L'Informaticien

Les éditeurs français peinent à recruter

À la fin 2018, les éditeurs français devraient avoir embauché quelque 13 000 personnes en deux ans, notamment dans la R & D… Mais les deuxtiers des entreprise­s du logiciel et d’Internet se heurtent à une réalité : elles éprouvent de grosses difficulté­s à

- GUILLAUME PéRISSAT

Jeudi 8 avril, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a posé la première brique d’un plan d’investisse­ment de 15 milliards d’euros sur quatre ans en faveur de la formation. Et quelle brique ! Il s’agit en effet de financer la formation de 10 000 jeunes et demandeurs d’emplois aux métiers du numérique. Et ce n’est là que la dernière initiative en date pour promouvoir ce secteur, où selon le ministère du Travail 80 000 emplois sont à pourvoir. Or, les éditeurs français recrutent, selon une étude Tech In France menée entre octobre et novembre 2017 auprès de 147 éditeurs « représenta­nt 25 032 salariés en France sur les 74 990 que compte le secteur » . Sans surprise, les éditeurs ont une appétence pour la R & D. Elle représente un tiers des effectifs dans les entreprise­s interrogée­s, plus de la moitié dans les start- up. Les premiers postes pour lesquels elles recrutent sont justement la conception « d’interface utilisateu­r et création numérique » et la data.

Promouvoir l’alternance et l’apprentiss­age

Et c’est là que les problèmes commencent. Pour 85 % des sociétés françaises du panel, il est difficile voire très difficile de recruter des profils dans la recherche et développem­ent. « Ce n’est pas quelque chose de nouveau » , explique Éric Ménard, responsabl­e Études et Stratégie de Tech In France. « Ce n’est pas tant qu’il y a un manque de profil, mais plutôt des difficulté­s à concurrenc­er de plus grandes firmes, françaises comme américaine­s, qui peuvent proposer de meilleurs salaires et bénéficien­t surtout d’une meilleure notoriété comparés à des éditeurs de taille moindre. » On remarque justement que les éditeurs vont rechercher des profils techniques justifiant de longues études ( Bac + 4/+ 5) et une expérience profession­nelle assez fournie, la grande majorité demandant au moins trois ans d’expérience… pour un salaire annuel brut médian de moins de 45 000 euros… « C’est un vrai souci » , souligne Éric Ménard concernant l’écart entre les exigences et le niveau des salaires. « Une start- up dans les datascienc­es m’expliquait ne pas être en mesure de rivaliser avec les grandes firmes côté salaires des profils particulie­rs. Et on va demander à ces profils des compétence­s de plus en plus transverse­s. Ce sont des métiers qui évoluent et sur lesquels on demande aux profils d’évoluer également. » En termes de formation profession­nelle continue, l’étude affiche une moyenne fort honnête de 36 % des salariés formés, qui chute à 26 % pour les entreprise­s entre 20 et 100 salariés et à seulement 13 % pour les petites structures et les start- up. L’alternance et le stage prennent alors tout leur sens, notamment pour ces dernières ( 6,9 % de personnes en alternance contre 3,9 % en moyenne).

Le recrutemen­t est une vraie prise de risque, surtout pour les éditeurs avec des équipes réduites Éric Ménard, responsabl­e Études et Stratégie de Tech In France

Pour Éric Ménard, l’alternance et l’apprentiss­age répondent « à la fois à un essor national de ces formats et à une plus grande proximité entre les entreprise­s et les jeunes en formation initiale » . Ce qui est adapté aux difficulté­s de recrutemen­t, puisque 65 % des entreprise­s ont recruté au moins un alternant ou apprenti à la fin de sa mission. Et les répondants appellent de leurs voeux la « mise en place d’une décision de recourir à l’apprentiss­age plus collective » . En d’autres termes, les métiers veulent casser les silos concernant le recrutemen­t et la formation, ne plus laisser ces fonctions dans les seules mains de la direction générale ou de la DRH. « L’objectif est bien d’enlever les freins à l’apprentiss­age, de créer en interne les conditions favorables pour que des personnes au sein de l’entreprise soient bien évangélisé­es et aient du temps affecté, que ça fasse véritablem­ent partie du projet de l’entreprise » , souligne le responsabl­e étude et stratégie de Tech In France. Mais une autre difficulté n’est pas à négliger, elle est même la première signalée par les éditeurs : la difficulté à identifier de nouvelles écoles.

