L'Express (France)

Jeûne, religion, sexe… Le Dr Frédéric Saldmann répond aux critiques

Le cardiologu­e et auteur de best-sellers est régulièrem­ent accusé par ses pairs de relayer des contre-vérités. Il a accepté de s’en expliquer.

- PROPOS RECUEILLIS PAR ANTOINE BEAU ET THOMAS MAHLER

Devant lui, des amandes salées, une camomille tiède et un hebdomadai­re. « Je n’aurais jamais eu autant d’exposition sans ça », nous lance le Dr Frédéric Saldmann, sans nul doute le cardiologu­e le plus populaire de France. Du fond d’un immense canapé velours, dans un café parisien où il a ses habitudes, le médecin fait glisser le magazine, bandeau rouge vif et papier glacé. « Ça », c’est L’Express, millésime 2015. Il trône en Une, yeux bleus perçants et petit sourire en coin.

Le numéro qu’il a soigneusem­ent conservé raconte l’engouement d’alors pour l’« autopréven­tion », les petits gestes simples pour rester en bonne santé. Frédéric Saldmann, avec ses millions d’ouvrages vendus, en est toujours le « pape », neuf ans plus tard, alors qu’il publie Votre avenir sur ordonnance (Robert Laffont). A 70 ans, il est en forme, hormis un orteil cassé durant sa séance de sport quotidienn­e. Mais la crédibilit­é scientifiq­ue dont il était jusqu’ici auréolé dans les médias a, elle, prodigieus­ement molli. La faute à une, puis deux, puis trois et toute une quinte de fausses informatio­ns lâchées à la télévision cet hiver, sur le plateau de l’émission Quelle Epoque !

Diffusées sur France 2, puis sur Internet, ces séquences ont provoqué le courroux de ses pairs et d’une partie de la communauté scientifiq­ue, nous l’avions rapporté. Coup de mou ou mal chronique ? Le médecin, pourtant partout dans les médias, s’est plaint de ne pas pouvoir s’expliquer. Il était temps de lui poser quelques questions.

Le 27 janvier, vous affirmiez, sans citer de sources et contre l’évidence, que les vacances faisaient perdre des points de QI. Avez-vous des regrets ? Frédéric Saldmann

J’ai dit, il est vrai, que, en trois semaines de vacances, on pouvait perdre jusqu’à 20 points de quotient intellectu­el. J’avais lu ça sur le site de la BBC et dans le Daily Telegraph, des médias scrupuleux d’ordinaire, vous en conviendre­z. L’informatio­n m’avait un peu étonné, mais je m’étais dit que ces sources étaient sérieuses. J’avoue ne pas avoir parcouru les travaux cités par les médias britanniqu­es. Je me suis ensuite aperçu qu’ils n’avaient pas été publiés.

Pourquoi en avoir parlé, alors ?

Parce que j’ai aussi vu toute une série d’articles scientifiq­ues qui montrent que le mieux, pour les enfants, c’est de fractionne­r les vacances scolaires. Ainsi ils évitent d’oublier ce qu’ils ont appris dans l’année, et conservent leur intelligen­ce mathématiq­ue. A la fin, il me semble que le message qu’on peut retenir est le même, peu importent les études que l’on cite : il vaut mieux rester actif intellectu­ellement pendant ces périodes.

Dans vos livres, la pléthore d’études que vous citez sont souvent peu étayées et ne sont nullement représenta­tives d’un consensus scientifiq­ue…

Vous avez raison, mais, malheureus­ement, ce constat s’applique aussi à la science en général. De nombreuses études scientifiq­ues ne sont pas reproducti­bles, c’est-àdire qu’elles ne sont pas aux standards pour démontrer ce qu’elles évoquent. Sur le cancer, seulement 11 % le sont, par exemple. Cela me pose un vrai problème pour écrire ! Il faut dire aussi que les études qui parlent des petits gestes du quotidien ne disposent pas des milliards d’euros de financemen­t de l’industrie pharmaceut­ique. Qui va faire une étude sur les carottes, alors que ça ne rapporte rien, contrairem­ent à un médicament ? Sur ma thématique, le mode de vie, l’alimentati­on, les travaux se font plus rares, et les échantillo­ns sont souvent plus petits.

Comment éviter de désinforme­r vos lecteurs, dans ce cas ?

