Après l’euphorie, les start-up de l’IA face au mur du chiffre d’affaires
La capacité des fleurons de l’intelligence artificielle à générer des revenus déçoit les investisseurs. La vague des milliards se retire.
Depuis l’arrivée de ChatGPT, les promesses de l’intelligence artificielle générative ont saisi la planète, ouvrant la porte à un avenir radieux capable de créer un choc de productivité à la hauteur de l’introduction de la micro-informatique dans les années 1990. Il était évident que les entreprises et les individus allaient dépenser des sommes folles pour s’équiper de ces nouvelles technologies. Une génération de start-up s’est retrouvée à lever des milliards. Malheureusement, la promesse technologique semble avoir du mal à se traduire en miracle économique. Et commencent à poindre les premiers signes d’un hiver de l’intelligence artificielle où les investisseurs échaudés se retirent.
Aux annonces de levées de fonds colossales ont succédé, depuis quelques semaines, des nouvelles moins roses. Des sociétés sont obligées de se vendre à de plus gros concurrents. Microsoft a ainsi avalé Inflection AI, mettant la main sur de précieux talents, pour un prix confidentiel, mais, selon certaines sources, bien inférieur au milliard et demi de dollars investis dans la société depuis sa création en 2022. Il y a deux semaines, c’est le controversé PDG de Stability AI, entreprise connue pour avoir publié le modèle de génération automatisée d’images Stable Diffusion en 2022, qui a annoncé sa démission, a priori sous la pression de ses investisseurs Lightspeed Venture Partners et Coatue Management.
Il faut dire que la profondeur du marché n’est pas aussi élevée qu’anticipée. A l’exception du géant OpenAI, dont le 1,3 milliard de dollars de revenu récurrent constitue le meilleur départ d’une entreprise de logiciel de l’Histoire, et de l’entreprise Anthropic, qui aurait atteint 200 millions en fin d’année dernière, la capacité à générer des recettes des autres compétiteurs déçoit. Cohere, qui a levé 445 millions de dollars depuis sa création en 2019, atteindrait péniblement les 13 millions de revenu récurrent en rythme annuel, quand Perplexity, un moteur de recherche sur Internet basé sur l’intelligence artificielle ayant cumulé 100 millions d’investissement, vient à peine de dépasser les 10 millions de dollars de revenus. Stability AI plafonnait entre 8 et 11 millions de dollars.
Les analystes de Bank of America ont averti que l’outil Copilot, dont le coût est jusqu’à cinq fois supérieur à celui de la licence Microsoft 365, était, à ce stade de pénétration initiale, sans impact sur les revenus du géant de l’informatique.
Pis : sans même parler des alternatives open source, la multiplication des acteurs a entraîné une véritable guerre des prix pour les modèles propriétaires. Chez OpenAI, le coût d’un « jeton » [NDLR : l’unité élémentaire de texte dont est composée la requête] a été divisé par deux en janvier. GPT-4 Turbo coûtait 15 dollars pour 1 million de jetons, mais la concurrence de Mistral Large, vendu à 12 dollars, vient de pousser, jeudi dernier, OpenAI à l’abaisser à 10 dollars. Grok, le modèle de xAI, la société d’Elon Musk, a décidé de proposer un tarif quatre fois moins élevé que ces derniers. Et Databricks
La promesse technologique peine à se traduire en miracle économique
La consommation de puissance de calcul, et donc d’énergie, est dantesque
vient de publier un modèle open source DBRX présenté comme vingt fois moins cher que GPT-4.
Face à ces revenus modestes, les coûts, eux, explosent. La consommation de puissance de calcul, et donc d’énergie, est dantesque. Stability AI n’aurait pu honorer des paiements de cet ordre, s’élevant à 99 millions de dollars. D’où les investissements massifs annoncés par les gestionnaires de data centers tels qu’Amazon Web Services ou Microsoft Azure. Ceux-ci les consentent souvent aux start-up sous forme de crédits de puissance de calcul, ce qui fait croître leur chiffre d’affaires à bon compte.
Pour donner un ordre de grandeur des sommes requises, Microsoft et OpenAI travailleraient sur un centre de données qui pourrait coûter jusqu’à 100 milliards de dollars. Outre la puissance de calcul, l’autre ressource rare, et donc chère, s’incarne dans les talents. Les champions du secteur s’arrachent les pontes de l’intelligence artificielle à coups de salaires annuels de plusieurs millions. Preuve qu’il faudra bien un jour monétiser ces jolis joujoux : Google envisage de rompre avec sa doctrine historique de gratuité en faisant payer les fonctionnalités alimentées par l’intelligence artificielle générative. ✸