L'Histoire

« Le Jeune Karl Marx » de Raoul Peck

Raoul Peck raconte les années de formation politique de l’auteur du Capital.

- n Antoine de Baecque

En avril 1843, la Gazette rhénane est interdite par le gouverneme­nt prussien, qui craint les plumes réformiste­s des jeunes hégéliens. Parmi eux, le plus vitupérant est arrêté puis part en exil à Paris, où l’attend un journal radical encore, les Annales franco-allemandes. Le philosophe de 26 ans y publie deux longs articles, « L’introducti­on à la philosophi­e du droit de Hegel » et « Sur la question juive », qui ne se contentent pas d’annoncer la mort du Dieu des religions : ils engagent le combat contre les idoles de substituti­on, l’argent et l’état d’exploitati­on capitalist­e. Ces textes donnent au jeune Karl Marx une première notoriété dans les milieux socialiste­s et ouvriérist­es, celle d’un soleil levant de la pensée de ce qu’on nomme bientôt le « communisme ».

Grâce à Raoul Peck et à son scénariste Pascal Bonitzer, ce qui n’était jusqu’à présent qu’une intéressan­te notice de dictionnai­re philosophi­que devient un film de chair et de sang, cinq années de mots, de gestes, de mouvements, de pleurs, d’étreintes. L’attention obsessionn­elle aux détails frappe d’abord : ici, on ne fait pas semblant, pas de « reconstitu­tion » artificiel­le mais une fidélité concrète, presque fétichiste, à l’histoire. Les protagonis­tes sont tous âgés d’une vingtaine ou d’une trentaine d’années, Karl Marx et sa femme, Jenny, Friedrich Engels et sa rousse endiablée, Mary Burns, Bakounine le Russe, Weitling le prédicateu­r d’un monde meilleur, et l’aîné Proudhon, porte-parole des ouvriers, populaire dans l’europe entière. Les casseroles qui chauffent ont du vrai lait dedans et le couple Marx mange du pain et de la soupe, s’interdisan­t le café trop cher pour lui.

Dans cette Europe en ébullition, le film suit ces jeunes gens, en dresse des portraits justes, s’attache à leurs allers et retours autant qu’à leurs gestes les plus quotidiens. Ça circule à toute vitesse, aussi vite que les mots qui passent d’une langue à l’autre à l’intérieur de la même phrase. Voici la grande réussite du film : la vie lui vient par les caresses, les courses, les cuites du petit matin, autant que par les paroles des discussion­s incessante­s et rapides, par cette Babel des langages qui emporte tout. Karl, Jenny, Friedrich philosophe­nt en allemand, parlent d’amour en français, fument un bon cigare en anglais, et ces multiples croisement­s animent le livre d’imagerie attendu, incarnent le pesant traité idéologiqu­e.

Marx le stratège

Le Jeune Karl Marx n’en est pas moins un film politique. Non seulement, il ne cesse de montrer combien cette jeunesse d’époque n’existe qu’à travers son engagement dans l’histoire, comment, disent-ils en choeur, « les philosophe­s n’ont fait jusqu’à présent qu’interpréte­r le monde, alors que le but est de le changer » . Mais, plus encore, le film fait comprendre ce que cet engagement veut dire, comment il devient complot et correspond­ances, noyautage d’une assemblée. Autant que l’écriture fiévreuse en urgence du Manifeste du Parti communiste dans les premiers jours de 1848, un mois avant les révolution­s européenne­s – rendue de manière un peu convenue –, c’est la prise du pouvoir, en novembre 1847 à Londres, au congrès de la Ligue des justes, qui fait figure d’emblème. Engels en orateur, Marx tapi dans l’ombre en stratège, et les proudhonie­ns sont battus ! La Ligue des communiste­s voit ainsi le jour en même temps que le film affirme son point de vue et achève de convaincre, dévoilant son projet : rendre l’histoire essentiell­ement vivante.

Le 29 septembre à 13 h 30

La Marche de l’histoire : Jean Lebrun consacrera son émission à « Emmanuel Berl, un cavalier seul, de Blum à Giscard ». France Inter.

Les jeudis 5, 12, 19 et 26 octobre à 20 h 40

The Hollow Crown : Après une première saison consacrée à Richard II, Henri IV et Henri V, la série britanniqu­e The Hollow Crown propose la suite de l’adaptation des grandes pièces historique­s de Shakespear­e avec Henri VI et Richard III. Histoire.

Le 8 octobre

Che Guevara, naissance d’un mythe : Le Che fut le principal artisan de sa propre légende. Cinéphile, écrivain, photograph­e, il s’est employé à construire le mythe qui lui survivra. Un documentai­re de Tancrède Ramonet. France 5.

Le 7 octobre à 10 heures

Concordanc­e des temps : Jean-noël Jeanneney accueiller­a François Jarrige pour parler de « L’homme contre les machines ». France Culture.

Le 10 octobre à 23 h 35

Mao, des Européens dans la Révolution culturelle : « La vie est imprévisib­le » explique Paul Crook, l’un des rares Européens à avoir vécu la révolution culturelle chinoise de l’intérieur. Arte.

Le 21 octobre à 21 h 40

La révolte du Mahdi : En 1881, le Mahdi, l’envoyé d’allah, prend la tête d’une révolte qui compte bien chasser l’envahisseu­r britanniqu­e et établir un califat. Gouverneur du Darfour, l’autrichien Rudolf von Slatin s’en fait le chroniqueu­r. Arte.

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