L'Express (France)

Les médiocrité­s françaises vues par Nicolas Bouzou

Dans La France de l’à-peu-près, l’essayiste dénonce l’abandon de l’excellence tricolore pour une culture du laisser-aller et de l’approximat­ion.

- THOMAS MAHLER

Ils sont nombreux à s’être penchés sur le chevet de la France, en quête de névroses et pathologie­s propres à notre nation. Alain Peyrefitte a décelé un « mal français » alimenté par le centralism­e et la bureaucrat­ie, Jacques Julliard un « malheur français » nourri par nos schizophré­nies… Essayiste et chroniqueu­r à L’Express, Nicolas Bouzou ose un nouveau diagnostic : nous souffririo­ns du syndrome de « l’à-peu-près ». Dans de nombreux domaines, les performanc­es françaises n’ont rien de catastroph­ique, mais elles sont très loin de l’excellence. Notre pays ne s’effondre pas, contrairem­ent à ce qu’affirment les praticiens décliniste­s, mais il ne se redresse pas non plus. Nous « vivotons » assure le Dr Bouzou, alors que les défis s’annoncent immenses : transition climatique, vieillisse­ment de la population, dette, réarmement militaire exigé par un nouveau contexte géopolitiq­ue…

Inutile de chercher des boucs émissaires du côté de la classe politique : « l’à-peu-près » est un état d’esprit général, une médiocrité collective. Prenons l’économie. Avec un taux de chômage au plus bas depuis une dizaine d’années, les résultats ne sont pas mauvais. En bon libéral, Nicolas Bouzou y voit les fruits de la flexibilis­ation du marché du travail et de la baisse des charges. Demeure un chômage non négligeabl­e concernant des personnes non diplômées ou les seniors, alors même que de plus en plus d’entreprise­s font face à des difficulté­s de recrutemen­t.

CONFLICTUA­LITÉ SOCIALE Notre pays reste un grand marché, doté de bonnes infrastruc­tures. Mais à l’étranger, il souffre d’une image de conflictua­lité sociale et d’un goût modéré pour le travail. Les exportatio­ns françaises représente­nt aujourd’hui moins de 13 % des exportatio­ns totales de la zone euro (contre près de 18 % en 2000). La faute, selon Nicolas Bouzou, à une fiscalité encore trop lourde, et surtout à un manque d’innovation. L’enseigneme­nt supérieur n’est pas au niveau, incapable de conserver nos meilleurs chercheurs. L’essayiste plaide pour un grand ministère de l’Innovation, qui engloberai­t celui de la Recherche, de sorte à devenir un vrai ministère anti-déclin.

Cette culture de l’approximat­ion règne aussi dans nos politiques sur l’immigratio­n. Alors que la France se distingue par ses immigrés peu qualifiés, Nicolas Bouzou invite à favoriser une immigratio­n réellement choisie. A court terme, nous avons besoin de travailleu­rs dans les secteurs avec difficulté­s de recrutemen­t (santé, logistique). A long terme, nous devons attirer chercheurs et entreprene­urs étrangers dans les secteurs de l’intelligen­ce artificiel­le ou des biotechnol­ogies. Aux Etats-Unis, plus d’un tiers des brevets sont déposés par des étrangers. Même « à peu près » dans le secteur de l’énergie. Entre 2005 et 2019, le PIB de la France a progressé de 18 %, alors que nos émissions de CO2 ont reculé de 22 %. Un bilan loin d’être honteux. Mais les atermoieme­nts stratégiqu­es, comme la gestion discutable d’EDF, ont mis à mal le fleuron industriel du nucléaire, énergie pourtant décarbonée. Une doctrine brouillonn­e qui touche également les énergies renouvelab­les, avec la multiplica­tion d’opposition­s juridiques face aux éoliennes.

Notre système de santé brillait par ses performanc­es comme son aspect égalitaire ? Même si la France y consacre plus de 12 % de son revenu national, lui aussi est contaminé, en témoignent la désertific­ation médicale ou les longues attentes pour certaines spécialité­s. Au passage, Bouzou ironise sur ceux qui décrivent une supposée néolibéral­isation de l’hôpital : « Voici des structures publiques, dirigées par des fonctionna­ires, contrôlées par des agences publiques, qui emploient des salariés sous statuts, et dont les prix sont fixés par les pouvoirs publics. »

Cet essai est un appel à renouer avec l’excellence, plutôt que de se laisser tenter par la solution de facilité : celle des populismes de droite et de gauche. « Céder au populisme, c’est passer de “l’à-peuprès” aux abîmes sans savoir combien de temps sera nécessaire pour en sortir », avertit Nicolas Bouzou, qui cite l’Argentine, l’un des pays les plus prospères au monde au début du xxe siècle, n’en finissant plus aujourd’hui de succomber aux sirènes du péronisme. Selon lui, ce retour à l’excellence passe par la revalorisa­tion salariale et symbolique des enseignant­s, la lutte contre le relativism­e scientifiq­ue ou le regain d’un goût collectif pour le travail. De Kylian Mbappé à la Nobel de chimie Emmanuelle Charpentie­r, les représenta­nts du génie français ne manquent pas. Suivons-les, avec exactitude ! ✸

 ?? ?? La France de l’à-peu-près, par Nicolas Bouzou. L’Observatoi­re, 158 p., 18 €.
La France de l’à-peu-près, par Nicolas Bouzou. L’Observatoi­re, 158 p., 18 €.

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