Les médiocrités françaises vues par Nicolas Bouzou
Dans La France de l’à-peu-près, l’essayiste dénonce l’abandon de l’excellence tricolore pour une culture du laisser-aller et de l’approximation.
Ils sont nombreux à s’être penchés sur le chevet de la France, en quête de névroses et pathologies propres à notre nation. Alain Peyrefitte a décelé un « mal français » alimenté par le centralisme et la bureaucratie, Jacques Julliard un « malheur français » nourri par nos schizophrénies… Essayiste et chroniqueur à L’Express, Nicolas Bouzou ose un nouveau diagnostic : nous souffririons du syndrome de « l’à-peu-près ». Dans de nombreux domaines, les performances françaises n’ont rien de catastrophique, mais elles sont très loin de l’excellence. Notre pays ne s’effondre pas, contrairement à ce qu’affirment les praticiens déclinistes, mais il ne se redresse pas non plus. Nous « vivotons » assure le Dr Bouzou, alors que les défis s’annoncent immenses : transition climatique, vieillissement de la population, dette, réarmement militaire exigé par un nouveau contexte géopolitique…
Inutile de chercher des boucs émissaires du côté de la classe politique : « l’à-peu-près » est un état d’esprit général, une médiocrité collective. Prenons l’économie. Avec un taux de chômage au plus bas depuis une dizaine d’années, les résultats ne sont pas mauvais. En bon libéral, Nicolas Bouzou y voit les fruits de la flexibilisation du marché du travail et de la baisse des charges. Demeure un chômage non négligeable concernant des personnes non diplômées ou les seniors, alors même que de plus en plus d’entreprises font face à des difficultés de recrutement.
CONFLICTUALITÉ SOCIALE Notre pays reste un grand marché, doté de bonnes infrastructures. Mais à l’étranger, il souffre d’une image de conflictualité sociale et d’un goût modéré pour le travail. Les exportations françaises représentent aujourd’hui moins de 13 % des exportations totales de la zone euro (contre près de 18 % en 2000). La faute, selon Nicolas Bouzou, à une fiscalité encore trop lourde, et surtout à un manque d’innovation. L’enseignement supérieur n’est pas au niveau, incapable de conserver nos meilleurs chercheurs. L’essayiste plaide pour un grand ministère de l’Innovation, qui engloberait celui de la Recherche, de sorte à devenir un vrai ministère anti-déclin.
Cette culture de l’approximation règne aussi dans nos politiques sur l’immigration. Alors que la France se distingue par ses immigrés peu qualifiés, Nicolas Bouzou invite à favoriser une immigration réellement choisie. A court terme, nous avons besoin de travailleurs dans les secteurs avec difficultés de recrutement (santé, logistique). A long terme, nous devons attirer chercheurs et entrepreneurs étrangers dans les secteurs de l’intelligence artificielle ou des biotechnologies. Aux Etats-Unis, plus d’un tiers des brevets sont déposés par des étrangers. Même « à peu près » dans le secteur de l’énergie. Entre 2005 et 2019, le PIB de la France a progressé de 18 %, alors que nos émissions de CO2 ont reculé de 22 %. Un bilan loin d’être honteux. Mais les atermoiements stratégiques, comme la gestion discutable d’EDF, ont mis à mal le fleuron industriel du nucléaire, énergie pourtant décarbonée. Une doctrine brouillonne qui touche également les énergies renouvelables, avec la multiplication d’oppositions juridiques face aux éoliennes.
Notre système de santé brillait par ses performances comme son aspect égalitaire ? Même si la France y consacre plus de 12 % de son revenu national, lui aussi est contaminé, en témoignent la désertification médicale ou les longues attentes pour certaines spécialités. Au passage, Bouzou ironise sur ceux qui décrivent une supposée néolibéralisation de l’hôpital : « Voici des structures publiques, dirigées par des fonctionnaires, contrôlées par des agences publiques, qui emploient des salariés sous statuts, et dont les prix sont fixés par les pouvoirs publics. »
Cet essai est un appel à renouer avec l’excellence, plutôt que de se laisser tenter par la solution de facilité : celle des populismes de droite et de gauche. « Céder au populisme, c’est passer de “l’à-peuprès” aux abîmes sans savoir combien de temps sera nécessaire pour en sortir », avertit Nicolas Bouzou, qui cite l’Argentine, l’un des pays les plus prospères au monde au début du xxe siècle, n’en finissant plus aujourd’hui de succomber aux sirènes du péronisme. Selon lui, ce retour à l’excellence passe par la revalorisation salariale et symbolique des enseignants, la lutte contre le relativisme scientifique ou le regain d’un goût collectif pour le travail. De Kylian Mbappé à la Nobel de chimie Emmanuelle Charpentier, les représentants du génie français ne manquent pas. Suivons-les, avec exactitude ! ✸