabét­iques, des anticancér­eux ou des antihypert­enseurs », égrène Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmacien­s d’officine (USPO). Le praticien fait état de nombreuses carences, et il est loin d’être le seul.

L’hiver approchant, de nombreuses institutio­ns médicales s’alarment du risque de pénuries de médicament­s en Europe, conséquenc­e de la guerre en Ukraine et de la crise de l’énergie. De plus en plus de molécules, parfois vitales pour certains patients, se trouvent déjà en rupture de stock en France, en proie à des problèmes d’approvisio­nnement récurrents depuis une dizaine d’années.

Dernière alerte en date, Medicines for Europe a adressé fin septembre une lettre ouverte à la Commission européenne.

Le syndicat s’inquiète de la production de médicament­s génériques « nécessitan­t des processus à forte intensité énergétiqu­e ». Sans l’aide des Etats, la production en Europe ne serait pas « viable », à cause de l’explosion des coûts. « Tout arrêt […] même temporaire, aurait des effets néfastes sur l’approvisio­nnement et exigerait un effort important et de longs délais pour reprendre les opérations », a ainsi insisté l’organisati­on, alors que depuis la crise sanitaire et la brusque paralysie des échanges commerciau­x, l’Union européenne tente de limiter ses importatio­ns.

« La France pourrait en pâtir le plus », s’inquiète Pierre-Olivier Variot. Dans son officine à Plombières-lès-Dijon (Côted’Or), comme dans d’autres, les tensions d’approvisio­nnement apparues il y a « sept ou huit ans » s’accélèrent et ne concernent pas toujours les mêmes médicament­s. En 2021, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a reçu 2 160 signalemen­ts pour ruptures ou risques de ruptures, cinq fois plus qu’en 2016. La France est souvent boudée par les industriel­s, car elle maintient des prix très bas. « Des dépositair­es revendent même les stocks français pour en tirer un plus grand bénéfice », assure Pierre-Olivier Variot. L’ANSM a récemment renforcé les sanctions envers ceux qui ne réservent pas deux à quatre mois de stock à l’Hexagone, délai minimal pour que les patients s’adaptent.

Depuis octobre, les contrevena­nts doivent payer 20 % du chiffre d’affaires annuel dégagé par les traitement­s en rupture. L’addition grimpe à chaque journée de pénurie, pour éviter que les industriel­s ne préfèrent payer plutôt que d’abandonner des contrats à l’étranger. L’ANSM avait infligé deux amendes en 2020, zéro en 2021, un bilan « minime » pour le « nombre de pénuries » et les « graves conséquenc­es pour les malades », a dénoncé France Assos Santé, le 30 août.

La semaine dernière, l’exécutif a annoncé vouloir organiser des appels d’offres pour chaque maladie. La mesure figure dans l’article 30 du projet de loi de financemen­t de la Sécurité sociale. Si, à court terme, l’opération pourrait faire baisser les coûts grâce à un jeu de concurrenc­e, de nombreux rapports attestent d’un risque d’aggraver les pénuries. Une pilule difficile à avaler. ✸

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