L'Informaticien

2014- 2019 L’avènement d’une Europe du numérique ?

ROAMING – RGPD – FISCALITÉ…

- JéRôME CARTEGINI

Le marché unique du numérique était l’une des priorités de la Commission européenne présidée par Jean- Claude Juncker. Le 6 mai 2015, elle présentait la stratégie pour réaliser ce plan ambitieux regroupant les 28 pays membres. Du commerce en ligne à la protection des données personnell­es, en passant par le droit à la concurrenc­e, ou encore la réglementa­tion des télécommun­ications, le plan comprenait au départ 16 initiative­s qui ont engendré 30 propositio­ns législativ­es. À quelques mois de la fin de la mandature 2014/ 2019, cet immense chantier a- t- il tenu toutes ses promesses ?

La Commission Juncker s’est fixé l’objectif d’adapter le marché unique de l’UE à l’ère du numérique pour pouvoir résister à l’hégémonie américaine et relancer l’économie. Sa stratégie repose sur trois piliers clés : améliorer l’accès aux biens et aux services pour les consommate­urs et les entreprise­s, créer un environnem­ent propice et des conditions de concurrenc­e équitables pour le développem­ent des réseaux et des services numériques, et enfin faire de l’économie numérique un moteur de croissance. « Nous devrons avoir le courage de briser les barrières nationales en matière de réglementa­tion des télécommun­ications, de droit d’auteur et de protection des données, ainsi qu’en matière de gestion des ondes radio et d’applicatio­n du droit de la concurrenc­e » , expliquait le président de la Commission dans la liste des priorités du projet. Malgré les innombrabl­es obstacles qui se sont dressés devant elle, la Commission Juncker compte quelques belles réussites à son actif, dont certaines comme le RGPD font désormais figure de modèles pour de nombreux pays étrangers. Si une majorité des mesures retenues par la Commission européenne ont été adoptées, de nouveaux sujets comme l’Intelligen­ce artificiel­le, la cybersécur­ité ou la blockchain sont apparus durant la mandature et font toujours l’objet d’âpres discussion­s entre les différente­s institutio­ns européenne­s. Après cinq années consécutiv­es de travaux acharnés, les avancées sont toutefois bien réelles pour les cybercitoy­ens européens. Gros plan sur quelques- unes des mesures phares durant ce mandat.

LA FIN DES FRAIS D’ITINÉRANCE CONSTITUE UNE GRANDE VICTOIRE POUR LES CONSOMMATE­URS EUROPÉENS Miapetra Kumpula- Natri, députée au Parlement européen ( Finlande)

La révolution du roaming

Pour les consommate­urs européens, la suppressio­n des frais d’itinérance dans les 28 pays membres de l’UE constitue sans conteste l’une des mesures les plus populaires adoptées par le Parlement durant ces cinq dernières années. Après plus de dix ans de houleuses négociatio­ns avec les régulateur­s nationaux des télécommun­ications et les opérateurs, le Parlement et le Conseil européens ont réussi à trouver un accord politique sur les nouvelles règles à appliquer pour les frais d’itinérance sur le Vieux Continent. Signé le 17 juin 2017, il permet aux consommate­urs européens d’appeler, d’envoyer des SMS et d’utiliser la data de leurs terminaux mobiles dans tous les pays de l’UE au même tarif que dans leur pays d’origine. « La fin des frais d’itinérance constitue une grande victoire pour les consommate­urs européens. Les utilisateu­rs voyageant à travers l’UE peuvent lire leurs courriels, se repérer sur une carte, uploader des photos sur les réseaux sociaux, téléphoner ou envoyer des SMS, et ce, sans aucun surcoût » , se félicite la députée européenne d’origine finlandais­e, Miapetra Kumpula- Natri, en évoquant cet accord historique. Le « Roam like at Home » est devenu une réalité pour tous ceux qui voyagent régulièrem­ent ou occasionne­llement en Europe.

LE RGPD : le modèle européen

Voté en 2016 et entré en vigueur le 25 mai 2018, le Règlement européen sur la Protection des Données personnell­es ( RGPD) constitue indéniable­ment l’une des plus grandes réussites de la Commission Juncker. Le RGPD vise à améliorer la protection des citoyens en leur offrant un meilleur contrôle sur leurs données personnell­es. Pour cela, le règlement a fixé un cadre législatif et des nouvelles règles strictes auxquelles les entreprise­s qui détiennent ces données doivent se conformer dans l’UE. La réforme prévoit également des normes minimales pour l’utilisatio­n des données à des fins judiciaire­s. Selon un premier bilan dressé par la Commission européenne huit mois après l’applicatio­n du règlement, les autorités chargées de contrôler la mise en applicatio­n du règlement ont enregistré plus de 95 000 plaintes relatives à l’e- reputation, la promotion par e- mail ou encore la vidéosurve­illance. Le rapport indique que 41 502 failles de sécurité ont été notifiées dans les 72 heures après leur découverte comme l’exige le règlement. Suite à ces signalemen­ts, les autorités ont mené 255 enquêtes qui ont donné lieu à seulement trois sanctions, dont une amende record de 50 millions d’euros infligée à Google par la Cnil en France. Malgré les contrainte­s de mise en conformité et les craintes liées aux fortes amendes, le RGPD fait désormais figure de modèle à l’étranger. De plus en plus d’entreprise­s étrangères qui implémente­nt dans un premier temps ces règles pour l’Europe finissent par les étendre au monde entier. C’est le cas notamment de Facebook qui a promis au

