PAR YVES HARTÉ. LE CHERCHE MIDI, 152 P., 18,90 €.
Un tableau achevé en 1580 peut garder tout son mystère au xxie siècle. En 2014, le journaliste Yves Harté file seul à Tolède pour voir une rétrospective du Greco. Une oeuvre le frappe : Le Gentilhomme à la main sur la poitrine. Dans les souvenirs d’Harté, le modèle était un obscur notaire. Cette fois-ci, une nouvelle légende indique qu’il s’agirait en fait d’un espion flamboyant devenu ambassadeur au Portugal, un soldat blessé à la bataille des Trois Rois avant d’être réduit en esclavage un an par les Maures, un courtisan ayant perdu à la fois l’usage de son bras gauche et la considération du souverain Philippe II… Quelle version croire ? Harté décide de démêler le vrai du faux. Son enquête fait remonter un autre visage à la surface : celui de Pierre Veilletet, qui fut le mentor d’Harté quand ce dernier débutait. Dans les années 1970, ils sillonnaient l’Espagne ensemble, entre corridas et visites du Prado.
En traversant une Castille immémoriale, Harté repense à cet ami volontiers affabulateur, qui n’a pas eu la carrière à laquelle il aspirait, et dont la vie reste aussi nébuleuse que celle du gentilhomme à la main sur la poitrine. Un homme fantaisiste : tel était aussi le Greco, artiste déconsidéré de son vivant et flambeur désargenté qui se ruinait en s’achetant les couleurs les plus chères et en se payant un orchestre de chambre quand il travaillait – il peignait mieux en musique ! Ces trois destins donquichottesques qu’Harté juxtapose avec nostalgie et humour rappellent inévitablement Cervantès. Le coeur de l’Espagne battrait-il à Tolède ?