LA SAGA FACEBOOK
1 milliard d’utilisateurs en moins de 10 ans ... p. 26
JEn moins de dix ans, Facebook est devenu l’une des entreprises de technologie parmi les plus puissantes
du monde. Les chiffres autour de Facebook donnent le tournis à n’importe qui. De son milliard d’utilisateurs à la valorisation de 100 milliards lors de l’introduction, Facebook est avant tout l’histoire d’un homme très intelligent, ultra ambitieux et dont les secrets n’ont pas encore tous été dévoilés.
amais dans l’histoire une entreprise n’aura fait l’objet de tels commentaires en aussi peu de temps. Songez en effet que l’histoire de Facebook a déjà fait l’objet d’un film, six ans seulement après la création de l’entreprise, réalisé par l’un des maîtres du cinéma actuel, à savoir David Fincher, à qui l’on doit notamment Alien 3, Seven, The Game, Fight Club ou encore Millenium. The Social Network raconte l’histoire des débuts de Facebook jusqu’à l’installation de l’entreprise en Californie avec l’arrivée des premier investisseurs. Mark Zuckerberg s’est exprimé à plusieurs reprises sur ce qu’il pensait du film en prenant soin à chaque fois de répéter que tout ceci n’était que pure fiction. Le fondateur considère que le livre The Facebook Effect rédigé par David Fitzpatrick est plus conforme à la réalité alors que Accidental Billionaires ou encore La Revanche d’un Solitaire de Ben Mezrich, qui ont servi de trame au film ne seraient pas réalistes. Il explique que c’est pour cette raison que ni Facebook, ni Zuckerberg n’ont souhaité participer à l’aventure. Notons tout de même que David Fitzpatrick a été choisi directement par Mark Zuckerberg et ses équipes pour rédiger ce livre. De manière générale, la communication de Facebook avec les journalistes est extrêmement formatée, nous y reviendrons. D’ailleurs pour les besoins de cet article, nous avons contacté quelques personnes ainsi que l’agence de presse pour obtenir une interview d’un dirigeant français. Si on nous a bien contacté pour enregistrer notre demande, nous n’avons plus aucune nouvelle depuis. Essayons ici de démêler le vrai du faux dans cette « histoire ».
Plus nerd que geek
Mark Zuckerberg est né dans la banlieue de New York, près des rives de l’Hudson, à Docksferry. Avec ses trois soeurs – une grande et deux petites –, il grandit paisiblement dans une maison où son père Edward, dentiste, exerce sa profession. Après avoir manié le fleuret, le jeune Mark se tourne vers l’informatique. À partir de 12 ans, il avale un premier livre et peu de temps après met en réseau l’ensemble des ordinateurs familiaux et crée une version en ligne du célèbre jeu de société Risk. Si certains le qualifient de geek, la définition plus conforme est celle de « nerd » , c’est-à-dire un véritable fondu de développement informatique, un domaine qui va l’absorber totalement. Les quelques camarades de collège confirment cette passion et expliquent qu’il était véritablement surdoué, choisissant notamment des domaines d’apprentissage avec deux ou trois ans d’avance par rapport à la normale. Cette boulimie d’informatique va avoir pour conséquence d’isoler encore plus un garçon déjà d’un naturel plutôt timide. Alors qu’il est encore au collège, il suit pourtant les cours d’informatique du lycée, ce qui a pour effet de le couper des autres, les uns le trouvant trop en avance et les autres trop jeune. Tout cela n’a semble-t-il pas d’importance pour le surdoué qui décide d’aller toujours plus loin dans sa soif de connaissances. Un professeur particulier est recruté puis il va suivre un cours d’informatique pour adultes.
