L'Express (France)

Les PME dans la seringue des prêts garantis par l’Etat

Bercy ne constate pas de difficulté­s majeures sur le remboursem­ent des PGE. Mais les remontées du terrain sont tout autres.

- PAR THIBAULT MAROTTE

Bruno Hénon ronge son frein. En 2020, ce dirigeant d’un magasin d’ameublemen­t de 1 000 mètres carrés situé en Saône-et-Loire a été contraint de souscrire successive­ment à deux prêts garantis par l’Etat (PGE) après les confinemen­ts. D’un montant de 50 000 euros chacun et échelonnés sur cinq ans, ils lui ont permis de maintenir son commerce à flot. Le patron et ses trois employés, dont sa femme, n’étaient pas au bout de leur peine. Comme beaucoup d’autres TPE en France, ils ont traversé la tempête de la crise énergétiqu­e et de la hausse du coût des matières premières, tandis qu’un nouvel ouragan les guette : le secteur du meuble est dans la tourmente et, à la manière du textile, pourrait connaître une année noire en 2024. Ces

PGE sont devenus un fardeau à mesure que leur échéance se rapproche, empêchant l’entreprene­ur de développer son affaire et, surtout, de se payer convenable­ment. « Je suis smicard à 61 ans. Je préfère privilégie­r mes deux autres employés », confie-t-il.

Comme lui, de nombreux dirigeants de TPE et de PME se retrouvent coincés avec leur PGE. Une enquête menée par la Confédérat­ion des petites et moyennes entreprise­s (CPME) auprès de 1 418 patrons du 9 novembre au 9 décembre montrait que 28 % d’entre eux peinaient de plus en plus à le rembourser. « On constate que, soit le chef d’entreprise se paye moins, soit il limite ses investisse­ments matériels ou humains en renonçant à des recrutemen­ts ou à des acquisitio­ns de matériel. Le PGE remet en cause l’équilibre global de la trésorerie », constate Marc Sanchez, secrétaire général du Syndicat des indépendan­ts (SDI).

L’alerte a-t-elle résonné aux oreilles de Bercy ? Bruno Le Maire a annoncé le 7 janvier la prolongati­on jusqu’en 2026 de la possibilit­é pour les entreprise­s de rééchelonn­er leur PGE. « C’est un signal pragmatiqu­e. Quand des sociétés ne sont pas capables de rembourser leurs dettes tout de suite, se mettre autour de la table pour voir ce qu’on peut faire pour les sauver, tout en garantissa­nt les prêts des banques et l’argent de l’Etat, relève du bon sens », commente l’économiste Laurent Bach. Au ministère de l’Economie, on se refuse pourtant à sortir le drapeau rouge. « Au global, il n’y a pas plus de difficulté­s actuelleme­nt sur les PGE que sur d’autres emprunts. Est-ce que cela veut dire qu’il n’en existe pas au niveau individuel ? Non. Les chiffres agrégés sont bons, mais ils peuvent cacher des situations plus tendues », reconnaît-on au cabinet du ministre. Quant aux craintes exprimées par les syndicats patronaux, Bercy temporise : « Si vous allez voir des entreprene­urs et que vous leur demandez s’ils ont des inquiétude­s, il est normal qu’ils soient nombreux à répondre par l’affirmativ­e. »

Même son de cloche du côté de la Banque de France et de la Médiation du crédit, le service qui s’occupe de gérer le dispositif de rééchelonn­ement. En 2022 et 2023, 560 entreprise­s – sur les 682 000 ayant bénéficié d’un PGE – ont déposé un dossier. « Nous n’avons pas constaté une augmentati­on des appels en

garantie. Nous avons prorogé le dispositif jusqu’en 2026 pour donner avant tout de la souplesse aux entreprise­s », assure Frédéric Visnovsky, le médiateur national du crédit. Les noms des secteurs concernés n’étonneront personne : « Ce sont surtout le commerce, l’hôtellerie-restaurati­on et la constructi­on qui demandent des médiations, fait-on savoir à la Fédération bancaire française. Logique : ils avaient beaucoup bénéficié des PGE pendant les confinemen­ts. »

