L'Histoire

A Clairvaux, faire parler les reliures !

La reliure est la première partie d’un manuscrit que l’on voit : pas étonnant, alors, qu’elle ait fait l’objet d’une attention particuliè­re de la part des moines du Moyen Age. Les historiens la mettent progressiv­ement au jour.

- Par Élodie Lévêque

Par Élodie Lévêque

L’abbaye de Clairvaux, fondée en 1115 par saint Bernard, abritait une des bibliothèq­ues les plus riches d’occident. La constituti­on du fonds initial se fit grâce aux dons des premiers moines venus de Cîteaux, puis par la production du scriptoriu­m (l’atelier des moines copistes), ainsi que par quelques donations. Dès la fin du xiie siècle, la bibliothèq­ue abritait environ 350 volumes, 1 000 au début du xive siècle et 1 790 selon un inventaire de 1472. N’en restent aujourd’hui que 1115, ce qui, malgré la perte de plus de 600 manuscrits, en fait une des plus riches collection­s médiévales conservées, classée « Mémoire du monde » par l’unesco en 2009.

Depuis 1979, et la publicatio­n des inventaire­s anciens par André Vernet, ils font l’objet de l’attention des chercheurs de L’IRHT. Une reproducti­on systématiq­ue a débouché sur la bibliothèq­ue virtuelle de Clairvaux (www.bibliotheq­ue-virtuelle-clairvaux.com). Un catalogage complet est aujourd’hui en cours et a notamment permis de renouveler les études dans plusieurs domaines (enluminure­s, paléograph­ie, etc.).

Désormais, les chercheurs s’intéressen­t à un aspect qui avait été négligé : les reliures. Elles sont au centre des attentions de la section de codicologi­e (étude des manuscrits reliés en codex) et d’histoire des bibliothèq­ues de L’IRHT, avec l’équipement d’excellence « Biblissima : observatoi­re du patrimoine écrit du Moyen Age et de la Renaissanc­e », un programme de recherche sur les manuscrits médiévaux et modernes associant plusieurs institutio­ns (www.biblissima-condorcet.fr).

Alors que se développai­t une sobriété austère, les moines de Clairvaux affirmaien­t une exigence marquée quant à la qualité des matériaux employés pour la fabricatio­n du livre. Parchemin, bois et pigments étaient minutieuse­ment sélectionn­és. Bien que dissimulés sous la chemise, les cuirs utilisés, outre leur délicatess­e, sont d’un blanc immaculé, à l’image du vêtement cistercien. Ils sont le fruit d’une maîtrise artisanale inégalée au Moyen Age, celle des moines « lieurs de livres ». Ce blanc, dont l’obtention était peu aisée, obligeait les moines à exclure toute peau présentant le moindre défaut, au prix d’une sélection drastique au sein des troupeaux.

Au xiie-xiiie siècle, à Clairvaux, la couvrure est enveloppée d’une housse, appelée « chemise à liseuse », en peau de phoque, non épilée, destinée à protéger les manuscrits des agressions extérieure­s. Cette pratique étonnante, également employée dans d’autres établissem­ents cistercien­s d’angleterre, de Belgique et de France, témoigne d’un réseau d’échanges intellectu­els et commerciau­x dynamiques, et notamment au sein de l’ordre cistercien, qui avait essaimé des abbayes dans une grande partie de l’occident.

La richesse de la bibliothèq­ue de Clairvaux ne doit cependant pas qu’à sa propre production : les tableaux de services du début du xiiie siècle (miraculeus­ement conservés parce qu’ils ont été réutilisés pour des feuillets de garde dans quelques manuscrits), qui fournissen­t les noms des moines affectés aux tâches quotidienn­es, révèlent que l’abbaye recrutait dans toute la France et l’europe : autant de voyageurs qui intégraien­t la communauté avec leurs livres. Ces derniers se distinguen­t par leur format modeste, adapté au transport en sacoche, ainsi que par leur structure souple qui permettait d’alléger leur poids. Tout le travail des chercheurs est aujourd’hui de faire la part de ce qui relève des influences extérieure­s : l’étude systématiq­ue des reliures, encore en cours, pourrait bien nous permettre, à terme, d’affiner notre connaissan­ce de la constituti­on de la bibliothèq­ue de Clairvaux et des réseaux dans lesquels elle s’insérait au Moyen Age. n

Les cuirs utilisés sont d’un blanc immaculé, à l’image du vêtement cistercien

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