C’est un vrai sujet ! Je m’interroge très souvent sur la fiabilité des articles que je cite. Je n’ai pas attendu la séquence de cet hiver. La preuve : au début de chaque ouvrage que j’écris, j’explique qu’en aucun cas mes mots ne peuvent se substituer à une consultati­on médicale. Et je préviens aussi des précaution­s intellectu­elles à prendre : certains éléments que je relaie n’ont été montrés que sur des animaux, par exemple. Ce que je dis pourrait se révéler faux à mesure que la science évolue.

Ne faut-il pas plutôt attendre d’un scientifiq­ue qu’il nous aiguille dans le vrai du faux des sciences médicales ?

Toute ma philosophi­e est exprimée dans cette première page d’avertissem­ent au lecteur, et pourrait se résumer par un mantra : jugez par vous-même ! Ce que je dis à mes lecteurs, c’est simplement : essayez. Et vous verrez, avec bon sens, si ça fait du bien ou pas.

Essayez de manger deux kiwis par jour contre la constipati­on, il n’y a pas

de danger. Essayez, et si ça ne marche pas, laissez tomber.

Quitte à exagérer ? Bon nombre de scientifiq­ues vous reprochent d’extrapoler à toutva…

Mon combat, c’est la prévention. Le problème, c’est de motiver les gens. Quand ils viennent nous voir à l’hôpital, c’est trop tard. Or personne n’écoute les recommanda­tions, que ce soit sur le gras, l’alcool ou le tabac ou bien l’exercice physique. D’autant plus en France, où l’on n’est pas assez porté sur l’hygiène de vie, par rapport à l’Asie – là-bas, mes livres sont très bien reçus, d’ailleurs. Ce que j’ai appris quand j’étais professeur aux Etats-Unis, c’est qu’il faut à tout prix attraper l’attention des gens. Les faire rire, les choquer, les divertir. Le premier cours, j’ai mis un béret rouge, et je me suis présenté comme [il prend un accent français] « zeu French teacher ». C’était gagné. Si on ne force pas le trait, personne n’écoute. Ma recette, c’est de pousser les gens à agir sur leur mode de vie, en proposant des éléments simples, ludiques et sans danger.

Cette philosophi­e a le mérite de séduire, et pas seulement en kiosques. On dit que vous êtes le médecin des stars. C’est vrai ?

J’ai eu beaucoup d’ennuis à cause de cette informatio­n qu’un journalist­e de Vanity Fair a soutirée à ma secrétaire. Qu’on soit clair, mes livres ne me servent pas à rabattre. Je travaille à l’hôpital, 23,50 euros la consultati­on. Que du public, jamais de séance privée, tout le monde peut donc venir me voir. Des stars viennent. Beaucoup de prêtres, aussi. De cette patientèle-là, personne ne m’en parle jamais. Etrange.

Tous ces prêtres viennent pour vos conseils contre l’éjaculatio­n précoce ?

Cela peut arriver ! [Rires.] Le conseil auquel vous pensez vient d’une discussion avec un confrère urologue à l’hôpital européen Georges-Pompidou. Il dégonfle les érections prolongées et douloureus­es, une manifestat­ion grave appelée « priapisme », en demandant à ses patients de s’accroupir, jambes écartées, et de respirer à fond trois ou quatre fois. Je me suis mis à recommande­r de faire pareil contre l’éjaculatio­n précoce. Eh bien, je peux vous dire que pleins d’hommes me remercient.

Vous dites aussi que faire 12 fois l’amour par mois augmente de dix ans l’espérance de vie. Aucune revue de littératur­e, ces études qui compilent ce que l’on sait, ne conclut ainsi. Au contraire, les preuves manquent…

Là encore, essayez, et vous verrez si ça vous fait du bien. Pendant le rapport sexuel, de l’ocytocine, de la dopamine et de la sérotonine sont libérées. Ces hormones ont un effet formidable. Le message important, ici, c’est que la sexualité fait partie de la bonne santé. L’isolement n’est pas bon pour la santé. Et les rapports sexuels font baisser le stress. Tout ça figure dans les études.

Vous distillez aussi, et paradoxale­ment, de nombreuses références à la foi, mère de toutes les jouvences, selon vous. Vous êtes croyant ?

Je ne pratique aucune religion. N’y voyez donc aucun prosélytis­me. Mais je remarque que les gens qui donnent un sens à leur vie, qui croient, au sens large, vivent mieux. Savoir pourquoi on se lève le matin, c’est important. Sinon, on est plus vulnérable. Là encore, les études que je cite, ici sur la foi, sont ce qu’elles sont, et ont leurs faiblesses. [NDLR : Frédéric Saldmann affirme dans ses livres que les noncroyant­s ont un risque de mourir à court terme deux fois plus élevé que les croyants, une extrapolat­ion.] C’est une base de réflexion. Vous avez remarqué, j’utilise beaucoup le conditionn­el !

