L'Histoire

La sélection de « L’histoire »

Livres Arlette Jouanna dévoile un écrivain tiraillé par les violences des guerres de religion.

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Montaigne Arlette Jouanna Gallimard, 2017, 458 p., 24 €.

« Chacun regarde devant soi ; moi je regarde dedans moi. » En s’attachant à l’auteur des Essais, Arlette Jouanna, professeur émérite à l’université de Montpellie­r ne propose pas seulement une nouvelle biographie de Montaigne, mais aussi une analyse aiguë du dialogue que l’auteur, « greffier de ses pensées » , n’a cessé d’entretenir avec lui-même et avec son oeuvre, objet d’une constante réécriture, enrichie des expérience­s et des désenchant­ements d’un siècle qui fut celui de la violence, de l’intoléranc­e et des guerres de Religion. Le point de départ est 1571, quand Montaigne se retire chez lui, à 38 ans, pour « s’entretenir soi-même » . Il a déjà derrière lui une carrière, décevante, de magistrat au parlement de Bordeaux, et il a éprouvé la désillusio­n du courtisan aveuglé par le mirage de la conquête de la faveur royale ; il a aussi vécu une amitié d’exception – avec Étienne de La Boétie – et la découverte des « cannibales » du Brésil (peut-être à Bordeaux en 1565) qui l’ont conduit à se déprendre de ses préjugés. Arlette Jouanna nous fait partager les multiples expérience­s de ce gentilhomm­e provincial qui a su apprivoise­r la mort (à la suite d’une chute de cheval en 1568), et a vécu au coeur des troubles politiques et religieux, partagé entre le désir de fuite et la volonté de servir. On lira avec intérêt les pages consacrées aux deux mandats de Montaigne comme « maire et gouverneur de Bordeaux » (1581-1585) : il est parvenu à préserver la ville des tentatives de contrôle par les ligueurs comme par les huguenots. Son grand défi a été de tenter d’accorder les partis désunis : rapprocher Henri III, le duc de Guise et Henri de Navarre. Si cette tentative se solda par un échec, c’est un « entremette­ur de paix » méconnu qui se révèle à nous et, surtout, un « politique » pour qui le salut de l’état importait plus que tout. Quand il mourut en 1592, Montaigne ne pouvait apercevoir aucune issue proche aux troubles qui désolaient la France. Il reste une oeuvre unique, qui invite à penser la liberté au coeur même des pires vicissitud­es. Plus que jamais, en ce xxie siècle de violence et d’intoléranc­e, la pensée de Montaigne se révèle tout à la fois actuelle et vivifiante. Et d’une singulière modernité n Joël Cornette Professeur à l’université Paris-viii-vincennes-saint-denis

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