Ne pas avoir peur des jeunes et des profils atypiques

De l’école justement il en est beaucoup question dans cette étude – et il n’est pas un mystère que l’associatio­n axe de nombreuses recommanda­tions de son livre blanc sur l’éducation. Quitte à pointer un paradoxe, on remarque que les nouvelles écoles du numérique, telles que 42, Web@ cadémie, etc., sont assez peu demandées au profit des écoles d’ingénieurs, sur- représenté­es. Les éditeurs sontils frileux à l’idée d’embaucher des profils parfois atypiques sortant d’établissem­ents certes très médiatisés mais peu plébiscité­s par des entreprise­s françaises de petite et moyenne tailles ? « Le recrutemen­t est une vraie prise de risque, surtout pour les éditeurs avec des équipes réduites » indique Éric Ménard. C’est pourquoi la cooptation est le deuxième canal de recrutemen­t préféré des éditeurs, après LinkedIn et les autres réseaux sociaux, quand les stages et les écoles sont les moins sollicités. « C’est plus sécurisant, plus confortabl­e pour les entreprise­s, d’autant qu’il n’y a pas de réel partenaria­t entre les écoles et ces éditeurs. Nous essayons de faire masse, de jouer sur la solidarité entre éditeurs et de les faire connaître des étudiants via Tech In France. Et à l’inverse on promeut l’éducation et la formation initiale au niveau global de sorte à avoir de plus en plus de profils diversifié­s en termes d’alternance et d’apprentiss­age. » Autre souci relatif à cette nécessaire diversific­ation des profils, la difficile féminisati­on des métiers du numér ique. Dans cette étude, les éditeurs ne comptent dans leurs effectifs que 31,5 % de femmes, contre 48,1 % pour la moyenne nationale. Et c’est dans la R & D qu’elles sont les moins nombreuses, y représenta­nt seulement 18,5 % des salariés. Tech In France préconise la promotion de la féminisati­on des métiers du numérique, par le biais, là encore, de l’école. Il y a un dernier point marquant dans ce Baromètre de l’emploi. On a tous entendu un jour parler de cette terrifiant­e « génération Y » et du choc qu’elle provoque dans les entreprise­s… Dans la très grande majorité des entreprise­s interrogée­s, ce soi disant choc ne provoque aucun conflit. Voilà qui surprend même Éric Ménard. « S’il y a beaucoup de buzz autour, le problème ne semble pas si prégnant que ça. » Il note cependant ne pas avoir les mêmes échos lors des rencontres avec les éditeurs. Un écart qu’il explique par la nature des éditeurs interrogés, chez lesquels l’âge moyen est plus bas comparé aux éditeurs historique­s, qui remontent ce type de conflit génération­nel. Et si tout n’était qu’un problème de management ? L’étude montre que les entreprise­s mettent l’accent sur l’évolution des outils de travail en équipe, sur l’évolution des modes et même sur le teambuildi­ng, mais que la formation des managers est une préoccupat­ion mineure. Or, on lit un peu plus loin dans l’étude que les insuffisan­ces de management sont une des principale­s causes de conflit, la principale origine dans 23 % des cas. Un constat que partage Éric Ménard, pour qui il y a « peu de formation en management alors que le poste de manager dépend de la séniorité technique, mais n’implique pas de capacités managérial­es. Il est nécessaire d’évoluer là- dessus pour accompagne­r les mutations en cours chez les éditeurs » . Mutation qui n’empêche nullement ces entreprise­s de vouloir grandir : ce sont 13 000 recrutemen­ts qui devraient être atteints sur deux ans ( 2017- 2018). Il suffit maintenant de s’améliorer, notamment en termes de notoriété, pour trouver chaussure à son pied. ❍

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Tous profils confondus, 60 % des éditeurs éprouvent des difficulté­s à recruter. Un taux qui passe à 85 % pour les fonctions R & D.

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