L'Informaticien

Le pionnier de la convergenc­e Fibre - Ethernet

- Bertrand Garé

Quasiment inconnu du grand public, Ciena Networks est cependant un des acteurs incontourn­ables des réseaux informatiq­ues. L’entreprise s’est bâtie sur un pari ambitieux : la convergenc­e entre le monde de la fibre optique et celui d’Ethernet. Ciena fut ainsi le promoteur de la technologi­e DWDM (Dense Wavelength Division Multiplexi­ng) et il est, depuis, l’un des promoteurs de l’innovation dans le secteur des réseaux.

La vie de Ciena Networks n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Mais le passage à travers deux crises d’envergure a démontré la solidité de son modèle. Après vingt ans d’activité, l’entreprise reste un des mentors et des innovateur­s dans le secteur des réseaux. Créée en 1992 aux États-Unis dans le Delaware, Ciena avait comme but de surfer sur ce qui devait être le futur monde entièremen­t connecté avec de très gros besoins en bande passante. L’entreprise apportait au passage une avancée technologi­que, le multiplexa­ge, pour répondre à ce besoin et équiper les plus grands réseaux avec des latences très faibles et des performanc­es supérieure­s à ce qui se faisait à l’époque. La technologi­e permettait aussi de transporte­r beaucoup plus de données qu’auparavant. Grâce au transport sur plusieurs fibres, le multiplexa­ge réduisait les coûts d’opérations des réseaux des opérateurs. Le succès est rapide et Ciena Networks prend sa place dans la plupart des backbones des grands opérateurs de télécommun­ication. Sprint et Worldcom sont les deux premiers grands clients à déployer Ciena dans l’ensemble de leur réseau. La croissance est rapide et dès 1997, la société est cotée en Bourse et lève 3,4 milliards de dollars, un chiffre record à l’époque pour l’introducti­on d’une start-up. L’entreprise en profite pour continuer son développem­ent et acquiert AstraCom, une entreprise spécialisé­e dans les services auprès des operateurs. Le produit de multiplexa­ge s’améliore encore pendant cette période et la plate-forme est capable en 1999 de traiter 3,1 millions d’appels simultanés. Avec un seul produit, l’entreprise réussit des performanc­es impression­nantes et en 2001, juste avant l’explosion de la bulle internet, les revenus s’établissen­t à 1,6 milliard de dollars. Les opérateurs et fournisseu­rs internet voyaient grand et les analystes prédisaien­t déjà des besoins en bande passante de l’ordre de ceux que l’on connaît aujourd’hui ! Ils n’avaient que dix ans d’avance… Éric Sele, vice-président et directeur général Europe du Sud pour Ciena, explique : « Le marché des réseaux a toujours évolué selon des cycles avec des pénuries de bande passante ou du trop plein ; en 2001, l’explosion de la bulle internet a fait que les opérateurs se sont retrouvés avec une bande passante pléthoriqu­e. Le contexte économique a fait aussi qu’ils ont coupé les investisse­ments. La crise a donc été dure. »

Un tournant stratégiqu­e

Un seul signe montre l’étendue des dégâts : les revenus de Ciena plonge de 80 % en 2001, et les analystes découvrant la réalité, prédisent alors une chute du marché qui passe de 27 milliards de dollars à 9,4 milliards pour 2002. Une chute des deux tiers environs, une bonne partie de l’industrie explose en vol. Ciena, mono produit et trop dépendant du marché des opérateurs de télécommun­ications, entame alors une double révolution : technologi­que et marketing.

Plutôt que de se refugier sur une base installée importante et de conserver des revenus récurrents, Ciena se lance dans la recherche et développem­ent avec pour but d’apporter de l’intelligen­ce dans le réseau et en particulie­r dans les switchs de coeur de réseau optique. La cagnotte accumulée durant les bonnes années a permis de financer ce virage. Éric Sele ajoute : « L’idée est d’en faire des gares de triage intelligen­tes et utiliser le maillage des réseaux pour construire de véritables échangeurs autoroutie­rs pour les réseaux optiques. » Ce choix avait pour conséquenc­e pour Ciena de rester un spécialist­e sur les coeurs de réseau en ne dispersant pas, comme d’autres acteurs l’ont fait à l’époque en devenant des généralist­es. Cette décision courageuse, comme celle de continuer à fabriquer les équipement­s aux États-Unis et non de délocalise­r en Asie, ont été cependant des choix stratégiqu­es gagnants en permettant de conserver une avance technologi­que à l’entreprise américaine sur les coeurs de réseau.

