L'Histoire

Voyage dessiné dans l’histoire française

Quand un historien et un dessinateu­r s’associent pour faire revivre l’histoire de notre pays. Décoiffant.

- Par Olivier Thomas*

Par Olivier Thomas

Une plage de l’océan Atlantique. La mer est calme. Cinq personnage­s, de l’eau jusqu’aux mollets, poussent un bateau de plaisance vers le rivage. Ayant abandonné leur embarcatio­n, ils transporte­nt un lourd cercueil qu’ils chargent ensuite dans le coffre d’une camionnett­e. Cet étrange équipage est composé de figures populaires de l’histoire de France : Jeanne d’arc, revêtue de son armure, Molière en bras de chemise, le général Dumas en tenue d’officier de la République, Jules Michelet tiré à quatre épingles et Marie Curie dans une austère robe noire.

Ressuscité­s en ce début de xxie siècle, ces comparses viennent de voler le cercueil de Philippe Pétain sur l’île d’yeu1 ! A la fois « vainqueur de Verdun » et « premier responsabl­e de la Collaborat­ion » , le maréchal Pétain est en effet un « symbole dangereux » , clame Jules Michelet. Pour cette raison, nos compères ont décidé de le déterrer et de l’inhumer ailleurs. Mais le choix de l’endroit n’est pas simple et débouche sur un tour de France de lieux chargés d’histoire : Carnac, Calais, Paris, Reims, les bords du Rhin, Solutré, les Alpes, Marseille, Carcassonn­e, Lascaux et le plateau de Gergovie.

Renoncer à sortir Pétain de son cercueil

Aux manettes de cette surprenant­e aventure, le dessinateu­r Étienne Davodeau et l’historien Sylvain Venayre, auteur des Origines de la France (Seuil, 2013). Familier de l’histoire et de la bande dessinée, ce duo complice cherche par cette Balade nationale (en librairie le 18 octobre) à « restituer quelque chose des anciens tableaux de la France, ceux de Jules Michelet de 1833 et de Paul Vidal de La Blache de 1903. Et puis, poursuit Sylvain Venayre, ce périple est aussi l’occasion de neutralise­r la question des origines de la France en l’historicis­ant. »

Cette promenade à travers le territoire est l’occasion de présenter l’état de la science préhistori­que (en profitant des étapes de Carnac ou de Lascaux), mais aussi de réfléchir à l’identité nationale et à l’instrument­alisation de l’histoire aujourd’hui. Au passage, on s’interroge sur le rôle des images dans l’apprentiss­age et la vulgarisat­ion de cette discipline. « Longtemps, les historiens ont eu pour mission de faire aimer la France aux Français en les rendant fiers de leur passé, explique Sylvain Venayre. Pour cela, les images étaient indispensa­bles : Saint Louis rendant la justice sous son chêne ou les bourgeois de Calais s’humiliant devant le roi d’angleterre. Ces images n’étaient pas que mentales. Des vignettes illustraie­nt le récit historique. Le professeur Ernest Lavisse, appliquant le programme d’ernest Renan, insistait beaucoup sur ce point. Les dessins devaient donner aux enfants une première idée de l’histoire de France, avant que les textes viennent la leur expliquer. »

Cette force de l’image, les auteurs de La Balade nationale en ont conscience. Aussi ont- ils renoncé à sortir Pétain de son cercueil. « Il y avait un énorme risque que le lecteur perçoive

Pétain comme un beau vieillard un peu râleur, avoue Étienne Davodeau. Une sorte de grandpère bougon. Ce qu’il fallait à tout prix éviter. Du coup, on a décidé qu’il ne sortirait pas de sa boîte. Sauf qu’une boîte c’est assez peu expressif. Jouer sur la non-représenta­tion de Pétain était intéressan­t du point de vue des graphisme et dialogue. Au final, le maréchal Pétain n’est pas dessiné mais il est bien présent : il râle, il gueule, il concède même parfois aux autres qu’ils ont raison. »

Audaces narratives

Oeuvre de fiction, La Balade nationale est surtout l’occasion de dépoussiér­er certains fantasmes passéistes. Mais ce gros album de 110 pages de récit dessiné, accompagné de 60 pages de dossiers illustrés, est aussi le premier tome – sorte d’introducti­on – d’une série à venir de 20 volumes coéditée par les éditions La Découverte et La Revue dessinée intitulée Histoire dessinée de la France.

On songe à l’histoire de France en bandes dessinées éditée entre 1976 et 1978 par les éditions Larousse dans laquelle des dessinateu­rs au style réaliste racontaien­t chaque mois les grands événements, de Vercingéto­rix à la Ve République. « Notre projet est tout autre, explique Sylvain Venayre qui endosse aussi le rôle de directeur de collection. En effet, pour chaque album nous associons un historien et un dessinateu­r. Cela a l’avantage de permettre à l’historien d’être libre de travailler à partir de ses compétence­s propres, de ses questionne­ments, de sa méthodolog­ie et des sources qui lui sont familières. Mais aussi de garantir une unité de dessin pour chaque volume tout en proposant une variété graphique pour l’ensemble de la collection qui correspond­e aux différente­s approches d’aujourd’hui. »

« Et il n’y a pas de scénariste pour faire l’intermédia­ire », précise-t-il. Partie prenante de la création du scénario, l’historien – qui n’est donc pas réduit au rôle d’expert – s’autorise en collaborat­ion avec le dessinateu­r toutes les audaces narratives et graphiques sans obligation de réalisme pour faire passer son message. Dans le deuxième tome, L’enquête gauloise, de Massilia à Jules César qui sort en librairie le 8 novembre, l’historien Jean-louis Brunaux et le dessinateu­r Nicoby n’hésitent pas à se mettre en scène dans le récit. On voit ainsi JeanLouis Brunaux interpelle­r Jules César pour contester sa version de la Guerre des Gaules2.

Hugues Jallon, PDG des éditions La Découverte, et Franck Bourgeron, qui dirige La Revue dessinée, sont heureux : « Par sa triple ambition scientifiq­ue, esthétique et pédagogiqu­e, l’histoire dessinée de la France fera date ! » S’inscrivant pleinement dans les nouveaux modes de transmissi­on de l’histoire qui cherchent à toucher le public en sortant des voies traditionn­elles de la communicat­ion scientifiq­ue cette collection entend aussi tester toutes les possibilit­és que la bande dessinée peut offrir à la connaissan­ce historique. Et elles sont nombreuses. Doivent suivre La Guerre de Cent Ans, La Renaissanc­e, La Révolution Française ou La France actuelle. n

Cette collection cherche à tester toutes les possibilit­és que la bande dessinée offre à la connaissan­ce historique

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Vol de sépulture Jeanne d’arc, le général Dumas et Jules Michelet chargent le cercueil de Philippe Pétain dans une camionnett­e tandis que Molière et Marie Curie font le guet. Notes 1. Une mésaventur­e qui est réellement arrivée en 1973, lorsque...
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A suivre L’historien Jean-louis Brunaux et le dessinateu­r Nicoby publient L’enquête gauloise (en librairie le 8 novembre).

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