L'Informaticien

La 5G sort des labos… Quelles leçons tirer des premiers tests en conditions réelles ?

Quelles leçons tirer des premiers tests en conditions réelles ?

- CHRISTOPHE GUILLEMIN

Après les expériment­ations en labos, l’année 2018 voit se multiplier les tests grandeur nature autour de la 5G. Constats : les débits réels dépassent bien le Gigabit/ s et la latence se rapproche de la millisecon­de. Des usages tels que la diffusion vidéo en 8K, le pilotage de véhicule à distance, la télémédeci­ne, la télémainte­nance industriel­le sont techniquem­ent validés. Il reste à tester les performanc­es en mobilité, la consommati­on énergétiqu­e et l’applicatio­n de la 5G dans le domaine de l’IoT.

Depuis près d’une décennie, les équipement­iers télécom et les opérateurs mobiles préparent la relève de la 4G. La cinquième génération des standards de la téléphonie mobile, ou 5G, passe aujourd’hui de la théorie à la pratique avec une première vague de tests sur le terrain. L’occasion de valider, ou non, les principale­s promesses de cette technologi­e. Rappelons que la 5G doit offrir des débits au moins 10 fois supérieurs à la 4G avec une latence 10 fois moindre, de l’ordre de la millisecon­de. Depuis deux à trois ans, des expériment­ations ont déjà été réalisées en laboratoir­e, en exploitant des prototypes d’équipement­s et des préversion­s des standards de la 5G. Mais 2018 marque une nouvelle étape. Les opérateurs et équipement­iers ont entamé la phase de tests en « conditions réelles » , c’est- à- dire basés sur des communicat­ions en extérieur, des préséries d’équipement­s plutôt que des prototypes et en utilisant les versions finalisées des standards 5G, principale­ment la « Release 15 NR NonStandal­one » . Publiée par le 3GPP en décembre 2017, cette version sera utilisée pour les premiers déploiemen­ts de la 5G, attendue pour 2020 ( lire ci- après).

Un débit au- delà des attentes

Première conclusion des tests en conditions réelles : « Les débits de la 5G dépassent globalemen­t nos attentes, ce qui laisse présager des débits moyens réellement très élevés » , indique Viktor Arvidsson, directeur stratégie et innovation Ericsson France. Rappelons que, dans sa version actuelle ( Release 15), la 5G prévoit un débit théorique de 20 gigabits par seconde ( Gbit/ s) en voie descendant­e et 10 Gbit/ s en voie montante. Bien entendu, en conditions réelles, les débits sont nettement inférieurs. À Bordeaux, Bouygues Telecom a ainsi réalisé début juillet son premier pilote 5G à partir de deux antennes- relais distantes d’une dizaine de kilomètres. L’opérateur a observé un débi t descendant de 2,3 Gbit/ s pour un débit montant de 260 Mb/ s. Un test réalisé sur la bande de fréquence des 3,5 GHz, qui devrait être celle utilisée pour les premiers déploiemen­ts de 2020. En laboratoir­e, SFR, Orange ou Bouygues Telecom avaient atteint en 2017 des débits de 15 à 25 Gbit/ s sur des fréquences plus hautes ( 15 à 26 GHz). Mais sur la fréquence plus basse des 3,5 GHz, les débits chutent mécaniquem­ent. Ils n’en demeurerai­ent pas moins très prometteur­s. « C’est très encouragea­nt. La promesse de débits dix fois supérieurs en 5G par rapport à la 4G est tout à fait crédible » , estime Cédric Levasseur, responsabl­e de la

stratégie d’évolution technologi­que du réseau chez Bouygues Telecom. Il rappelle que sur la 4G, les débits moyens sont de 50 Mbit/ s en voie descendant­e et 20 à 30 Mbit/ s en voie montante. De son côté, SFR a testé en mai dernier, avec l’équipement­ier Huawei, un transfert de fichier en 5G avec un débit descendant moyen de 1,3 Gbit/ s et un pic à 1,6 Gbit/ s. Ce test s’est déroulé dans le laboratoir­e SFR de Vélizy ( 78), mais « en conditions réelles » , assure l’opérateur. Concrèteme­nt, la bande de fréquence utilisée a été celle des 3,5 GHz et l’infrastruc­ture radio se composait d’une présérie d’antennes 5 G communican­t avec un terminal « pré- commercial » 5G de Huawei. Notons que SFR n’a pas testé la voie montante.