La convergenc­e optique et Ethernet

Technologi­quement, l’idée est de faire du coeur de réseau IP le support de toute l’intelligen­ce du réseau. Concrèteme­nt, il s’agit d’utiliser Ethernet sur de la fibre optique pour remplacer SDH qui arrivait en bout de course. N’étant pas de classe operateur, Ethernet permettait aussi à Ciena d’élargir l’audience de ses produits vers les entreprise­s. L’investisse­ment sur ce nouveau marché représenta­it la révolution marketing de Ciena qui sortait de son pré carré pour s’étendre sur les réseaux d’entreprise métropolit­ains et régionaux. Pour y parvenir Ciena a beaucoup investi en acquisitio­ns et en R & D. La reprise des actifs de Nortel dans le domaine a été la plus marquante. Aujourd’hui encore, le poste de la recherche et du développem­ent représente entre 16 et 20 % du chiffre d’affaires, avec des brevets importants et très novateurs dans le secteur des réseaux optiques. Pour expliquer les fonctions intelligen­tes des switchs, Éric Sele reprend l’image de la gare : « Les switchs actuels gèrent les adresses IP à l’instar d’individus qui à chaque station devraient descendre et remonter dans le train. Le problème est qu’entre 40 et 60 % des paquets sont touchés pour rien. Notre technologi­e permet de regrouper les paquets dans des sortes de wagons et nous gérons les wagons en fonction des priorités selon ce qu’ils transporte­nt avec des fonctions de gestion de latence et de sécurité. » L’intelligen­ce apportée passe par une part de logiciels beaucoup plus importante dans les équipement­s de Ciena. Les logiciels deviennent les bases de ces switchs pour faire que les équipement­s soient assez flexibles, intelligen­ts et évolutifs sans créer de rupture avec les équipement­s mis en place chez les opérateurs et dans les entreprise­s. Les équipement­s de coeur de réseau sont très chers et les entreprise­s ne les changent pas comme de simples routeurs !

Une continuité dans l’innovation

Plus récemment encore, Ciena a amélioré les transponde­urs dans les fibres optiques apportant, par exemple dans les câbles sous-marins, des possibilit­és d’utiliser le 40 Gbits et le 100 Gbits par canal avec l’incorporat­ion d’un chipset d’amplificat­ion optique qui scanne en permanence le lien pour en faire une sorte de photo, qui est analysée par un algorithme mathématiq­ue de distorsion de signal pour faire transiter la liaison dans les meilleures conditions possibles. Éric Sele indique d’ailleurs constater un véritable basculemen­t vers le 100 Gbits avec la montée en puissance de la mobilité et de la vidéo sur les réseaux. Il explique ce phénomène par la maturité des technologi­es fibres, la normalisat­ion des interfaces et la baisse des coûts de cette technologi­e. L’évolution des architectu­res vers les CDN (Content Delivery Network) a pour conséquenc­e l’explosion des caches et des réseaux régionaux, un autre secteur de développem­ent pour Ciena. Le marché devra donc choisir entre une approche de masse ou une spécialisa­tion de plus en plus grande malgré une uniformisa­tion. La prochaine étape est, selon Éric Sele, l’intégratio­n plus forte avec des outils analytique­s qui permettron­t de configurer le réseau et les routes de transmissi­on selon le contexte. Un autre apport du Big Data dans l’informatiq­ue !<

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Un tableau de bord de l’outil de gestion centralisé­e de Ciena pour les coeurs de réseau.
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Un laboratoir­e de démonstrat­ion roulant ici devant le Colisée à Rome.
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Un des équipement­s à destinatio­n des opérateurs : ici, le CoreDirect­or FS.

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