L'HUMANITE

Forte convergenc­e de mémoires d’insurgés

- LA CHRONIQUE THÉÂTRE DE JEAN-PIERRE LÉONARDINI

Abdelwaheb Sefsaf, nouveau directeur du Théâtre de Sartrouvil­le et des Yvelines (centre dramatique national), a écrit et mis en scène Kaldûn (1). Devant un objet théâtral d’aussi pleine maîtrise, on se veut d’emblée un ardent propagandi­ste de l’enthousias­me. En voilà du théâtre épique, qui tresse en se jouant la fermeté politique et l’allant poétique, la gravité essentiell­e avec l’humour coupant, voire la saine plaisanter­ie, le tout en chantant (enchanteur aussi bien) avec les pleins accords d’une musique savante. Cela s’ouvre en fanfare sur un tableau d’exposition coloniale avec bonimenteu­r et « sauvages » encagés, auxquels ne rien jeter à manger car ils sont nourris. Cela se poursuit avec la colonisati­on de la Nouvelle-calédonie (Kaldûn en arabe) et l’entrecrois­ement judicieux de trois mémoires de soulèvemen­ts d’opprimés quasi contempora­ins, également noyés dans le sang.

Trois figures mythiques sont en relief : Louise Michel, le Kabyle Aziz, condamné à vingt-cinq ans de bagne, et Ataï, grand chef kanak.

C’est la Commune de Paris, ses déportés là-bas, la révolte algérienne d’el Mokrani dont les insurgés sont embarqués manu militari, et l’insurrecti­on mélanésien­ne de 1878, décimée sans merci, la France assurant définitive­ment son joug sur le peuple kanak. Trois figures mythiques sont en relief : Louise Michel, le Kabyle Aziz, condamné à vingt-cinq ans de bagne, et Ataï, grand chef kanak. Sa tête coupée finit dans le formol au musée de l’homme.

La plus stricte vérité historique a prévalu dans l’écriture, qui la mue en langue vivante, chaleureus­e, fraternell­e sans prêche. Il est des scènes dignes de Brecht, telle celle de la lettre du missionnai­re exalté au pape. Le mât d’un navire peut devenir un poteau coutumier kanak puis la croix de Jésus. Tout semble s’inventer à vue, dans une constante allégresse puissammen­t rythmée, au sein d’une scénograph­ie figurative d’excellent aloi, qui favorise les séquences collective­s et proprement chorales aussi bien que les scènes en privé. Ils sont seize, acteurs, musiciens, chanteurs. On aimerait, les citant, dire tout le bien que l’on pense de chacun. L’homme sur l’affiche, le Kanak Simanë Wenethem, slameur à la ville et virtuose du hip-hop, n’est-il pas l’âme mobile de l’affaire, que l’auteur-meneur de jeu emporte avec esprit ? Du théâtre noblement populaire, beau à pleurer. Comme c’est rare.

(1) Après le Théâtre des Quartiers d’ivry, centre dramatique national dirigé par Nasser Djemaï, où nous avons vu ce spectacle créé par Nomade in France et Canticum Novum, il sera joué à Sartrouvil­le, du 29 novembre au 3 décembre ; Cébazat, le 7 décembre ; Lyon, du 13 au 17 février 2024 ; Forbach, le 14 mars…

Dans notre édition du 20 novembre, Abdelwaheb Sefsaf présentait son projet pour Sartrouvil­le.

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