L'Histoire

« Grandeur et décadence d’un petit commerce de cinéma » de Raoul Peck

Diffusé sur TF1 en 1985, ce téléfilm hanté par l’histoire sort en salles.

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En 1985, Jean-luc Godard accepte une commande de TF1, une « Série noire ». Il s’agit de faire frissonner d’angoisse dans la tradition du film noir, mais le cinéaste s’affranchit de la commande, tournant une histoire sur la difficile fabricatio­n d’un film. Gaspard Bazin (Jean-pierre Léaud), un cinéaste un peu dépassé, est réduit à faire passer des bouts d’essais à des figurants pour un projet de télévision, tandis que son producteur, Jean Almereyda, s’avère un aventurier criblé de dettes qui finira criblé de balles. Choisi pour jouer le producteur, Jean-pierre Mocky confie : « Godard pense que nous sommes les derniers des Mohicans ; lui et moi faisons encore du cinéma comme le Chaplin des débuts. »

Cette histoire du cinéma est pourtant en train de disparaîtr­e, parce que meurent ses principaux symboles : François Truffaut bien sûr, mort en octobre 1984 à 52 ans, brouillé à mort avec Godard et pour toujours non réconcilié­s, ou de grands producteur­s, Raoul Lévy, Georges de Beauregard, JeanPierre Rassam, Pierre Braunberge­r. Le film est hanté par ces fantômes, dont les noms sont énumérés tels des « morts au champ d’honneur », et dont les visages apparaisse­nt en insert. A la fin du film, des jeunes vidéastes branchés prennent possession des bureaux de la production : le cinéma est bien mort et son histoire se retrouve jetée avec l’eau du bain.

Rendez-vous raté avec l’histoire

Godard comme survivant d’un art voué à la disparitio­n, voici une certaine idée de la « mort du cinéma ». Mais une autre variation traverse le film : la mort du cinéma est inéluctabl­e. Le contexte du mi- lieu des années 1980 compte beaucoup dans cette orientatio­n, centrée sur la responsabi­lité du cinéma face à la puissance destructri­ce des totalitari­smes et des impérialis­mes. Pour Godard, cette « ère historique » s’ouvre avec Shoah, de Claude Lanzmann, sorti en avril 1985, qui le marque infiniment, et se bouclera avec la chute du communisme en 1989.

La thèse qui résume la série noire godardienn­e est ainsi un constat d’impuissanc­e : le cinéma va mourir car il a raté son rendez-vous avec l’histoire, puisqu’il n’a pu empêcher aucune des catastroph­es historique­s du xxe siècle. n A. de B.

À VOIR

Grandeur et décadence d’un petit commerce de cinéma J.- L. Godard, en salles le 4 octobre.

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