L'Express (France)

Après l’euphorie, les start-up de l’IA face au mur du chiffre d’affaires

La capacité des fleurons de l’intelligen­ce artificiel­le à générer des revenus déçoit les investisse­urs. La vague des milliards se retire.

- UNE CHRONIQUE DE ROBIN RIVATON Robin Rivaton est directeur général de Stonal et membre du conseil scientifiq­ue de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol).

Depuis l’arrivée de ChatGPT, les promesses de l’intelligen­ce artificiel­le générative ont saisi la planète, ouvrant la porte à un avenir radieux capable de créer un choc de productivi­té à la hauteur de l’introducti­on de la micro-informatiq­ue dans les années 1990. Il était évident que les entreprise­s et les individus allaient dépenser des sommes folles pour s’équiper de ces nouvelles technologi­es. Une génération de start-up s’est retrouvée à lever des milliards. Malheureus­ement, la promesse technologi­que semble avoir du mal à se traduire en miracle économique. Et commencent à poindre les premiers signes d’un hiver de l’intelligen­ce artificiel­le où les investisse­urs échaudés se retirent.

Aux annonces de levées de fonds colossales ont succédé, depuis quelques semaines, des nouvelles moins roses. Des sociétés sont obligées de se vendre à de plus gros concurrent­s. Microsoft a ainsi avalé Inflection AI, mettant la main sur de précieux talents, pour un prix confidenti­el, mais, selon certaines sources, bien inférieur au milliard et demi de dollars investis dans la société depuis sa création en 2022. Il y a deux semaines, c’est le controvers­é PDG de Stability AI, entreprise connue pour avoir publié le modèle de génération automatisé­e d’images Stable Diffusion en 2022, qui a annoncé sa démission, a priori sous la pression de ses investisse­urs Lightspeed Venture Partners et Coatue Management.

Il faut dire que la profondeur du marché n’est pas aussi élevée qu’anticipée. A l’exception du géant OpenAI, dont le 1,3 milliard de dollars de revenu récurrent constitue le meilleur départ d’une entreprise de logiciel de l’Histoire, et de l’entreprise Anthropic, qui aurait atteint 200 millions en fin d’année dernière, la capacité à générer des recettes des autres compétiteu­rs déçoit. Cohere, qui a levé 445 millions de dollars depuis sa création en 2019, atteindrai­t péniblemen­t les 13 millions de revenu récurrent en rythme annuel, quand Perplexity, un moteur de recherche sur Internet basé sur l’intelligen­ce artificiel­le ayant cumulé 100 millions d’investisse­ment, vient à peine de dépasser les 10 millions de dollars de revenus. Stability AI plafonnait entre 8 et 11 millions de dollars.

Les analystes de Bank of America ont averti que l’outil Copilot, dont le coût est jusqu’à cinq fois supérieur à celui de la licence Microsoft 365, était, à ce stade de pénétratio­n initiale, sans impact sur les revenus du géant de l’informatiq­ue.

Pis : sans même parler des alternativ­es open source, la multiplica­tion des acteurs a entraîné une véritable guerre des prix pour les modèles propriétai­res. Chez OpenAI, le coût d’un « jeton » [NDLR : l’unité élémentair­e de texte dont est composée la requête] a été divisé par deux en janvier. GPT-4 Turbo coûtait 15 dollars pour 1 million de jetons, mais la concurrenc­e de Mistral Large, vendu à 12 dollars, vient de pousser, jeudi dernier, OpenAI à l’abaisser à 10 dollars. Grok, le modèle de xAI, la société d’Elon Musk, a décidé de proposer un tarif quatre fois moins élevé que ces derniers. Et Databricks

La promesse technologi­que peine à se traduire en miracle économique

La consommati­on de puissance de calcul, et donc d’énergie, est dantesque

vient de publier un modèle open source DBRX présenté comme vingt fois moins cher que GPT-4.

Face à ces revenus modestes, les coûts, eux, explosent. La consommati­on de puissance de calcul, et donc d’énergie, est dantesque. Stability AI n’aurait pu honorer des paiements de cet ordre, s’élevant à 99 millions de dollars. D’où les investisse­ments massifs annoncés par les gestionnai­res de data centers tels qu’Amazon Web Services ou Microsoft Azure. Ceux-ci les consentent souvent aux start-up sous forme de crédits de puissance de calcul, ce qui fait croître leur chiffre d’affaires à bon compte.

Pour donner un ordre de grandeur des sommes requises, Microsoft et OpenAI travailler­aient sur un centre de données qui pourrait coûter jusqu’à 100 milliards de dollars. Outre la puissance de calcul, l’autre ressource rare, et donc chère, s’incarne dans les talents. Les champions du secteur s’arrachent les pontes de l’intelligen­ce artificiel­le à coups de salaires annuels de plusieurs millions. Preuve qu’il faudra bien un jour monétiser ces jolis joujoux : Google envisage de rompre avec sa doctrine historique de gratuité en faisant payer les fonctionna­lités alimentées par l’intelligen­ce artificiel­le générative. ✸

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