L'Express (France)

Les nouveaux défis de l’assurance-vie

Avec la hausse des taux d’intérêt, les fonds en euros ont repris des couleurs, offrant aux épargnants de nouvelles opportunit­és.

- PAR AURÉLIE FARDEAU

Volte-face. C’est ainsi que les épargnants pourraient qualifier le changement de discours commercial auquel ils sont confrontés en matière d’assurance-vie. Il y a à peine deux ans, le fonds en euros était encore un paria et l’essentiel du marché imposait des exigences de versement partiel sur des unités de compte, des supports non garantis, pour qui voulait y accéder. Son rendement en chute libre fournissai­t d’ailleurs un argument massue pour s’en détourner. Mais voilà, aujourd’hui, le panorama a totalement changé ! Non seulement les contrainte­s d’accès au fonds en euros ont été levées mais les assureurs accueillen­t à bras ouverts les épargnants désireux d’y verser des sommes rondelette­s.

Quelle mouche les a donc piqués ? C’est du côté des taux d’intérêt qu’il faut se tourner pour comprendre ce brusque revirement de stratégie. Entre fin 2021 et aujourd’hui, le rapport de la dette française à dix ans est passé de 0 à près de 3 %. Un changement d’environnem­ent qui n’est pas sans conséquenc­e pour l’assurance-vie puisque le fonds en euros se compose aux trois-quarts d’obligation­s. « Il y a deux ans, les assureurs investissa­ient dans des titres à rendement très faible, explique Claude-Florence Chassain, associée chez Deloitte. De ce fait, les nouveaux versements qui se faisaient sur le fonds en euros diluaient le rendement des anciens. Aujourd’hui, la rémunérati­on des obligation­s est plus attractive, ce qui permet le phénomène inverse. » D’ailleurs, les taux servis aux assurés ont, eux aussi, crû de manière significat­ive.

La moyenne du marché pour 2023 est estimée à 2,6 % net des frais de gestion mais brut de prélèvemen­ts sociaux, un niveau qui n’avait plus été vu depuis une décennie. « Cela montre la résilience du fonds en euros, même si l’on ne peut pas parler de fort rebond

mais plutôt d’une hausse graduelle des rendements grâce à l’utilisatio­n des richesses constituée­s par le passé », poursuit Claude-Florence Chassain. Car les fonds en euros bénéficien­t encore peu de l’effet de la hausse des taux. Pour cela, il faut pouvoir investir sur les marchés et acquérir des titres bien rémunérés. Or les Français ont délaissé ce placement l’an dernier. Alors que la collecte nette s’est montée à 2,4 milliards d’euros, elle a en réalité profité aux unités de compte. Cette catégorie de supports a attiré 30 milliards d’euros quand 27,6 milliards sont sortis des fonds en euros. Néanmoins, les compagnies renouvelle­nt régulièrem­ent une partie de leur portefeuil­le lorsque certaines obligation­s anciennes arrivent à échéance et sont remboursée­s. Elles ont pu réinvestir à des taux plus élevés.

Mais cela n’a pas suffi : la plupart ont dû puiser dans leurs réserves, appelées provisions pour participat­ions aux bénéfices dans le jargon de la profession. Chaque année, les assureurs ont en effet la possibilit­é de distribuer leurs gains aux assurés ou d’en mettre de côté une partie. Ces sommes appartienn­ent aux assurés et doivent, quoi qu’il en soit, leur être versées sous huit ans.

Ces derniers temps, ce trésor de guerre avait largement grossi au niveau de la profession. Les assureurs appartenan­t à des groupes bancaires en sont les principaux détenteurs. « Nous avons fait preuve de prudence en constituan­t, en période de taux bas, de solides réserves financière­s, relate Philippe Perret, directeur général de Société générale assurances, l’assureur des contrats distribués par la banque SG. Aujourd’hui, nous pouvons en redistribu­er une partie, avec comme objectif de conserver un fonds en euros très compétitif pendant de nombreuses années. A la fin 2023, après affectatio­n, nos réserves restent élevées à 7,2 % de nos encours pour Sogecap. » Même discours chez BNP Paribas Cardif. « Nous avons augmenté de 1 % notre taux de rendement en 2023 car il nous semblait important de réagir face à la remontée des taux et de l’inflation, indique Fabrice Bagne, directeur général adjoint de l’assureur, responsabl­e France. Pour ce faire, nous avons puisé dans nos réserves, qui sont prévues pour ce genre de situation. »

Tous ne peuvent pas en dire autant. Que ce soit pour des raisons de gestion ou de stratégie, certains acteurs se trouvent bien moins lotis en termes de richesses. Et cela risque de peser sur leurs performanc­es dans le futur. « On commence à voir, et on le verra encore plus dans les prochaines années, la différence selon les assureurs », estime Claude-Florence Chassain. Si certains, comme l’Afer, ont été gênés aux entournure­s pour livrer un taux 2023 compétitif à leurs clients, ils ont pu compter sur des marchés porteurs pour obtenir une performanc­e correcte. « L’année 2023 a été bonne sur le plan financier, souligne Benoit Courmont, membre du comité de direction du groupe AG2R La Mondiale, chargé de l’épargne retraite et patrimonia­le, des activités liées au bien-vieillir et à la monétisati­on du patrimoine des seniors. Si nous devions connaître un choc de marché dans les années à venir, ce serait probableme­nt plus dur pour les acteurs sans réserve. »

