Grégoire Bouillier
Nestor Burma à l’ère MeToo
En 1985, Marcelle Pichon, ancienne mannequin, se laisse mourir de faim pendant quarante-cinq jours et tient un journal d’agonie, où elle recense ses souffrances avec une précision clinique. Pourquoi ? Ce mystère hante depuis des décennies le narrateur, double romanesque de Grégoire Bouillier. En 2018, cet écrivain en pleine crise existentielle décide de se lancer sur les traces d’une femme qui lui inspire une étrange « empathie ». Il fonde alors une agence de détectives et accumule les indices. L’investigation le ramènera, sans surprise, vers lui-même.
En faisant de la recherche autour d’un mystère biographique sa matière fictionnelle, Grégoire Bouillier s’inscrit dans la lignée de Patrick Modiano (Voyage de noces, Dora Bruder) et de Philippe Jaenada (La Serpe). Son roman-fleuve alterne l’enquête sur la vie de Marcelle Pichon et les dialogues du détective avec son assistante, Penny, qui évoquent un Nestor Burma transposé à l’ère MeToo. Le récit est plutôt accrocheur, car habilement construit et parsemé de jolies citations littéraires. Dommage que le narrateur, sorte de Modiano cabotin, multiplie les banalités, au risque de lasser le lecteur le mieux disposé : « Pour la plupart d’entre nous, la grande affaire de sa vie, c’est d’abord soi dans le moment présent », « On le sait, les déterminismes sociaux […] pèsent fortement sur le destin des individus », « Nous vivons des temps de grande transition, qu’elle soit écologique ou sexuelle »… Le narrateur aurait aussi pu élaguer ses digressions sur le patriarcat ou la crise sanitaire, comme s’il voulait à tout prix raccrocher à l’actualité cette quête des origines. Des scories qui n’ont pas rebuté les jurés des grands prix de l’automne. ✸