La 5G en ordre de bataille
Le Mobile World Congress a été cette année la vitrine de la 5G. La standardisation en novembre 2017 de la prochaine génération de réseaux mobiles était le signal de départ qu’attendait l’industrie, qui exposait ses avancées sur le Salon et préparait le terrain avant les premiers lancements commerciaux.
La 5G était partout dans les allées du Mobile World Congress 2018. Dire que c’est une première serait faux : l’an dernier, constructeurs et équipementiers avaient déjà ce mot à la bouche. Mais sa standardisation en novembre par le 3GPP ( Third Generation Partnership Project), organisme de coopération internationale qui définit les spécifications techniques des réseaux mobiles, a ouvert les vannes. Et le test grandeur nature réalisé par l’opérateur sud- coréen KT, avec quelques partenaires dont Samsung, lors des JO d’hiver de Pyeongchang, a donné le « la » de la grand- messe européenne de la mobilité. Les rivalités autour du concours du plus gros débit en 2017 a laissé la place, en 2018, à moult annonces et partenariats entre équipementiers, constructeurs, opérateurs et éditeurs. Car l’heure approche… Pour paraphraser Jean Varaldi, directeur général de Qualcomm France, 2017 était l’année des débits et de la standardisation, 2018 est celle des expérimentations et des premiers déploiements, 2019 sera marquée par les premiers « devices » compatibles. Et tout cela nous mène à 2020 et l’exploitation commerciale de la 5G, même si nous risquons, en France et plus largement en Europe, d’attendre 2021 voire 2022 pour commencer à profiter de la 5G.
Latence et slicing
Mais de quoi parle- t- on exactement ? Il était question au MWC de la version « non standalone » de la 5G NR, une capacité supplémentaire de data, et non de son pendant « standalone » qui doit être standardisé cette année
– certainement vers l’été – par le 3GPP, qui définira cette fois- ci les bases d’un nouveau coeur de réseau. En d’autres termes, la norme actuelle utilisera l’infrastructure 4G. Dans sa version actuelle, la 5G offre un débit théorique descendant de 20 gigabits/ seconde et montant de 10 gigabits/ seconde, contre 125 mégabits/ seconde pour les réseaux 4G. De quoi répondre à « la hausse du besoin capacitaire, ce à quoi la 4G ne suffit pas » , nous explique Jean Varaldi. Surtout, la 5G permet une réduction substantielle de la latence, passant d’entre 25 et 40 millisecondes pour la 4G à moins d’une milliseconde. Pour se faire une idée plus concrète des mérites de la 5G, rien ne vaut la comparaison directe avec la 4G et il fallait aller voir du côté d’Ericsson. L’équipementier suédois, qui compte bien profiter de la nouvelle génération pour sortir du creux de la vague, présentait sur son stand un chantier modèle réduit. On pouvait y télécommander deux engins miniatures, l’un connecté à un réseau 4G, l’autre en 5G. Et force est de reconnaître que l’amélioration ne fait aucun doute, surtout en termes de latence. Les mouvements du véhicule 5G sont bien plus fluides, plus réactifs aux commandes, que son petit frère 4G. Une différence visible à l’oeil nu, quand bien même nous parlons ici de millisecondes. Une des grandes innovations permises est le « network slicing » , dont nous vous parlions déjà l’an dernier. Propulsé par le SDN ( Software Defined Network) et le NFV ( Network Virtualized Function), ce concept consiste à « découper » le réseau et allouer les différentes « tranches » à des usages spécifiques, de telle sorte que l’envoi de données critiques vers un système soit prioritaire et ne soit pas « pollué » par des données qui le sont moins. Conduite autonome, robotique de précision, smart cities et télémédecine ( voire chirurgie) ne sont que quelques- uns des domaines touchés par ce principe. Illustration chez Nokia avec une simulation de ville et de son réseau de caméras de vidéosurveillance. Un accident survient ! Le programme maison de « slicing » sépare alors les flux vidéo montrant le lieu de l’accident des autres flux sur le réseau, créant une « tranche » à laquelle les ressources du réseau initial sont allouées en priorité. Ce qui met quelque peu à mal le principe de neutralité du Net : il faudra observer dans les années à venir comment l’industrie s’accommode des règles en vigueur. Restons chez Nokia, en passant du stand à la scène. Lors de sa conférence, Rajeel Suri, le CEO de Nokia Networks, a assuré que « la 5G arrive plus rapidement que ce que nous avions prévu » , annonçant le lancement des premiers réseaux commerciaux « dès la fin de cette année » . En effet, Verizon nous apprend qu’il lancera dans la seconde moitié de 2018 un réseau 5G commercial à Sacramento, Californie. China Mobile, qui vient justement de signer un accord avec le Finlandais, lancera des réseaux commerciaux l’année prochaine, mais va tester dès le second trimestre 2018 des déploiements massifs dans cinq villes chinoises, dont Shanghai et Hanghzou, et à plus petite échelle dans une douzaine d’autres agglomérations. Pourquoi en effet retarder plus longtemps le déploiement des réseaux 5G ? Chez les fabricants de semi- conducteurs, on est sur le pied de guerre et ça ne date pas d’hier. Qualcomm a son Snapdragon X50 et Intel son XMM 8060. Huawei est venu clore le bal à Barcelone en levant le voile à la fin de sa keynote sur le Balong 5G01, son modem 5G.
