L'Express (France)

Après les Dupond-Dupont, voici les Darmanin-Dussopt

Le ministre de l’Intérieur et celui du Travail ont noué une forte complicité, personnell­e et idéologiqu­e. A deux, ils vont porter la loi Immigratio­n.

- ERWAN BRUCKERT ET ÉRIC MANDONNET

Novembre 2008, dans une galaxie lointaine, très lointaine. Un autre espacetemp­s. Olivier Dussopt, jeune socialiste de 30 ans, benjamin de l’Assemblée nationale, soutient la motion de Benoît Hamon au congrès de Reims, en compagnie d’un certain Jean-Luc Mélenchon. L’élu ardéchois, ancré dans l’aile gauche du PS, est en croisade contre les dérives libérales du parti à la rose. Glisser vers la droite ? Une erreur. Pis, une infamie. Pendant ce temps, au coeur de ce que l’on appelait la région Nord-Pas-de-Calais, Gérald Darmanin, de quatre ans son cadet, commence à faire son trou, chez lui, à Tourcoing. Il évolue au RPR sous l’aile protectric­e de Christian Vanneste, dont il a été le directeur de campagne aux élections législativ­es et municipale­s, tenant d’une droite dure et condamné pour propos homophobes. Darmanin et Dussopt sont programmés pour se combattre à vie. Et pourtant.

Quatorze ans plus tard, ils se retrouvent au sein d’un même gouverneme­nt, l’un ministre de l’Intérieur, l’autre ministre du Travail, en binôme pour présenter le projet de loi Immigratio­n. C’est ensemble qu’ils consultent les responsabl­es des partis pour le nourrir. « C’est la magie du macronisme », nous soufflent ceux qui les pratiquent de très près, qui voient en eux le symbole du dépassemen­t politique, du « et de droite et de gauche », ou du « ni de droite ni de gauche » – ils s’y perdent encore. Depuis leur rencontre en 2017, lorsque Dussopt est nommé secrétaire d’Etat à Bercy sous la tutelle de Darmanin, alors au Budget, les deux hommes, malgré leurs styles opposés, ont noué une réelle complicité. Le mot amitié a même été lâché. « Lui et moi, c’est du sérieux », se gondole l’un des deux compères, pas le sarkozyste, l’autre.

Que peuvent-ils bien se trouver ? En réalité, la liste de leurs points communs est longue comme le bras. Tous deux ont grandi dans un milieu social populaire, sont diplômés d’un institut d’étude politique (IEP) de province, ont été élus locaux et petites mains pour des figures importante­s de leur parti… Au moment où le gouverneme­nt d’Edouard Philippe compte une tripotée de membres venus de la société civile, les deux se reconnaiss­ent en vrais politiques. Darmanin loue la précision de Dussopt, et Dussopt la liberté que Darmanin lui a accordée. « Quand je l’accompagna­is lors de réunions, on n’avait pas besoin de s’envoyer un texto pour se coordonner, il suffisait d’un regard », explique l’Ardéchois. Que de romantisme. « Ils se sont accordés sur le fait de s’épauler plutôt que de se mettre des bâtons dans les roues. On peut dire que ça a plutôt bien marché… », nous glisse l’un de leurs amis.

Mieux, ils se sont rapprochés dans les idées. Olivier Dussopt a bien changé depuis ses années hamonistes et aubrystes ; son passage par la case Manuel Valls, dont il a été le porte-parole à la primaire socialiste de 2017, l’a recentré. « Il est de gauche, mais ce n’est pas un gauchiste, résume Gérald Darmanin. Parfois même, il est plus à droite que moi, mais ne l’écrivez pas, ça va le gêner ! » Bien au contraire, ça l’amuse. La droite de l’ex-maire de Tourcoing, sociale, populaire – « ce n’est pas la droite de l’argent », souffle Dussopt – lui parle autrement plus que la droite libérale. Il en va de même sur le régalien. « Le progrès est le développem­ent de l’ordre », écrivait Auguste Comte ; Olivier Dussopt y souscrit autant que Gérald Darmanin.

Alors que l’Intérieur et le Travail ont pu être des ministères un brin désaccordé­s, les deux titulaires ont confection­né ce projet de loi Immigratio­n de concert pour l’ancrer dans le « en même temps » macroniste : dur dans les sanctions, facilitate­ur dans les opportunit­és, comme le sont les titres de séjour pour métiers en tension annoncés. « C’est vrai que le volet travail a marqué l’opinion davantage qu’on ne le pensait. Darmanin est plus à l’aise avec cette façon de faire qu’avec un texte purement régalien », dit-on dans le premier cercle d’Emmanuel Macron. Même si l’homme fort de Beauvau cherche à voir beaucoup de patrons afin de développer son réseau – et jouer sur plusieurs tableaux –, il a entrevu très tôt l’intérêt à reformer le duo. Loyauté et gain politique garantis, comme au bon vieux temps de Bercy. ✸

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Gérald Darmanin et Olivier Dussopt, sur les bancs de l’Assemblée nationale.

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