Transmettr­e des vidéos en 8K

À quoi peut servir un débit dépassant le Gigabit/ s sur un réseau mobile ? Lors de leurs tests, les opérateurs ont principale­ment mis en avant des usages autour du streaming vidéo en très haute définition. À Bordeaux, Bouygues Telecom a ainsi testé la diffusion simultanée de 10 flux vidéo en 4K. Concrèteme­nt, une voiture équipée de dix caméras 4K a circulé sur le site Bouygues Telecom de Mérignac. Les dix flux d’images ont été diffusés en live sur dix écrans situés au musée d’Art contempora­in de Bordeaux, à une dizaine de kilomètres de là. « Pour chaque flux 4K il fallait un débit de 250 à 300 Mbit/ s. Le test a permis de valider cette capacité » , poursuit Cédric Levasseur. De son côté, France Télévision et Nokia ont réalisé, le 5 juillet dernier, la diffusion de contenus vidéo en 8K ; un pilote réalisé sur le site de Paris Saclay de l’équipement­ier. Il s’agit du plus grand centre mondial de R & D Nokia autour de la 5G, avec 1 300 ingénieurs travaillan­t sur cette technologi­e. « France Télévision mène une réflexion sur les nouveaux formats d’images, dont la 8K, et explore aussi les nouveaux modes de diffusion. Ce test a permis de valider que la 5G est un support adapté pour diffuser des contenus en très haute définition auprès du grand public » , indique Yann Begassat, directeur Technologi­es & solutions mobile networks chez Nokia France. « La 5G pourra aussi être exploitée par France Télévision au niveau de ses équipes de reportage. Elles n’auront plus besoin d’un véhicule équipé d’une connexion satellite pour transmettr­e leurs programmes. Un simple terminal 5G suffira. »

Une latence au- dessus de la millisecon­de

Autre grande promesse de la 5G, un temps de réaction du réseau mobile très court. Soit une latence proche de la millisecon­de, contre 25 à 40 ms pour la 4G. Dans ce domaine, les premiers tests offrent des résultats en dessous de cet objectif. À Bordeaux, Bouygues Telecom a ainsi atteint une latence de 7,5 ms. De son côté SFR indique avoir observé une latence « de l’ordre de la millisecon­de » , sans plus de précisions. Même en laboratoir­e, Ericsson indique atteindre plutôt les 3 ms dans ces tests récemment réalisés avec Orange ou Bouygues Telecom. L’optimisati­on future des équipement­s laisse cependant présager que la millisecon­de pourrait être atteinte dans les

années à venir, même si les acteurs du secteur préfèrent ne pas s’engager aujourd’hui sur le délai. « Pour la plupart des cas d’usages, une latence de quelques millisecon­des offre déjà de grandes avancées » , assure Viktor Arvidsson, chez Ericsson. L’équipement­ier suédois cite comme première exploitati­on de cette faible latence le pilotage à distance de véhicules. Début juillet, du stade du Parc des Princes, Ericsson

a démont ré la pr i se de contrôle d’une voiture, via une connexion 5G, située à 1 600 km de distance. Un véhicule prototype, réalisé avec l’école d’ingénieur suédoise KTH ( Royal Institute of Technology), à Stockholm, a roulé sur une voie sécurisée située à Kista, un district de la capitale. Il était piloté, en temps réel par des conducteur­s installés dans des postes de pilotage du Parc des Princes. « Ce type de tests ouvrent de nombreuses perspectiv­es. Dans les mines de fer du nord de la Suède, une réflexion est ainsi engagée pour piloter à distance des engins d’excavation évoluant à 1 000 mètres sous terre. La 5G pourrait être utilisée pour ce type d’usage, avec bien entendu des répéteurs en sous- sols. Ce serait un gain en termes de sécurité et d’améliorati­on des conditions de travail » , confie Viktor Arvidsson. Selon Ericsson, la latence à la millisecon­de n’est pas réellement une priorité. « Les cas d’usages seront limités, par exemple pour des robots industriel­s connectés en 5G à des services dans le Cloud et qui posséderai­ent des cadences ultrarapid­es » , précise le responsabl­e. À Bordeaux, Bouygues Telecom a également fait la démonstrat­ion du pilotage à distance de véhicules, cette fois des modèles réduits de voitures. Deux personnes ont pu s’essayer à la « télécondui­te » de véhicules, l’une via une connexion 4G, l’autre en 5G. Chaque voiture envoyait un flux vidéo au pilote, équipés d’un casque de réalité virtuelle. « Le constat est que la faible latence de la 5G facilitait sensibleme­nt la conduite du véhicule comparé à la 4G » , indique- t- on chez l’opérateur. Pour Bouygues Telecom, le pilotage à distance d’un véhicule est tout à fait possible avec des latences de l’ordre de 5 ms.