2018, l’année de tests
Les expérimentations vont se multiplier cette année, après le test grandeur nature menée à Pyeongchang
lors des JO. En France, Orange annonce des tests à Lille et à Douai. L’opérateur historique fait partie de la liste des 19 telcos qui ont signé avec Qualcomm pour mener des expérimentations sur la base du modem X50. Bouygues Telecom, lui, a signé avec Huawei, à l’instar d’Optus en Australie ou de Telus au Canada. Il mènera des tests à Bordeaux. Ericsson, pour sa part, a communiqué lors du MWC sur la quarantaine de partenariats signés avec les opérateurs à travers le monde. Les fréquences des bandes 3,5 GHz et millimétriques sont ou seront prochainement attribuées : Ajiit Pai, le patron de la FCC, a annoncé à Barcelone la mise aux enchères de deux plages de fréquences plus tard cette année. Toute l’industrie semble avoir en ligne de mire 2020 et plus particulièrement les Jeux olympiques de Tokyo, qui seront vraisemblablement le coup d’envoi véritable de la 5G commerciale à grande échelle. On peut s’attendre en tout cas à ce que l’infrastructure nécessaire soit déjà bien développée d’ici là, d’autant que les éditeurs de solutions de virtualisation de réseaux poussent en ce sens. Le mobile edge computing, également qualifié chez Ericsson de « Cloud distribué » , et plus globalement les besoins d’infrastructure de la 5G, exigent des opérateurs qu’ils « simplifient leurs opérations » , un enjeu « tant en termes d’automatisation que de sécurité » . Le discours tenu est le même dans la bouche de Ian Hood, Chief Technologist Global Service Provider chez Red Hat et Gabriele Di Piazza, vice- président Products & Solutions pour la branche Telco NFV de VMware, malgré les approches diamétralement opposées ( open- source vs. propriétaire) des deux entreprises. Tous deux positionnent leurs solutions NFV et SDN aussi bien chez les équipementiers ( Ericsson et Nokia par exemple) que chez les telcos ( AT& T prévoit ainsi virtualiser 75 % de son réseau d’ici à
2020). Précisons toutefois que la virtualisation des réseaux ne date pas de cette année et n’est pas exclusivement liée au déploiement de la 5G. Les puces sont prêtes, les antennes aussi, les réseaux sont en cours de virtualisation, les opérateurs et les équipementiers ont ou vont commencer leurs essais… que manque- t- il donc à la 5G pour se lancer ? De l’avis de SK Telecom, KT, China Mobile ou encore Intel, l’enjeu maintenant est de mettre au point des terminaux compatibles.
Vers le smartphone 5G
ZTE, qui présente l’évolution de son Gigabit Phone, le 1,2 Gigabit Phone, devrait lancer son premier smartphone compatible en 2019, voire fin 2018 selon les prévisions les plus optimistes de notre interlocuteur sur le stand du constructeur chinois. De même, Samsung devrait être prêt en 2019, peut- être avec le Galaxy S10. Mais chez SK, on nous murmure à l’oreille que le constructeur sud- coréen pourrait commercialiser un smartphone 5G avant la fin de l’année. Et on se rappellera qu’en 2013 était sortie une version 4G du Galaxy S4 en fin d’année, Samsung prenant un peu d’avance sur le S5 qu’il commercialisera l’année suivante. Un S9 5G en fin d’année est donc une hypothèse envisageable. Notons en outre que KT exposait une tablette, à l’état de prototype, conçue par Samsung et compatible 5G. Il faut également compter sur Huawei, qui ne compte pas se laisser damer le pion par ses concurrents et entend bien être le premier à commercialiser un smartphone 5G. Le géant chinois a d’ores et déjà présenté une box 5G embarquant sa puce Balong 5G01 et deux routeurs. Chez Sony, c’est un autre son de cloche qui se fait entendre. On nous explique qu’il s’agit de ne « pas mettre la charrue avant les boeufs » , même si le Japonais est associé à Qualcomm : on ne devrait pas voir de Xperia 5G avant 2020. Chez Intel, on avait installé un PC deux- en- un fait maison embarquant le modem XMM 8060. Un simple PoC, le fondeur n’ayant pas la prétention de fabriquer en plus de puces la prochaine génération d’ordinateurs 5G. Intel souligne que « les OEM vont suivre et les premiers PC 5G- compatibles devraient être annoncés l’année prochaine » . Faute de smartphones, l’industrie s’est rabattue sur tout ce qui peut de près ou de loin embarquer un modem 5G. SK Telecom exposait ainsi une voiture autonome, Saudi Telecom ou encore NTT Docomo des robots. Le « Robot 5G » de l’opérateur nippon, un humanoïde, reproduisait les mouvements d’un humain : grâce à la très faible latence, les gestes étaient répétés presque simultanément par la machine, ce qui est à la fois bluffant et un peu effrayant. Les caméras 360° et les casques de réalité virtuelle avaient eux aussi la cote. Soyons un peu chauvin : Orange avait installé à quelques kilomètres de la Fiera, où se tient le MWC, dans un téléphérique, une caméra 360° connectée en 5G. Sur le stand d’Orange, on pouvait, casque de réalité virtuelle vissé sur le crâne, « être » dans ledit téléphérique. Et contrairement à la VR mobile habituelle, on avait droit à une latence quasi- inexistante et à une excellente qualité vidéo. Comme si vous y étiez ! Nous étions également en Finlande, dans les bureaux de Nokia, là encore en VR, à échanger en temps réel avec un ingénieur de l’équipementier sur place. Les exemples et démonstrations étaient légion sur le Salon, mais il faut rappeler qu’il s’agit toujours de prototypes. Nous attendons donc avec impatience l’année prochaine, en espérant entrapercevoir au Mobile World Congress 2019 le tout premier smartphone 5G ! ❍