PAR ELENA B. MOROZOV. GRASSET, 521 P., 23 €.
Voilà un premier roman d’actualité, captivant, dense… intrigant aussi, car écrit en français sous un pseudonyme féminin typiquement russe par un mystérieux auteur qui connaît son sujet. C’est précisément le destin peu banal d’un petit gars de l’Oural, né en 1968 à Perm, que retrace ce thriller politicofinancier aux accents balzaciens : Grigori Yurdine, orphelin à 8 ans d’un ouvrier de la première usine de fabrication de câbles du pays, devenu un brillant étudiant à même de tirer habilement son épingle du jeu des privatisations. « L’URSS avait formé le bon élève, sa chute lui offrirait peut-être l’occasion de son ascension. » Une ascension phénoménale qui, en trente ans, verra « Grisha » se métamorphoser en magnat, milliardaire en dollars aux premières loges de la City à Londres – mais aussi à Moscou, New York, Paris. S’il a « conscience de passer pour un parvenu infréquentable qui sent l’argent sale » aux yeux de la haute société anglaise, ce bel homme brun, champion d’échecs, tranche avec les autres oligarques par ses fulgurances, sa détermination, sa discrétion.
Au-delà du portrait réussi de ce « drôle de Russe », entouré de personnages hauts en couleur, le roman déploie la fresque saisissante d’un monde qui bascule, de 1992 à 2020 : de la Russie post-soviétique à la mainmise de Poutine sur la Constitution, de la primauté des Etats à celle d’un libéralisme effréné, de la crise des subprimes à celle du Covid. Rythmé, porté par une écriture assez convenue mais fluide, Oligarque nous entraîne dans les arcanes des grandes banques d’affaires, des places financières survoltées, des antichambres du pouvoir et des officines privées. Quand l’art romanesque se conjugue au réalisme le plus édifiant.