Synapse, son premier logiciel à 17 ans
Le jeune prodige poursuit sa scolarité à la Philips Exeter Academy, un des meilleurs lycées des États-Unis, situé à Boston à quatre heures de route de son domicile familial. Un an après son entrée dans ce lycée de l’élite américaine, le lycéen de 17 ans crée son premier logiciel, Synapse. Ce programme propose des morceaux de musique en fonction des goûts musicaux
et le logiciel rencontre immédiatement le succès. Des milliers de téléchargements sont réalisés en quelques jours et les grands de l’Internet comme Microsoft ou AOL cherchent même à racheter le programme. On lui en proposera jusqu’à 1 million de dollars, mais il refusera toutes ces offres pour finalement le mettre à disposition gratuitement. L’argent n’est pas sa préoccupation, du moins à ce moment. Il continue donc à étudier le plus sérieusement pour intégrer la plus ancienne université des États-Unis et l’une des plus prestigieuses du monde : Harvard et ses 23 000 élèves et 2 500 professeurs, 30 000 candidats chaque année pour 2 000 places, 45 prix Nobel et huit présidents américains, entre autres distinctions. Ben Mezrich décrit les années étudiantes de Zuck – l’un de ses surnoms – comme celles d’un garçon très froid, maîtrisant ses émotions au-delà du raisonnable et ayant des difficultés d’adaptation sociale. Notons toutefois que ce portrait s’il est confirmé par certains est également démenti par d’autres, qui expliquent que Mark est certes assez timide mais qu’il est surtout un très gros bosseur, pétri d’ambition, et qu’il n’aime pas perdre son temps ni se préoccuper de son look. Certains ont longtemps glosé sur ses difficultés relationnelles avec les filles et donc sur le fait que Facebook (thefacebook à l’époque) aurait été créé pour améliorer son « scoring » avec la gent féminine. Cet aspect est l’un des ressorts du film The Social Network. Tout cela a depuis fait long feu, le principal intéressé révélant qu’il avait en réalité rencontré Priscilla Chan – aujourd’hui Madame Zuckerberg – peu de temps après son entrée à Harvard.
Un soir de novembre 2003…
Outre Priscilla, Mark Zuckerberg va faire une autre rencontre décisive à Harvard. Il s’agit d’Eduardo Saverin, un jeune homme d’origine brésilienne, issu d’une famille très riche et lui-même fort doué pour les affaires, notamment en Bourse. M. Saverin est un autre des personnages clés de Facebook pour plusieurs raisons. Zuckerberg et Saverin deviennent rapidement très proches partageant les mêmes goûts.
Facebook va véritablement démarrer par une absence de fonctionnalité au sein des trombinoscopes de Harvard. En effet, ils sont cloisonnés par maisons où logent les étudiants et il n’est possible d’accéder qu’aux images des habitants de sa propre résidence, pas aux autres. Le second aspect est que ces photos prises sur le vif à l’arrivée des élèves ne les mettent pas en valeur et il est impossible de les changer. Un soir de novembre 2003, pendant que l’essentiel des étudiants fait la fête, Zuckerberg et ses amis restent dans leur chambre à partager quelques bières. Voilà ce qu’il écrit sur son blog. « 21h48 : bon, j’ai un peu bu, je ne vais pas vous mentir. On est mardi et il n’est même pas 22h. Et alors ? J’ai ouvert le trombinoscope de Kirkland sur le PC. Le moins que l’on puisse dire est que certaines photos sont franchement ignobles ! » L’idée est donc que chacun puisse accéder aux photos et, en plus, il lance un concours de beauté un peu spécial puisqu’il accole des photos d’animaux à côté de portraits d’étudiants – et d’étudiantes – en demandant de voter pour la meilleure des deux. Le site en question s’appelle Facemash. Pour obtenir toutes les photos de tous les étudiants, il convient de pirater le serveur du campus. Pas difficile du point de vue technique pour un informaticien du niveau de Zuckerberg mais autrement plus délicat du point de vue juridique. Pendant huit heures, le travail se poursuit et le 2 novembre 2003 voit la naissance de Facemash. En quelques heures, c’est l’effervescence sur le campus. Car le programme permet de choisir entre deux personnes (hommes ou femmes) lequel a le meilleur look : 22 000 votes sont enregistrés en quelques heures et tous les serveurs d’Harvard sautent. La bonne blague se transforme en cauchemar puisque le brillant élève est menacé d’exclusion. Finalement, il écope d’un simple avertissement. La principale victime de cette histoire sera Joe Green. Cet ami de Mark qui a participé à l’aventure Facemash subira les foudres de son père qui lui interdira de travailler avec Zuckerberg. Le fils docile obéira, ce qu’il continue à regretter car si son amitié avec Mark Zuckerberg a perduré, il n’a pas participé à la construction de Facebook et les dollars qui vont aujourd’hui avec…