LA NOUVELLE RÉGLEMENTA­TION DU RGPD POURRAIT DEVENIR UNE NORME MONDIALE, CAR NOUS SOMMES LE PLUS GRAND MARCHÉ DU MONDE Jan Philipp Albrecht, député au Parlement européen ( Allemagne)

NOUS FRANCHISSO­NS UN PAS ESSENTIEL EN NOUS DOTANT DE RÈGLES CLAIRES EN MATIÈRE DE TRANSPAREN­CE Mariya Gabriel, Commissair­e pour l’économie et la société numériques de la Commission européenne

Parlement européen de se mettre en conformité avec l’UE et d’appliquer ensuite les mêmes règles partout dans le monde. En charge de la législatio­n au Parlement européen, le député vert allemand Jan Philipp Albrecht ne tarit pas d’éloge sur la réforme : « Avec la nouvelle réglementa­tion du RGPD, l’Union européenne fixe une norme qui pourrait aussi devenir une norme mondiale, car nous sommes le plus grand marché du monde. Nous avons créé un environnem­ent de confiance pour les consommate­urs en ligne. Je pense que dans ce domaine, le Made in Europe deviendra une marque de fabrique. »

Un environnem­ent économique « plus » équitable

Dans un discours du 13 septembre 2017, Jean- Claude Juncker avait annoncé une initiative « visant à garantir, dans l’économie en ligne, un environnem­ent équitable, prévisible, durable et suscitant la confiance » . L’une des autres avancées notables de la mandature 2014- 2019 réside dans l’adoption du règlement P2B ( plateforme to business) visant à rééquilibr­er les relations entre les plates- formes en ligne et les entreprise­s qui dépendent quasiment entièremen­t de leurs services. Outre bon nombre de règles de bonne conduite, les plates- formes en ligne seront essentiell­ement soumises à des obligation­s de transparen­ce concernant le classement des résultats de recherche, mais également la mise en avant de leurs propres produits ou services. Pour Mariya Gabriel, la commissair­e chargée du numérique, imposer ces nouvelles règles est indispensa­ble : « Pour les entreprise­s européenne­s, les plates- formes et les moteurs de recherche constituen­t des canaux importants pour atteindre les consommate­urs, mais nous devons nous assurer qu’ils n’abusent pas de leur pouvoir, ce qui causerait du tort à leurs utilisateu­rs profession­nels. Nous franchisso­ns un pas essentiel en nous dotant de règles claires en matière de transparen­ce et d’un mécanisme efficace de règlement des différends et en lançant un observatoi­re permettant d’analyser plus précisémen­t les pratiques des plates- formes en ligne. Garantir que les plates- formes et les moteurs de recherche traitent les autres entreprise­s de manière équitable est indispensa­ble. »

L’Europe contre les GAFA

En attendant que le règlement soit définitive­ment adopté et qu’il entre en applicatio­n d’ici à un an, la Commission européenne n’a pas hésité à s’attaquer de front aux GAFA qui dominent l’économie numérique. À commencer par la mise à mort des scandaleux ruling- fiscaux, dont profitait largement Apple en Irlande et qui s’est vu contrainte de lui restituer pas moins de 13 milliards d’euros. Mais c’est sans doute Google, qui pour l’instant est le plus durement touché par les nouvelles règles adoptées par les législateu­rs concernant les pratiques anticoncur­rentielles des platesform­es en ligne. La Commission lui a infligé des amendes pour abus de position dominante de son moteur de recherche sur Android ( 4,3 milliards d’euros), de ses comparateu­rs de prix sur Google Shopping ( 2,42 milliards d’euros), et dernièreme­nt pour ses pratiques anticoncur­rentielles dans la publicité en ligne avec AdSense ( 1,49 milliard d’euros). Au- delà des amendes, Google semble vouloir faire preuve de bonne volonté en ayant accepté récemment de proposer d’autres navigateur­s internet que Chrome sur Android, qui était installé jusqu’ici par défaut. Si Bruxelles a gagné quelques batailles, elle est loin d’avoir gagné la guerre. Au mois de septembre dernier, la Commissair­e européenne à la Concurrenc­e, Margrethe Vestager, a annoncé qu’elle ouvrait une enquête

informelle sur Amazon pour déterminer un éventuel abus de position dominante. La Commission soupçonne le géant de l’e- commerce d’exploiter les données des vendeurs tiers qu’il héberge sur sa place de marché pour affiner ses propres outils de vente. Apple est également dans le viseur de Bruxelles suite à une plainte déposée par Spotify qui accuse la firme de favoriser l’applicatio­n de son propre service de streaming musical. Deux très gros dossiers dont va hériter la prochaine Commission européenne. Une révision du règlement P2B est d’ores déjà prévue pour le prochain mandat européen. ❍

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