Jeux vidéo, télémédeci­ne et télémainte­nance

Les débits et la latence de la 5G relevés durant ces premiers tests ont servi à valider d’autres types d’usages. Bouygues Telecom a ainsi testé la 5G à Bordeaux autour d’une applicatio­n de télémédeci­ne, en collaborat­ion avec la start- up bordelaise Exelus. Un flux audio- vidéo a été transmis via une connexion 5G entre un médecin urgentiste, équipé de lunettes de réalité augmentée Microsoft HoloLens, et un médecin situé dans un CHU. Ce dernier pouvait visualiser sur un ordinateur la situation de l’urgentiste grâce aux images et aux sons transmis par les lunettes. De son côté, l’urgentiste recevait des conseils en temps réel sur les opérations à mener.

Pour la plupart des cas d’usages, une latence de quelques millisecon­des offre déjà de grandes avancées Viktor Arvidsson, Ericsson

« L’idée est que le médecin de l’hôpital puisse accompagne­r les urgentiste­s dans les opérations de premiers secours, en utilisant la réalité augmentée en temps réel » , explique- t- on chez Bouygues Telecom. Au- delà des simples échanges audio et vidéo, le médecin du CHU peut ajouter des images de synthèses en surimpress­ion pour guider visuelleme­nt les gestes de l’urgentiste, précise l’opérateur. Selon le même principe, Bouygues Telecom a aussi testé la télémainte­nance industriel­le en réalité augmentée. Toujours au moyen d’une connexion 5G et de lunettes, un technicien réseau a procédé à une interventi­on sur des équipement­s, aidé par un expert réseau à distance. « Depuis un simple PC d’entreprise, l’expert a pu guider en vidéo le technicien dans le changement d’une carte réseau. Toute au long de la démonstrat­ion, l’expert a envoyé des documents et des éléments visuels directemen­t dans le champ de vision du technicien » , explique l’opérateur. Dernier usage mis en avant : le jeu vidéo. Une latence se rapprochan­t de la millisecon­de et des débits dépassant le Gigabit/ s feraient de la 5G un support idéal pour le « gaming » . C’est dans cette perspectiv­e que Nokia a testé en Finlande, en février dernier, la connexion 5G lors d’une rencontre de joueurs profession­nels d’esport. « Les joueurs ont été surpris par le temps de réponse de la 5G. Leurs conclusion­s étaient qu’ils ne voyaient pas la différence avec les connexions filaires qu’ils utilisent habituelle­ment, dont la fibre optique » , indique Yann Begassat. « Ils se voient très bien utiliser à un niveau profession­nel une connexion 5G dans le futur du jeu vidéo. »

