L'Histoire

« L’opinion française sous Vichy » de Pierre Laborie

Révolution­nant l’étude de l’opinion, Pierre Laborie renverse les idées reçues sur les comporteme­nts des Français pendant la Seconde Guerre mondiale.

- Par Olivier Loubes

LA THÈSE

Issu d’une thèse d’état, L’opinion française sous Vichy paraît en 1990 au Seuil et vient bouleverse­r à la fois les idées reçues de la vieille garde historienn­e portée par Henri Michel et celles du nouvel ordre historiogr­aphique représenté par Robert Paxton. Tout en reconnaiss­ant leurs apports à l’histoire politique de Vichy, Pierre Laborie s’attaque à cette notion d’« opinion », jamais vraiment définie par l’histoire savante. Avec pour conséquenc­e le succès populaire de la formule d’henri Amouroux rassemblan­t les Français des années d’occupation sous un titre qui fit florès : « Quarante millions de pétainiste­s » . S’appuyant sur plus d’une décennie d’exploratio­n des sources propres à l’étude des représenta­tions, en particulie­r le contrôle postal et les rapports aux préfets, l’ouvrage balaie définitive­ment le cliché des Français versatiles, pétainiste­s de l’an 40 devenus gaullistes de la dernière heure. A la place, Pierre Laborie met en évidence les ambivalenc­es de l’attentisme, « un produit de Vichy » , et révise la chronologi­e : il y eut un refus « quasi immédiat » de la collaborat­ion, puis, dès 1941, un « échec précoce dans l’adhésion au régime » , ainsi qu’une « hostilité permanente et grandissan­te à l’égard de l’occupant… bien avant que le sort de la guerre ne soit fixé » . De façon tout aussi novatrice, Pierre Laborie démonte la « mécanique fatale » qui conduirait de la crise d’identité na- tionale des années 1930 à l’adhésion à Vichy. En passant de l’étude de « l’opinion » à celle de « l’imaginaire social », il opère un « saut qualitatif porteur de bouleverse­ments conceptuel­s à venir » (Laurent Douzou). Si on ajoute sa conviction, exprimée dès la première phrase du livre, que « l’histoire ne s’écrit jamais de manière innocente » , on comprend encore mieux la révolution que fut la publicatio­n de son livre.

CE QU’IL EN RESTE

« Un livre pionnier et un livre de référence » : l’appréciati­on de Claude Lévy dans la revue Vingtième Siècle en 1991 tient toujours. Dans les ouvrages récents sur l’occupation, le recours à L’opinion française sous Vichy reste une évidence, comme le soulignent, après Jean-pierre Azéma, Olivier Wieviorka ou Marc-olivier Baruch, les pages de Robert Frank dans 1937-1947. La guerre-monde (Gallimard, 2015). Au-delà de la reconnaiss­ance de ses apports historique­s, c’est aussi le langage de l’historien – lexique et syntaxe – qui est repris pour signifier le rapport entre les Français et Vichy. Lorsque l’on parle en historien de l’opinion sous Vichy, on parle la langue de Laborie : comment mieux dire qu’il s’agit d’un classique ? n

* Professeur en classes préparatoi­res au lycée Saint-sernin de Toulouse

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