De Facemash à Thefacebook
Pour Zuckerberg, tout a véritablement commencé ce 2 novembre et dans les semaines qui ont suivi. Il est vite devenu l’idole du campus et tout le monde voulait désormais savoir qu’elle était la prochaine idée. Parmi toutes ces personnes figurent les jumeaux Tyler et Cameron
Winklevoss. Ces deux brillants jeunes hommes sont beaux, riches et compétiteurs internationaux en aviron : ils participeront à deux reprises aux Jeux olympiques (2008 et 2012) et ils ont une belle idée pour un site internet : Harvard Connection, un site de mise en relation des élèves du campus. Le seul hic, mais de taille, est qu’ils ne connaissent strictement rien à l’informatique. Ils choisissent donc Zuckerberg pour développer leur site, lequel accepte. Mais ils ne lui font rien signer et Mark ne les informe pas non plus qu’il travaille sur son propre projet. Thefacebook est en chantier. Pour les 1 000 dollars apportés, Eduardo Saverin gagne 30 % des parts. Trois semaines après son lancement, 6 000 utilisateurs sont inscrits et en moins de deux mois, neuf nouvelles universités américaines sont connectées. Pour sa première interview télévisée sur CNBC, Zuckerberg revendique 100 000 utilisateurs. Bien entendu, il veut aller plus loin mais il faut de l’argent. Saverin continue à financer mais la divergence s’installe entre les deux car Saverin voudrait voir un retour sur investissement rapide, notamment par la publicité. Zuckerberg ne veut pas de cela, estimant qu’il convient d’abord de grandir et grandir encore jusqu’à se rendre incontournable avant de tenter de récupérer les sommes investies puis gagner de l’argent. À l’instar de Bill Gates trente ans plus tôt, Mark Zuckerberg quitte Harvard pour se rendre en Californie – de fait Zuck n’est pas diplômé de Harvard tout comme Bill Gates, lequel obtiendra simplement un diplôme honorifique vingt-cinq ans après avoir claqué la porte pour fonder Microsoft.
Les gars de Redmond sont devenus fous !
En 2005, il quitte donc Boston pour Palo Alto dans la Silicon Valley. Il ne reviendra plus et les divergences avec Eduardo Saverin, resté à New York, deviendront définitives. Cependant, il faut de l’argent. C’est là qu’intervient Sean Parker, un vieillard de… 25 ans, créateur de Napster. Avec l’arrivée de ce personnage à la réputation sulfureuse, les rêves de grandeur de Zuckerberg vont prendre encore plus d’importance car Parker va comprendre immédiatement le potentiel du site et va réussir à le vendre à des investisseurs de la Valley. Le premier d’entre eux sera Peter Thiel, le fondateur de PayPal. À la mi-2005, Facebook – qui a remplacé Thefacebook selon la suggestion de Sean Parker, 25 000 dollars étant mobilisés pour acheter le nom de domaine – a déjà 3 millions d’utilisateurs. Mais dans l’esprit de Zuck ce n’est que le début. Une vingtaine de salariés, quelques pubs et l’argent des premiers investisseurs permettent d’aller plus loin. Beaucoup plus loin. Les investissements vont donc augmenter de partout. Microsoft, notamment, investira 250 millions de dollars pour 5 % du capital. À l’époque, certains prétendront que « les gars de Redmond » sont devenus fous. Ce n’est qu’au moment de refaire les comptes lors de l’introduction en Bourse que l’on s’apercevra de la justesse de l’investissement, les 5 % valant alors près de 5 milliards, soit une multiplication par 40 fois en quatre ans. Quant à Peter Thiel, il a bénéficié sans doute de l’un des plus fameux jackpots de l’histoire du capitalisme car après avoir investi 500 000 dollars puis pris 7 % du capital, il revendra l’essentiel de ses actions restantes à l’été 2012 pour récupérer 400 millions de dollars alors que le cours est au plus bas. Les années passèrent et Facebook poursuivit alors son ascension fulgurante pour culminer à plus de 1 milliard de membres avant la fin de l’année 2012. Étant précisé que la nation la plus peuplée du monde n’autorise pas la création d’un compte sur ce site… L’introduction en Bourse n’a pas été aussi glorieuse que d’aucuns auraient pu l’espérer mais a tout de même constitué la plus grande introduction d’une valeur technologique de l’histoire de la Bourse américaine, l’entreprise levant 12 milliards de dollars (2 milliards pour Google en 2004), pour une valorisation de 100 milliards de dollars – 68 milliards aujourd’hui.<