L'Informaticien

« LA COLLECTE AURAIT DÛ ÊTRE FAITE DE FAÇON LOYALE »

Alexandre Archambaul­t est avocat, fin connaisseu­r du droit des nouvelles technologi­es et des données personnell­es. Il fut directeur des affaires règlementa­ires de Free, en charge du pôle Internet et Cybersécur­ité.

- ME ALEXANDRE ARCHAMBAUL­T PROPOS RECUEILLIS PAR M. R.

Avec votre oeil de juriste, comment analysez- vous cette affaire ?

Quel plus beau cas pour faire taire les derniers sceptiques sur l’intérêt du RGPD ! Ce n’est pas une affaire limitée à un pays donné, mais qui peut concerner l’ensemble des clients d’une plate- forme. Cela nous conduit donc à raisonner en approche globale, ici à la maille de l’Europe qui, rappelons- le, est en termes d’utilisateu­rs devant les États- Unis, alors que jusqu’à présent les législatio­ns nationales étaient un peu désemparée­s.

Pourquoi désemparée­s ?

Des juridictio­ns étaient prêtes à faire de la créativité, typiquemen­t en France où on a considéré que dès lors que Facebook ciblait un utilisateu­r français, alors le droit national de la consommati­on ainsi que celui de la protection de la vie privée et des données personnell­es devaient s’appliquer. On restait néanmoins sur notre faim. Si cette affaire était arrivée avec un RGPD d’ores et déjà appliqué, on aurait eu l’exemple concret que ce texte n’est pas là pour embêter le monde. Il permet au contraire de traiter les failles du dispositif sous un angle européen. L’argument qui consiste à dire que les données ont été communiqué­es par les internaute­s au réseau social est d’ailleurs insuffisan­t. Le RGPD ne se limite pas qu’à la seule collecte, mais vise également le traitement et l’exploitati­on des données. En amont, la finalité doit être présentée de façon claire et loyale, en aval on doit s’attacher à ce que le traitement et l’exploitati­on respectent les finalités exposées. Autant de conditions qui semblent faire défaut dans l’af- faire Facebook/ Cambridge Analytica puisque la finalité du traitement des données collectées sous forme d’un test de personnali­té s’est avérée à mille lieues de ce qui a été présenté.

Que peut faire une personne qui s’estime avoir été victime de Facebook ou de Cambridge Analytica ?

Déjà, elle peut retirer son consenteme­nt gratuiteme­nt et simplement. Facebook a mis en place une nouvelle interface qui permet à chacun de vérifier et révoquer les autorisati­ons des applicatio­ns tierces. Sur la réparation du préjudice, il peut y avoir une faute de la part de celui qui a collecté les données, celle de ne pas avoir été suffisamme­nt vigilant que ce soit en amont avec la présentati­on des finalités du traitement, le recueil du consenteme­nt, mais également en aval avec la protection de la confidenti­alité des données collectées ainsi que le contrôle de l’usage qui peut en être fait par des tiers. Comme l’a déjà décidé la Cnil dans de récentes décisions anticipant le RGPD, on ne peut plus se retrancher derrière la cape du sous- traitant. Sur le terrain civil, une victime peut d’ores et déjà monter un dossier d’indemnisat­ion, avec un cheminemen­t classique : la démonstrat­ion d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de cause à effet. Il reste également la possibilit­é de saisir la Cnil pour faire sanctionne­r de tels comporteme­nts, étant précisé qu’elle ne peut procéder à l’indemnisat­ion des préjudices individuel­s – il faut saisir le juge pour cela. Cependant, l’enquête se fera sous l’emprise préRGPD alors qu’à partir du 25 mai, les obligation­s seront nettement plus claires. Les sanctions peuvent atteindre des niveaux dissuasifs pour inciter les entreprise­s à respecter la philosophi­e du règlement, – qui, rappelons- le, est un texte profondéme­nt novateur car il privilégie la confiance et la responsabi­lisation au contrôle bureaucrat­ique – et collaborer avec les autorités en charge de la protection des données personnell­es.

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