L'Express (France)

Grégoire Bouillier

- SAMUEL DUFAY

Nestor Burma à l’ère MeToo

En 1985, Marcelle Pichon, ancienne mannequin, se laisse mourir de faim pendant quarante-cinq jours et tient un journal d’agonie, où elle recense ses souffrance­s avec une précision clinique. Pourquoi ? Ce mystère hante depuis des décennies le narrateur, double romanesque de Grégoire Bouillier. En 2018, cet écrivain en pleine crise existentie­lle décide de se lancer sur les traces d’une femme qui lui inspire une étrange « empathie ». Il fonde alors une agence de détectives et accumule les indices. L’investigat­ion le ramènera, sans surprise, vers lui-même.

En faisant de la recherche autour d’un mystère biographiq­ue sa matière fictionnel­le, Grégoire Bouillier s’inscrit dans la lignée de Patrick Modiano (Voyage de noces, Dora Bruder) et de Philippe Jaenada (La Serpe). Son roman-fleuve alterne l’enquête sur la vie de Marcelle Pichon et les dialogues du détective avec son assistante, Penny, qui évoquent un Nestor Burma transposé à l’ère MeToo. Le récit est plutôt accrocheur, car habilement construit et parsemé de jolies citations littéraire­s. Dommage que le narrateur, sorte de Modiano cabotin, multiplie les banalités, au risque de lasser le lecteur le mieux disposé : « Pour la plupart d’entre nous, la grande affaire de sa vie, c’est d’abord soi dans le moment présent », « On le sait, les déterminis­mes sociaux […] pèsent fortement sur le destin des individus », « Nous vivons des temps de grande transition, qu’elle soit écologique ou sexuelle »… Le narrateur aurait aussi pu élaguer ses digression­s sur le patriarcat ou la crise sanitaire, comme s’il voulait à tout prix raccrocher à l’actualité cette quête des origines. Des scories qui n’ont pas rebuté les jurés des grands prix de l’automne. ✸

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