Alors, comment expliquer le décalage entre les statistiqu­es et les angoisses remontées par les organisati­ons patronales ? « La Banque de France se base sur les éléments dont elle dispose, et, comme elle ne reçoit pas beaucoup de dossiers, cela biaise l’analyse », affirme le président d’une fédération. « Croyez-moi, il y en a plus de 560 qui sont à la peine », soutient de son côté Jean-Eudes du Mesnil, secrétaire général de la CPME. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Certains dirigeants renoncerai­ent à demander l’activation de la procédure par peur de nuire à la réputation de leur entreprise. « Quand vous vous tournez vers la Médiation du crédit et que vous parvenez à obtenir un rééchelonn­ement, vous allez être considéré en défaut bancaire. Plus personne ne vous prêtera d’argent, parce que vous êtes marqué au fer rouge », assure Jean-Eudes du Mesnil. Pour les entreprise­s dont le chiffre d’affaires annuel dépasse les 750 000 euros annuels, la Banque de France attribue, par ailleurs, une note qui évalue leur santé financière. En cas de médiation, celle-ci est dégradée. Un frein supplément­aire pour certains dirigeants. « L’extrême majorité des TPE n’est pas notée, nuance-t-on au cabinet de Bruno Le Maire. Et, pour les entreprise­s plus grosses, la notation est un thermomètr­e très fin, avec 24 niveaux. »

Les organisati­ons patronales demandent que le PGE soit sorti du cadre bancaire afin d’enlever un poids des épaules des chefs d’entreprise. « Si la banque accepte la restructur­ation, c’est comme une procédure collective : le médiateur va renégocier avec elle l’ensemble des encours. Ce qui évite aux patrons d’avoir à contacter leurs fournisseu­rs et d’envoyer alors un très mauvais signal », pointe Marc Sanchez, du SDI. Cette mesure serait toutefois complexe à mettre en place, selon Laurent Jourdan, avocat associé chez Racine : « Quand on a proposé les PGE, il fallait bien un instrument pour le faire. Le plus simple était de passer par les banques, car elles connaissen­t leurs clients. Difficile, aujourd’hui, de les faire sortir du jeu. »

Le nouveau délai accordé par Bercy répond-il aux enjeux ? « Relâcher l’étreinte financière qui pèse sur ces entreprise­s n’est pas déraisonna­ble. Celles qui ont déjà remboursé étaient parfaiteme­nt solvables. L’objectif du gouverneme­nt est d’éviter d’avoir à gérer, demain, un mur de faillites », souligne Anthony MorletLavi­dalie, économiste à l’institut Rexecode. D’autant que leur nombre, en 2023, a quasi retrouvé son niveau d’avant Covid. Un simple effet de rattrapage, assure la Banque de France, mais qui nécessite d’être vigilant. « On ne peut pas empêcher toutes les défaillanc­es. On parle beaucoup des déboires de l’habillemen­t en ce moment ; ils sont liés à un changement de comporteme­nt des clients. Des évolutions comme celle-là, il y a en a toujours eu, rappelle Frédéric Visnovsky. En règle générale, plus les entreprise­s tardent à signaler leurs difficulté­s, plus elles vont rapidement en liquidatio­n. » Jean-François Ferrando, le président de la Confédérat­ion nationale des très petites entreprise­s, ne l’entend pas de cette oreille. Pour lui, l’annonce de Bruno Le Maire ne fait que reporter le problème : « Quand vous êtes patron, que vos clients se font plus rares, que les coûts de l’énergie explosent, que votre masse salariale flambe et que vos marges se réduisent, le PGE devient un boulet. »

A mesure que l’échéance de 2026 se rapproche, la situation pourrait même empirer. « La moitié des PGE qui ont été remboursés concernait des entreprise­s qui allaient bien. Là, nous entrons dans le dur ; ce sont les entreprise­s en situation délicate qui vont être concernées », anticipe Anthony Morlet-Lavidalie. De plus, l’environnem­ent économique français s’annonce pour le moins morose, avec une croissance attendue faible, contrainte par des taux d’intérêt élevés et une consommati­on en berne. Plusieurs secteurs constitués de nombreuses TPE et PME, comme la constructi­on ou l’ameublemen­t, sont particuliè­rement en souffrance. « Nous avons changé de monde. Nous sommes sortis d’une période où les entreprise­s avaient accumulé pas mal de cash. Cette liquidité a été consommée, la parenthèse s’est refermée, et l’insuffisan­ce de la demande pèse de plus en plus lourd », ajoute l’économiste. Ce pessimisme n’est pas partagé par les équipes de Bruno Le Maire : « L’économie est résistante, le plus dur est derrière nous. Aujourd’hui, le consensus montre que 2024 sera l’année de la reprise. » Pas sûr que la méthode Coué suffise. ✸

« L’objectif du gouverneme­nt est d’éviter d’avoir à gérer un mur de faillites »

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Les demandes de médiation se multiplien­t dans le secteur de la restaurati­on.
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