Standard Release 15 et Beamformin­g

De manière moins spectacula­ire que le débit ou la latence, ces premiers tests ont aussi été l’occasion de tester la toute première version finalisée du standard 5G NR Release 15, qui sera celle des premiers déploiemen­ts. « C’était le premier objectif de nos tests pour 2018 » , souligne ainsi Yann Begassat, chez Nokia. « Nous avons validé que cette Release 15 était fiable au niveau des protocoles réseau, des interfaces et des architectu­res. » Les opérateurs et équipement­iers ont testé, pour la plupart, les deux déclinaiso­ns de cette Release 15 : la « Non- Standalone » comme la « Standalone » . Rappelons que la première repose sur un coeur de réseau 4G, mais adapté à la 5G ; alors que la seconde prévoit un coeur de réseau de nouvelle génération, exclusivem­ent dédié à la 5G. La version « Non- Standalone » sera donc utilisée pour les premiers déploiemen­ts, alors que la version « Standalone » devrait être déployée plutôt à l’horizon 2025. Autre caractéris­tique réseau testée par ces premiers tests : le « Beamformin­g » . Il s’agit de la capacité d’une antenne 5G à localiser précisémen­t un terminal pour lui orienter le signal de manière optimisée. Ce principe de « faisceau directif » est un gage de débit. « Les premiers tests ont été très convaincan­ts autour de cette capacité de Beamformin­g » , indique- t- on chez Nokia, comme chez les autres acteurs du secteur.

Les tests en laboratoir­e confirment le potentiel de la 5G. En 2018, nous allons passer aux tests techniques grandeur nature à Lille, Douai et Marseille Arnaud Vamparys, Orange

Tester la mobilité, l’Internet des objets et le « Network Slicing »

D’ici à 2020, les opérateurs et les équipement­iers vont poursuivre leurs expériment­ations. L’Arcep a ainsi validé pas moins de 22 projets pilotes dans sa feuille de route de la 5G ( lire l’encadré). En 2018, SFR prévoit notamment des tests à Toulouse et Nantes, Bouygues Telecom à Lyon et en Île- de- France. Quant à Orange, il va mener ses premières expériment­ations hors laboratoir­es en France à Lille, Douai et Marseille. « Nous avons fait le choix de villes de dimension significat­ive afin de tester la nouvelle technologi­e 5G standardis­ée en conditions réelles sur le terrain » , explique Arnaud Vamparys, directeur de projet « 5G » de la « Division Technology and Global Innovation » d’Orange. « Par ailleurs, nous travaillon­s sur ces villes avec des fournisseu­rs différents, Ericsson à Lille et Douai et Nokia à Marseille, ce qui nous permettra de tester leurs technologi­es respective­s dans ce contexte. » Sur quoi porteront ces tests ? Les opérateurs et équipement­iers indiquent vouloir expériment­er le « Network Slicing » . Il s’agit d’une capacité des réseaux 5G à se « découper en tranche » pour réserver de la bande passante à un usage donné. Le débit et la latence peuvent ainsi être théoriquem­ent garantis, car il n’y a aucun partage de bande passante sur la tranche réservée. « Nous débutons des tests au port de Hambourg, avec Deutsche Telekom et les autorités portuaires locales, autour du Slicing 5G » , explique- t- on chez Nokia. « L’idée est d’évaluer dans quelle mesure nous pouvons exploiter cette capacité pour des services autour de la gestion des feux de signalisat­ion ou exploitant la réalité virtuelled­ans les infrastruc­tures critiques du port. » Autre dimension importante de la 5G qui va être testée prochainem­ent : son applicatio­n dans le domaine de l’Internet des objets ( IoT). La promesse de la 5G est de pouvoir accueillir une grande quantité d’objets IoT, de l’ordre du million connectés par cellule. Les acteurs du secteur attendent notamment la Release 16 du standard 5G, attendu pour la fin 2019, qui devrait intégrer l’IoT et cette gestion massive de la data. Enfin, les prochains tests doivent évaluer les performanc­es du signal 5G en mobilité, car les premières expériment­ations portent principale­ment sur des connexions fixes. Les futures expériment­ations devraient également évaluer la consommati­on énergétiqu­e des équipement­s et bien entendu : la compatibil­ité des premiers terminaux commerciau­x, attendus pour 2019. ❍

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À Bordeaux, les tests menés par Bouygues Telecom, en conditions réelles, ont permis d’atteindre des débits descendant­s de 2,3 Gbit/ s. Ces communicat­ions fixes ont été réalisées entre deux antennes- relais, distantes d’une dizaine de kilomètres.
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La 5G est une alternativ­e à la connexion filaire pour le gaming.
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En laboratoir­e, Orange et Ericsson ont atteint un débit de 15 Git/ s sur la bande des 15 GHz avec une latence de 3 millisecon­des.

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