Christophe Donner
La paix, la paix, la paix…
Vous avez eu raison de vous adresser à l’intelligentsia européenne à l’occasion de la Foire du livre de Francfort : « Faites tout ce que vous pouvez pour que l’on connaisse la terreur que la Russie impose à l’Ukraine, comme avant à la Tchétchénie, à la Géorgie, à la Syrie et aux pays africains… » J’ai senti que vous me demandiez, à moi aussi, ce que je faisais, pour arrêter ça. Rien. Trois fois rien. J’écris, c’est tout ce que je peux faire. Ecrire que vous avez eu raison de parler des gens qui, en Europe, sont encore prêts à « comprendre » la Russie. Vous mettez ça sur le compte d’un manque de connaissance, c’est gentil de votre part, car il s’agit en fait de l’aveuglement de ceux qui ne veulent pas voir. Ils ne le veulent pas parce qu’ils n’ont pas intérêt à le faire. Ils n’ont pas intérêt parce qu’au fond d’eux, et parfois même ouvertement, franchement, ils sont contents de voir ce qui se passe en Ukraine. Ils aiment profondément Poutine qui correspond à ce qu’il y a de plus brûlant en eux, la haine. Petite-fille du ressentiment et de la bêtise, côté maternel, de l’échec et de la jalousie, côté paternel, la haine est le sang de leur vitalité, le sel de leur orgueil, le carburant de ce qu’ils imaginent être leur indépendance d’esprit.
Ils sont fiers d’être minoritaires, convaincus d’avoir raison d’avoir tort. Ils jubilent d’être du mauvais côté, sachant que l’Histoire leur rendra justice puisque « Depuis les jours de Jean-Baptiste jusqu’à maintenant, le royaume des Cieux se prend par violence, et ce sont les plus violents qui s’en emparent », dit Matthieu l’évangéliste.
Dès lors, cher M. Zelensky, on ne sait pas comment leur parler, comment les convaincre, tant ils ricanent de nos arguments, haussent les épaules devant les preuves, puisant dans notre agacement le fiel de leur cynisme, et dans notre rage le venin de leur relativisme : « Oui mais l’Otan n’avait qu’à pas… » ; « Oui, mais Zelensky est un autocrate. »
Ilya quatre mois, après avoir craint d’ humilier les Russes, M. Macron s’est fait remonter les bretelles. Mais c’est plus fort que lui, il a remis ça, sautant sur sa chaise comme un cabri en disant : « La paix ! La paix ! La paix ! » Bien entendu, ça n’a abouti à rien, car plus personne ne l’écoute. Mais ça m’a rappelé une période que je n’ai pas connue et dont ne peuvent témoigner que des centenaires à la mémoire intacte. On avait alors à nos portes un exterminateur en pleine action qui accusait les Juifs des crimes qu’il était en train de commettre et qu’il s’apprêtait à répandre, à grande échelle. On le savait, c’était écrit, il n’arrêtait pas de le répéter, mais on continuait à vouloir traiter avec lui pour sauver la paix à tout prix. De ne pas vouloir humilier le peuple allemand. On se reprochait même d’avoir imposé à l’Allemagne l’humiliant traité de Versailles qui aurait été à l’origine de tous les malheurs. L’article publié par Paul Ricoeur dans Terre nouvelle en mars 1939 est un modèle : « J’avoue avoir éprouvé une véritable angoisse en lisant le discours de Hitler : non que je croie ses intentions pures, mais, dans un langage d’une belle dureté – j’allais écrire d’une belle pureté –, il rappelle aux démocraties leur hypocrite identification du droit avec le système de leurs intérêts, leur dureté pour l’Allemagne désarmée. […] Je le sais bien, Hitler ne songe pas du tout à organiser le monde sous le signe de la collaboration, mais lui au moins, parle du dynamisme de son peuple, et non du droit éternel… et puis il nous éveille à la mauvaise conscience. »
Demain, avec sa belle dureté, j’allais écrire sa belle pureté, Poutine balancera des bombes au sarin sur les villes qu’il n’aura pas réussi à conquérir. Les livres, les scénarios, les articles, les rapports, que vous nous réclamez n’auront pas pu l’en empêcher. Le mot chien ne mord pas plus que le mot paix calme le tyran. Seule la force vient à bout de la violence. ✸