Olivier Dussopt : « Conditionner le versement du RSA, une vraie idée de gauche »
Retraite, assurance-chômage, formation… la plupart des grandes réformes de ce début de quinquennat sont sur le bureau du ministre du Travail.
Olivier Dussopt n’est pas un habitué des effets de manche ni des petites phrases assassines. L’homme est discret, bosseur, loyal, décrivent ses proches ; un peu trop bon élève, techno et terne, lancent ses adversaires. En attendant, à l’ombre des poids lourds et des « forts en gueule » du gouvernement, le ministre du Travail trace sa route. Et avance sur toutes les réformes dont il a la charge : retraite, assurance-chômage, formation professionnelle, France Travail, RSA… Avec un objectif final, le plein-emploi à la fin du quinquennat. Un pari osé.
L’horizon économique s’assombrit, et l’incertitude gagne les chefs d’entreprise en France et en Europe. Redoutez-vous un arrêt de la baisse du chômage ?
Olivier Dussopt Les derniers chiffres pourraient le laisser penser : le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité s’est stabilisé au troisième trimestre 2022. Néanmoins, le marché du travail reste très mobile et les opportunités d’emplois nombreuses. Malgré un environnement très mouvant, nous avons constaté au troisième trimestre une augmentation du nombre d’embauches, en CDI et en CDD (de plus d’un mois hors intérim), en progression de 18 % par rapport à la fin 2019. Donc ça me laisse penser qu’il y a des raisons d’être optimiste. Quand je dis ça, je regarde la réalité en face. On est dans un contexte inflationniste, de crise énergétique violente et d’incertitudes géopolitiques fortes. Les mois qui viennent ne seront pas tranquilles. Nous évoluons dans un environnement fait de phénomènes contradictoires. La France reste un pays où le taux de chômage (à 7,4 %), est toujours plus élevé que la moyenne européenne. Mais il n’y a jamais eu autant de tensions sur les recrutements avec 60 % des entreprises qui disent rencontrer des difficultés pour embaucher et 30 % qui nous disent même être limitées dans leurs capacités de production en raison de la pénurie de main-d’oeuvre. Raison de plus pour garder le cap.
Vous, l’ex-conseiller de Martine Aubry, trouvez-vous que notre système d’assurance-chômage en France est finalement trop généreux par rapport à celui de nos voisins européens ?
Oui, par certains aspects, mais pas tous. Depuis la réforme de 2019, le niveau de l’allocation est revenu dans la moyenne européenne. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas souhaité ouvrir la concertation autour du montant des indemnités. Notre système reste cependant généreux sur deux critères. Le premier est la durée d’affiliation nécessaire pour bénéficier de l’assurance-chômage. Le second concerne la durée maximale d’indemnisation. C’est l’héritage du chômage de masse que nous avons connu pendant des décennies. Mais ce système ne fonctionne pas : il devrait plutôt faciliter l’accès à l’indemnisation chômage en période de vaches maigres et le rendre un peu plus difficile en période de vaches grasses. Et là, c’est exactement l’inverse. C’est pourquoi nous allons instaurer une modulation dans les règles d’indemnisation en fonction de la situation de l’économie.
Justement, quelles règles de modulation souhaitez-vous mettre en place ?
Il y a deux familles de critères que la concertation nous permettra de déterminer. La première concerne les éléments permettant de qualifier la conjoncture du marché de l’emploi. Il nous faut des indicateurs réactifs à la conjoncture pour s’assurer que les règles seront protectrices quand le marché du travail est défavorable et incitatives lorsqu’il se retourne.
Et puis cette concertation devra décider quels paramètres de l’assurance-chômage doivent être modulés. Devons-nous maintenir six mois d’activité sur les vingtquatre derniers mois ? Faut-il augmenter le nombre de mois cotisés ? Je n’y suis pas spécialement favorable car beaucoup de jeunes entrent dans l’emploi par un CDD, et de manière assez spontanée, ce sont souvent des CDD de six mois. Mais est-ce qu’on peut imaginer passer de vingt-quatre à dixhuit mois pour définir la période de référence ? Enfin, la durée maximale est aujourd’hui de deux ans. Elle pourrait diminuer quand la conjoncture est bonne et à l’inverse, augmenter en cas de crise.
Dans le projet d’Emmanuel Macron, l’idée de conditionner le versement du RSA à une activité effective a fait couler beaucoup d’encre. Allez-vous aussi lancer ce chantier en 2023 ?
« C’est l’emploi des seniors qui permettra la réussite de la réforme des retraites »
C’est une des réformes les plus progressistes et, si j’ose dire, les plus de gauche du programme présidentiel. Parce que garantir un filet de sécurité à chacun, c’est essentiel, mais ça ne suffit pas : le RSA doit permettre de réinsérer vers l’emploi en incitant et en accompagnant. Or, regardons la réalité en face : les résultats en matière de réinsertion des bénéficiaires du RSA sont mauvais. Sept ans après la première inscription au RSA, 1 allocataire sur 10 seulement est en emploi stable. Cela s’explique par le fait que moins de 1 sur 2 bénéficie d’un accompagnement à visée professionnelle. Je le répète : il n’a jamais été question de conditionner le RSA à des heures de bénévolat en entreprises ou en collectivités locales.
