MAISONS DE CHAMPAGNE : À CHACUNE SON VERRE !
Veuve Clicquot, Deutz, Krug, Dom Pérignon, Moët & Chandon, Castelnau et bientôt Drappier et Ruinart… De plus en plus de maisons de Champagne créent leur propre verre. Les raisons de cette soif d’innovation.
Vous n’avez jamais réussi à trancher la question de la flûte ou de la coupe pour servir le champagne ? Certaines maisons l’ont fait pour vous. Leur réponse? Ni l’une ni l’autre. De leur constat, dans une flûte, le gaz carbonique s’accumule dans l’espace de tête, le haut du verre qui ne contient pas de liquide. Attention alors à la piqûre carbonique, cette sensation agressive qui paralyse nos sens. Et avec une coupe ? La piqûre carbonique disparaît, mais les arômes également. D’où l’intérêt des maisons de Champagne de créer un verre spécifique, dédié à leur propre nectar. « Elles ont pris conscience qu’en changeant la géométrie d’un verre, on modifie les sensations olfactives. Elles ont également compris la relation directe entre la taille de la bulle, l’espace de tête, plus ou moins volumineux, et le ressenti organoleptique à la dégustation», explique Gérard Liger-Belair, enseignant-chercheur à l’Université de Reims, qui a créé un laboratoire consacré à l’étude des bulles. Selon l’expert, trois variables doivent être judicieusement combinées: la hauteur de champagne dans le calice, la surface du disque de liquide offert au dégazage et à l’évaporation des arômes, ainsi que le volume de son espace de tête. Plusieurs maisons font ainsi appel au pétillant chercheur. Ainsi, Moët & Chandon: «J’ai voulu travailler sur une synthèse, ou un «hydride», entre la flûte et le verre à vin. Les calculs de Gérard Liger-Belair ont confirmé mon intuition», explique Benoît Gouez, le chef de caves. Le résultat ? Le verre 870, comprenez 870 000, soit le nombre de bulles que 12cl de Moët Impérial peuvent produire si le breuvage dégaze totalement. «Notre verre, créé avec Lehmann est le premier en cristal ultra-light, fabriqué de façon mécanique avec un piqué aussi profond, développe Benoît Gouez. C’est au niveau de cette base très creusée, en forme de V, que naissent les bulles. Ce verre permet ainsi d’augmenter l’effervescence du vin».
Chez Krug, la cheffe de caves Julie Cavil revendique une approche plus pragmatique: «Notre réflexion est à 100% tournée autour de la dégustation, sans analyse scientifique derrière. L’idée de notre verre Joseph est de pouvoir offrir la même expérience que lorsque nous créons notre Grande Cuvée. Un verre à paraison haute privilégie la fraîcheur et la vivacité. Des épaules larges mettent en avant l’aromatique; or, plus le buvant est serré, plus il faut lever le verre et plus le liquide va au fond de la bouche, qui est le siège de l’amertume… », explique-t-elle. Avant d’ajouter : « Certains verres déforment ce que nous avons mis 20 ans à créer. Sans parler des flûtes: là, c’est comme aller à l’Opéra avec des boules Quies ». Autre approche, celle de la Maison Drappier. Son verre sortira au printemps 2023, en même temps qu’une cuvée événement très spéciale vinifiée dans des tonneaux Tarensaud, en forme d’oeuf. «Notre verre, très léger, reprendra la forme des Ovum. L’idée est d’aller jusqu’au bout de l’expérience du vin que l’on a produit», insiste Michel Drappier. Quid du coût de ces innovations pour les maisons ? « Une création sur mesure coûte 10 000 euros », répond Matthieu Bouatta, P.-D.G. de Lehmann, verrier basé à Reims. Côté grand public, si certaines maisons les mettent sur le marché – le plus souvent dans des coffrets prestiges –, la plupart d’entre elles les réservent à leur propriété et à leurs établissements partenaires.