L'HUMANITE MAGAZINE

Aux urnes, citoyennes!

- PAR MARYSE DUMAS, SYNDICALIS­TE

Le 9 juin prochain, citoyennes et citoyens seront appelés à élire l’Assemblée européenne. Ce geste éminemment politique est devenu tellement banal que nous avons du mal à imaginer que, pendant près d’un siècle, il n’a été autorisé qu’aux hommes. Gagné par la révolution de 1848, interrompu sous l’empire de Napoléon III, le suffrage universel masculin n’a pas été étendu aux femmes à l’avènement de la

IIIe République. Dans l’entre-deuxguerre­s, plusieurs votes favorables de l’Assemblée nationale ont échoué du fait de l’opposition du Sénat. Ce n’est qu’en 1944 que le rapport de force s’inverse. La France n’est pas encore libérée, mais à Alger l’Assemblée provisoire élabore l’organisati­on future des institutio­ns. Dès janvier 1944, Fernand Grenier, délégué du Parti communiste, se bat pour que soit enfin reconnu le droit de vote des femmes. Pour vaincre les réticences, il met en avant la déclaratio­n de de Gaulle, publiée dans la presse clandestin­e en 1942 : « Une fois l’ennemi chassé du territoire, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous éliront l’Assemblée nationale qui décidera souveraine­ment des destinées du pays. » Une première formulatio­n vient en débat le 24 mars 1944. Elle prévoit seulement l’éligibilit­é des femmes. Elles pourraient donc être élues sans pouvoir voter. Fernand Grenier s’insurge. Il propose un amendement : « les femmes seront électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ». Paul Giacobbi, président de la commission de la Réforme de l’État, s’oppose à l’amendement et se prononce pour un report de cette « réforme de structures » dans laquelle il voit « une aventure ». René Cassin, Vincent Auriol ne sont pas plus enthousias­tes. Les radicaux maintienne­nt leur opposition historique, la même qui vient d’empêcher le CNR de faire figurer le droit de vote des femmes dans son programme.

Tous les arguments leur sont bons : le risque que les femmes votent « mal », que leur vote supplante celui des hommes retenus prisonnier­s. Ils parlent aussi de difficulté­s à actualiser les listes électorale­s. Pour Fernand Grenier la situation confère aux femmes un « droit encore plus fort à voter dès les premières élections ». Il y voit aussi un moyen de manifester aux femmes « notre solidarité et notre volonté de ne plus les traiter en mineures, en inférieure­s. » Cette assemblée exclusivem­ent masculine passe au vote et adopte l’amendement Grenier par 51 voix contre 16. Il devient l’article 17 de l’ordonnance du 21 avril 1944. La France est le 99e pays à reconnaîtr­e le droit de vote des femmes. Pas très glorieux pour la patrie des droits de « l’homme » !

Dès les municipale­s d’avril 1945, les Françaises se rendent massivemen­t aux urnes mais elles sont peu en position d’élues : moins de 7 %, quelles que soient les élections, entre 1945 et 1958. Reste que le droit de vote des femmes sera le prélude

Ce geste éminemment politique est devenu si banal que nous avons du mal à imaginer que, durant près d’un siècle, il n’a été autorisé qu’aux hommes.

à de nombreuses autres conquêtes en faveur de l’égalité, au premier rang desquelles la Constituti­on de 1946, qui « garantit à la femme dans tous les domaines des droits égaux à ceux de l’homme », et l’abrogation, le 30 juillet 1946, de l’abattement de 20 % sur les salaires féminins. En 1944-45, le patriarcat a subi une première défaite. Rien n’a été « octroyé » aux femmes, elles ont conquis leurs droits de haute lutte, par leur action dans la Résistance et par leurs actions quotidienn­es opiniâtres, notamment dans le travail où le droit de vote leur était acquis dès le début du XXe siècle.

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