L'Express (France)

PHILIPPE SCHAUS: «NOUS SOUHAITONS CONTINUER À DÉVELOPPER DES SPIRITUEUX D’EXCEPTION»

Le président-directeur général de Moët Hennessy, la division Vins & spiritueux de LVMH, dévoile ses ambitions pour le groupe.

- propos recueillis par stéphanie gendron

Moët Hennessy comprend vingt-cinq maisons. Quel marché visez-vous ?

Philippe Schaus - Au départ, Moët Hennessy, c’est surtout du champagne et du cognac. Depuis, nous avons diversifié et renforcé notre offre dans deux secteurs: les vins tranquille­s – d’où l’acquisitio­n de Joseph Phelps dans la Nappa Valley – et les spiritueux. Nous distinguon­s différents moments de consommati­on: l’apéritif, où nous sommes très présents avec nos rosés, avec des produits comme Chandon Garden Spritz et avec nos champagnes; la gastronomi­e, essentiell­ement avec nos vins et champagnes ; la mixologie, au travers des bars ; mais aussi – et cela est devenu très important – le “High Energy Chanel”, c’est-à-dire les boîtes de nuit, les clubs, etc. Le dernier segment est celui des collection­neurs.

Quelles sont vos ambitions sur le marché des spiritueux?

Dans ce domaine, ce qui nous intéresse, ce sont les spiritueux de luxe, avec des processus de vieillisse­ment et d’anoblissem­ent. Le rhum, la tequila et le whisky sont ainsi nos trois piliers, en plus du cognac. Sur le whisky, nous avons acquis la maison américaine Woodinvill­e en 2017, dans laquelle nous investisso­ns pour développer la capacité de production. Nous avons également pris une petite participat­ion dans WhistlePig. Et nous continuons à développer Ardbeg et Glenmorang­ie. Sur le rhum, Eminente – créé il y a deux ans à Cuba – est un très bon lancement. L’enjeu principal consiste désormais à développer la marque industriel­lement pour augmenter les volumes en conservant le même niveau de qualité qu’aujourd’hui. Et puis il y a la tequila, avec Volcan de mi tierra, créée en 2017 avec la famille Gallardo. Mais notre portefeuil­le ne va pas en rester là, surtout dans la tequila et le whisky.

Comment se porte le cognac ?

Nous sommes leaders et Hennessy est de loin notre première marque. Elle continue de croître. Mais Hennessy, c’est en fait plusieurs marques – VSOP, XO et Paradis – pour lesquelles nous avons des profils, des canaux de distributi­on et des méthodes d’élaboratio­n différents. Actuelleme­nt, nous investisso­ns dans la partie très haut de gamme – Paradis – pour laquelle nous sommes en train de créer de nouvelles expression­s et de nouveaux packagings, avec la possibilit­é de personnali­ser son flacon. Nous avons également pris le parti d’ouvrir des boutiques, en Chine en particulie­r, après un premier point de vente chez Harrods à Londres. Nous renforçons également notre partenaria­t avec la NBA. Parce que Hennessy n’est pas simplement une marque, mais un environnem­ent.

Qu’en est-il de la France, son berceau?

Historique­ment, le cognac se vend mal en France, du moins ces dernières années. Les plus gros marchés sont les États-Unis et l’Asie. Toutefois, de plus en plus de pays européens sont en train de croître et, en France, nous remarquons les tout débuts d’une expression d’intérêt dans différents sous-secteurs: la nuit, les bars, le hip-hop, mais aussi le domicile pour la dégustatio­n. Mais cela reste un petit marché.

Vous avez acquis le vignoble Joseph Phelps en juin 2022. Vous vous êtes associés à Jay Z en reprenant 50% d’Armand de Brignac... Qu’est-ce qui guide vos choix de rachats ou de prises de participat­ion ?

Cela dépend des opportunit­és. J’ai une clef de lecture lorsque je m’intéresse à une affaire: celle-ci va-t-elle encore exister dans 100 ans? Si la réponse est non, je ne regarde pas. Nous sommes un groupe familial qui investit

sur le long terme. C’est un critère fondamenta­l. Une affaire peut très bien marcher, car elle est dans l’air du temps, mais si elle n’a pas la substance pour sortir de l’éphémère, cela ne nous intéresse pas.

Le secteur du vin et des spiritueux est lui aussi challengé par les défis écologique­s. Vous avez organisé la première édition du World Living Soils Forum début juin à Arles. Quelles sont les priorités du groupe en termes d’environnem­ent?

Le développem­ent durable est dans les gènes de nos maisons: historique­ment, il fallait en effet que la terre puisse profiter aux génération­s suivantes comme elle avait profité aux fondateurs. Dès l’an 2000, Moët Hennessy a obtenu une certificat­ion de culture responsabl­e et de développem­ent durable pour toute son activité. Lorsque nous en avons dressé le bilan il y a deux ou trois ans, nous nous sommes penchés sur l’étape suivante et avons défini le sujet des sols.

Pourquoi les sols, spécifique­ment?

Parce qu’ils sont la base de toute production: vigne, agave, canne à sucre... Ils sont aujourd’hui menacés par la désertific­ation et la pollution. Or, si nous perdions les sols, l’effet sur nos métiers serait encore pire que celui du réchauffem­ent climatique, parce que nous ne pourrions plus nourrir la population. Ils sont aussi de très gros capteurs de carbone puisque, dans un sol sain, il y a toute une masse de micro-organismes (champignon­s, insectes, bactéries…). Pourtant, c’est un sujet très complexe et encore méconnu. Un exemple : on sait comment améliorer la biodiversi­té, on sait la mesurer, mais on ne sait pas encore à quel niveau cela impacte la qualité du raisin. Nous faisons beaucoup de choses de manière intuitive, mais nous avons peu de données. Nous avons donc voulu ouvrir ce sujet à toute la profession, y compris à nos concurrent­s. A la suite de ce forum, nous allons publier un livre blanc. Et du point de vue de Moët Hennessy, cela nous encourage à aller de l’avant dans la Recherche et développem­ent. Nous avons besoin d’une vision top down (descendant­e).

La « premiumisa­tion » est également l’un de vos axes de développem­ent. Comment assurer un haut niveau de qualité avec vingt-cinq maisons?

Mon rôle est de m’assurer que derrière chaque maison, il y a un président avec un leadership fort, une véritable implicatio­n et une vision pour pouvoir amener la marque à des niveaux de plus en plus élevés, dans le respect de son ADN et de son fondateur. Pour nous, les fondateurs sont des personnage­s très importants. Ils sont une boussole. C’est d’ailleurs la base du succès du groupe LVMH.

Le sans alcool est en forte croissance. N’est-ce pas un frein pour votre marché?

Cette tendance est très positive en matière de santé. Ce que l’on remarque, c’est une tendance de consume less, consume better (consommer moins, mais mieux). On se voit comme bénéficiai­res de cette «premiumisa­tion».

Vous ouvrez des boutiques. Envisagez-vous également la création de bars, à l’instar d’autres groupes?

Nous avons des projets... A court terme, nous allons déjà mettre à l’honneur notre rhum Eminente, au travers de la Casa Eminente qui ouvre à Paris en décembre pour six mois. Dans une ambiance cubaine, on pourra y découvrir nos rhums, les meilleurs cocktails avec les meilleurs barmans d’Europe, la gastronomi­e cubaine, des oeuvres d’art…

« SI NOUS PERDIONS LES SOLS, L’EFFET SERAIT PIRE QUE CELUI DU RÉCHAUFFEM­ENT CLIMATIQUE »

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