Comme s’y est engagé le président de la République, nous allons commencer par expérimenter cet accompagnement intensif à l’échelle de bassins d’emploi. 43 départements nous ont dit être
intéressés. Nous en choisirons une dizaine qui débuteront l’expérimentation dès janvier.
Sur le terrain, entre Pôle emploi, les missions locales, les départements, les régions, c’est le bazar, non ?
Je ne veux pas dire que c’est le bazar parce qu’on parle d’abord de femmes et d’hommes qui sont ultra-motivés. Mais c’est une politique morcelée. Sur un même bassin d’emploi, pas loin d’une douzaine d’acteurs interviennent. Donc, oui, il faut mettre de l’ordre et de la coordination. C’est l’objectif de France Travail qui est avant tout une méthode et non une superstructure qui conduirait à l’embolie. Avec deux principes très forts. Le premier : tout doit être fait autour de l’usager qu’il soit demandeur d’emploi, allocataire de minima sociaux ou entreprise, avec à chaque fois un interlocuteur unique. Le second principe consiste à s’assurer de la qualité du diagnostic et de l’orientation. Aujourd’hui, cette phase de diagnostic est hétérogène et souvent trop rapide.
Alors que vous pilotez une réforme des retraites qui aboutira à un report de l’âge légal, comment faire en sorte que les entreprises jouent le jeu de l’emploi des seniors ?
L’emploi des seniors conditionnera la réussite de la réforme des retraites. Si on augmente l’âge légal de départ, mais que personne ne joue le jeu du maintien dans l’emploi des seniors, on perdra en partie sur l’assurance-chômage ce que l’on a gagné sur le régime des retraites. Plusieurs syndicats nous incitent à aller vers un index pour mesurer l’engagement des entreprises pour l’emploi des seniors et la préparation des fins de carrière. Les organisations d’employeurs préconisent des diminutions de cotisations. Ces pistes doivent être explorées. Il faut travailler sur toute une palette d’outils : les transitions progressives entre l’activité et le départ à la retraite, le renforcement de l’accompagnement des demandeurs d’emploi des seniors, la lutte contre les discriminations et les stéréotypes liés à l’âge, et surtout l’accès des seniors à la formation. Aujourd’hui, l’accès des plus de 50 ans à la formation continue est deux fois inférieur à celui des moins de 50 ans. C’est un mauvais calcul.
Vous avez annoncé récemment vouloir créer dans le projet de loi immigration un titre de séjour « métiers en tension ». Est-ce un cran supplémentaire dans une politique d’immigration choisie ?
Les idées que nous portons avec Gérald Darmanin n’ont pas pour objectif d’accroître ou de faciliter l’immigration en soi. Mais ce que nous souhaitons porter au débat, c’est une nouvelle approche, pragmatique et équilibrée, pour que le travail soit remis au coeur du processus d’intégration dans notre société.
Accompagner mieux et former davantage pour permettre un accès rapide à l’emploi des migrants qui s’installent régulièrement sur notre territoire, c’est surtout ça que nous cherchons. Et reconnaître un droit au séjour pour ceux qui sont installés, intégrés en France et travaillent depuis longtemps dans des secteurs en forte pénurie de main-d’oeuvre. Et il ne faut pas oublier l’autre aspect du débat : l’emploi de travailleurs clandestins doit être plus sévèrement sanctionné ; nous entendons créer une nouvelle amende administrative, qui serait appliquée à l’employeur autant de fois qu’il serait constaté d’étrangers employés irrégulièrement.
Finalement allez-vous renouer avec une forme de politique des quotas voulue en son temps par Nicolas Sarkozy ?
Je ne pense pas que les quotas d’immigration soient l’outil le plus adapté à la situation de notre pays. Ils ne sont d’aucun effet pour lutter contre l’immigration irrégulière.
Comment jugez-vous le climat social en France en ce moment ?
Ceux qui se plaisent à décrire un paysage social éruptif, prérévolutionnaire, se trompent. D’abord parce qu’ils sont souvent déconnectés des Français. Moi, j’adore recevoir des leçons « de gauche populaire » par une partie de l’échiquier politique, qui ne connaît de la gauche que ce qu’ils en ont appris dans leurs manuels de sciences politiques dans leur grande école au coeur de Paris.
Ensuite, parce que les derniers mouvements de mobilisation, qu’ils soient politiques ou syndicaux, n’ont pas eu le succès attendu par leurs organisateurs, c’est même le moins qu’on puisse dire. Les Français savent très bien les difficultés que nous traversons et savent aussi qu’un certain nombre d’efforts seront nécessaires pour garantir la pérennité de notre protection sociale. ✸