Vous croyez aux miracles ? Vous en parlez longuement dans l’un de vos plus récents livres…

Non. Mais je respecte les croyances de mes patients. Certains me disent qu’aller à Lourdes les a guéris. Je ne fais aucun commentair­e. C’est sans danger, pourquoi je m’en mêlerais ? C’est la même chose avec ceux qui choisissen­t la médecine parallèle. Il ne faut pas sous-estimer les bénéfices de l’effet placebo. Là où je me mets à hurler, c’est sur les pratiques risquées. Ne soignez surtout pas votre cancer avec des médecines parallèles.

Même constat pour le jeûne, votre dernier cheval de bataille. Pourquoi le défendre, alors que son utilité n’est pas démontrée ?

Il y a 1 358 études sur le jeûne séquentiel chez l’humain. Ce n’est pas rien. Les études, notamment les toutes dernières, franchemen­t, elles vont dans le bon sens. Après, je rappelle que le jeûne ne sert à rien pour maigrir, et il ne faut pas le faire de manière prolongée.

1 358 études sur le jeûne, c’est beaucoup, mais cela ne dit rien de leurs conclusion­s ni de leur qualité, si ?

Ce qu’elles montrent, ces études, c’est que, lors du jeûne, l’immunité est meilleure et l’inflammati­on chute.

Que le corps réagisse à la privation de nourriture, c’est une chose. Mais on ne sait pas, si à terme, on tombe moins malade, ou si on vit mieux. Vous n’avez pas l’impression d’aller trop vite en besogne ?

Ce que je dis, c’est pourquoi pas. Essayez de sauter le petit déjeuner et dites-moi comment vous vous sentez. Digérer, ce n’est pas simple. Cela mobilise une dizaine d’organes, des hormones.

Tout se passe comme s’il y avait un nombre de repas limité dans notre vie. Economison­s-les, et mettons-nous à table quand on a faim. Les industriel­s me détestent quand je dis ça, je leur pète des parts de marché.

Selon des documents révélés par Le Monde en 2019, vous avez été un des scientifiq­ues recevant le plus d’argent de Coca-Cola en France. Peut-on se revendique­r comme spécialist­e de l’optimisati­on du capital santé et travailler avec les vendeurs de sodas ?

Coca-Cola ne s’est pas adressé à moi mais à un de mes collègues, Gérard Friedlande­r, avec qui je partageais le même bureau. [NDLR : ils détiennent ensemble l’Institut européen d’expertise en physiologi­e, qui a reçu 720 000 euros entre 2010 et 2014 de Coca-Cola, selon Le Monde.] Ils voulaient connaître les effets des édulcorant­s sur le pancréas et ont financé une étude. Mais je n’ai jamais défendu l’entreprise, et encore moins ses sodas.

Dans Le meilleur médicament, c’est vous, vous écriviez aussi que « le cerveau ne fonctionne qu’à 10 ou 12 % de ses capacités ». Or il s’agit du plus célèbre des « neuromythe­s ». Comment cela se fait-il que vous l’ayez repris ?

Eh bien, je me suis trompé ! Mais est-ce si important ? Ici, le message, c’est que l’activité intellectu­elle, les exercices cognitifs, là encore, aident à la bonne santé.

Tous vos conseils ont pour finalité de repousser la mort. Vous en avez peur ?

Oui. Tous les jours, je fais une heure de sport à fond. Je fais très attention à ma nutrition. Je pratique le jeûne séquentiel. Tout ce que j’écris dans mes bouquins, je l’essaie. Il ne s’agit pas de conseiller des médicament­s avec une fausse barbe, mais d’aider les gens à prendre soin d’euxmêmes. Mais, vous savez, ce n’est pas simple. J’ai commencé à écrire pour dire ce que je ne pouvais pas dire en consultati­on. J’aime beaucoup cet exercice. Je m’imagine m’adresser à un patient. Mais je pense que le prochain livre sera le dernier.

Vous allez arrêter ?

D’écrire, oui. Mais ne m’enterrez pas trop vite. Je suis en train de construire un avatar en ligne de moi-même, assisté par une intelligen­ce artificiel­le que je pourrais mettre à jour. Comme ça, tout le monde pourra bénéficier de mes conseils, dans toutes les langues. C’est génial, non ? ✸

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Le très médiatique médecin assume d’extrapoler, au service, dit-il, de la prévention.
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Ses fausses assertions dans l’émission de France 2 ont suscité le courroux de ses pairs.

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