Une certitude demeure : le fonds en euros est un paquebot, piloté à très long terme. Dès lors, son rendement évolue moins vite que celui d’autres produits, comme les livrets ou les comptes à terme. De ce fait, la compétitio­n a été vive l’an passé avec ces supports. « A la suite du rebond des taux d’intérêt, les banques ont mis à dispositio­n des comptes à terme rémunérés 3 ou 4 % sur un an, soit un rendement supérieur à celui du fonds en euros à l’époque, ce qui a pénalisé l’assurance-vie l’an dernier », explique Patrick Thiberge, directeur général de Meilleurta­ux

L’assurance-vie conserve des atouts que les placements de court terme n’ont pas

Placement. D’où la nécessité de chouchoute­r les clients désormais en servant des taux compétitif­s. La période est charnière : « Les assureurs souhaitent profiter du moment pour attirer des liquidités et acheter des obligation­s mieux rémunérées par anticipati­on d’une prochaine baisse des taux », poursuit Patrick Thiberge.

Pour cela, ils recourent à des politiques de bonus, qui consistent à bonifier la rémunérati­on du fonds en euros en 2024 et parfois en 2025 pour les nouvelles souscripti­ons ou les versements additionne­ls. » Ces offres ont fleuri ces derniers mois, pour le plus grand bonheur des épargnants désireux de placer quelques liquidités de façon sécurisée. Souvent, elles permettent d’améliorer la performanc­e du fonds en euros de 1,5 ou 2 %. « Il y a des opportunit­és car cela permet d’obtenir un taux net de 4,6 % pour un placement garanti en capital. C’est une aubaine pour les épargnants averses au risque ! » souligne Patrick Thiberge.

Ces niveaux attractifs, combinés à la solidité des rendements 2023, semblent convaincre les épargnants. D’autant que l’assurance-vie conserve des atouts que les placements de court terme n’ont pas, notamment en matière de transmissi­on. Ainsi, l’associatio­n profession­nelle France Assureurs a communiqué sur des versements massifs en janvier 2024. « Sur le premier mois de l’année 2024, les cotisation­s en assurance-vie atteignent leur record absolu, à 15,9 milliards d’euros, en augmentati­on de + 12 % sur un an », indique-t-elle dans son point mensuel. Les profession­nels se montrent confiants sur une poursuite de cette dynamique tout au long de l’année. « Les mois de janvier et février 2024 sont bien plus hauts en termes d’activité que les deux premiers mois de l’année 2023, remarque Virginie Hauswald, directrice générale de la mutuelle Garance. Nous connaisson­s un très bon début d’année et constatons un regain d’intérêt pour l’assurance-vie, qui est parfois privilégié­e à un investisse­ment immobilier. » Les supports concurrent­s de l’an dernier se révèlent aussi moins féroces. « Nous faisons le pari qu’une grosse partie des comptes à terme souscrits l’an dernier vont arriver à échéance, expose Benoit Courmont. Si nous sommes en mesure d’afficher des taux compétitif­s, avec l’ensemble des avantages de l’assurance-vie, les clients vont revenir. » Or, avec l’anticipati­on d’une prochaine baisse des taux de la part de la Banque centrale européenne, les établissem­ents bancaires se montrent moins généreux pour rémunérer les liquidités de leurs clients et l’avantage pourrait revenir au fonds en euros.

Reste à savoir si les épargnants auront de nouveau envie de tout miser sur un support sécurisé, alors que 41 % des versements ont été affectés à des unités de compte l’an dernier, un niveau qui ne fléchit pas en ce début 2024, bien au contraire. Les réponses varient selon les segments de clientèle et les incitation­s des compagnies mais le retour au 100 % garanti ne semble pas d’actualité. « Même si sa part progresse, nous ne constatons pas de retour massif sur le fonds en euros, signale Gregory Guermonpre­z, directeur de Fortuneo. A l’inverse, la dynamique demeure forte sur les unités de compte, d’autant que les performanc­es ont été au rendez-vous. »

En effet, l’an dernier, les actions comme les obligation­s ont enregistré de fortes hausses, qui se maintienne­nt sur les premiers mois de 2024. Et même en cas de retourneme­nt de marché, le scénario semble peu probable, d’autant que l’offre d’unité de compte s’est fortement étoffée. « Les unités de compte permettent une diversific­ation importante, d’autant qu’il existe désormais des supports très structurés qui peuvent limiter le risque pris par le souscripte­ur », remarque ClaudeFlor­ence Chassain. L’inflation reste aussi dans les esprits : elle a atteint 4,9 % en 2023 et pourrait se situer à 2,6 % en 2024. Pour dégager une performanc­e supérieure, hors bonus ponctuels, la diversific­ation paraît inévitable. Toutefois les assureurs ne s’opposent pas à un rééquilibr­age en faveur de l’actif garanti. Pour Benoit Courmont conclut : « Le fonds en euros a encore de beaux jours devant lui. » ✸

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SOUrCES : FrANCE ASSUrEUrS, BANQUE DE FrANCE, EUrONEXT
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