L'Informaticien

Des « pure players » aux dents longues

OUTRE LES GRANDS OPÉRATEURS, DE NOMBREUX ACTEURS FRANÇAIS SONT PARTIS À LA CONQUÊTE DU CLOUD PUBLIC. NOUVEAUX ENTRANTS, MAIS AUSSI ANCIENS HÉBERGEURS WEB, TOUS CHERCHENT À SE PARTAGER LE GÂTEAU DU CLOUD FRANÇAIS OU MONDIAL POUR CERTAINS.

- ALAIN CLAPAUD

Ne les appelez plus hébergeurs ! Tous les hébergeurs de sites web du début des années 2000 ont fait leur mue et se positionne­nt désormais comme des acteurs du Cloud public. Rejoints par quelques autres, ceux- ci cherchent désormais à conquérir le marché mondial avec des stratégies très différente­s. Si le terme de Cloud souverain est quelque peu tabou, tous se positionne­nt comme franco- français, à l’abri du Patriot Act et du Cloud Act, y compris pour ceux qui disposent de ressources aux États- Unis. Beaucoup cherchent aujourd’hui à aller plus loin et travaillen­t avec l’Anssi pour décrocher la certificat­ion SecNumClou­d mais pour l’instant seul Oodrive est allé au bout du processus de certificat­ion et aucun opérateur cloud généralist­e ne peut aujourd’hui s’en targuer, même si tous y travaillen­t.

OVH, géant du Cloud français aux pieds d’argile ?

Avec 28 datacenter­s dans le monde et un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros, OVH est le poids lourd du Cloud français. Le Nordiste a levé 650 millions de dollars sur la promesse d’atteindre le milliard d’euros de chiffre d’affaires d’ici à 2021. Un pari qui passe à la fois par la constructi­on de multiples datacenter­s dans le monde et un élargissem­ent de l’offre de services qui se doit de rivaliser avec AWS, Azure et Google Cloud. Michel Paulin, directeur général, précise l’ambition d’OVH : « Nous nous positionno­ns comme opérateur européen alternatif avec une présence mondiale. Nous sommes un “pure player ” cloud et nous assurons la totalité des services que l’on peut attendre d’un opérateur cloud, depuis le Private Cloud, le Public Cloud ou encore le Bare Metal qui fait partie de l’histoire d’OVH. » Dans cette course effrénée à la croissance, OVH avait acheté en 2017 la division cloud de VMware, mais la hausse du chiffre d’affaires (+ 20 % pour l’exercice fiscal 2018) n’est pas suffisante et OVH a dû lever le pied sur les investisse­ments et supprimer trois cents postes. Du point de vue technique, le modèle d’OVH est bien connu et se calque sur celui de Google par exemple, avec une intégratio­n verticale où il construit ses propres datacenter­s, ses propres serveurs, misant notamment sur le watercooli­ng pour améliorer l’efficacité énergétiqu­e de ses installati­ons. « C’est un plus pour nos clients d’une part sur le prix. Cette approche nous permet d’être très compétitif­s car nous sommes intégrés, nous n’avons pas de facture de colocation à régler, pas de serveurs à acheter à des tiers, et comme nous faisons partie du Top10 mondial, cela nous permet d’offrir des tarifs intéressan­ts. D’autre

« Nous continuons à investir en ce sens tant pour des entreprise­s utilisatri­ces que pour des éditeurs de solutions PaaS et SaaS »

part, la flexibilit­é de notre outil industriel nous permet de coller au mieux à la demande réelle. Enfin, les serveurs que nous produisons sont totalement auditables et transparen­ts au niveau de chaque composant. » L’offre produit OVH est très large avec des serveurs Bare Metal, des serveurs dédiés, des instances IaaS, du stockage cloud privé. Récemment, le Français a réalisé un gros investisse­ment sur Kubernetes pour se hisser à la hauteur des fournisseu­rs américains sur l’hébergemen­t de containers. Il a encore quelques lacunes, notamment sur l’IA qui est le cheval de bataille des Gafam aujourd’hui, de même que OVH a choisi de ne pas proposer d’offre Edge Computing ou de solutions IoT. Face à OVH se dresse un acteur lui aussi venu de l’hébergemen­t web, Scaleway, la filiale B2B du groupe de Xavier Niel, Iliad. L’opérateur est le fruit du regroupeme­nt des ressources d’Online. net et d’Iliad Datacenter, opérateur cloud spécialisé dans l’hébergemen­t de grands comptes. Cette filiale, quelque peu discrète depuis sa création en 2014, se sent pousser des ailes ces derniers mois.

3DS Outscale, le Cloud selon Dassault Systèmes

En marge de cette course à la croissance effrénée engagée entre OVH et Scaleway, 3DS Outscale, filiale cloud de Dassault Systèmes, le premier éditeur de logiciel français, joue sur une partition un peu différente. David Chassan, directeur de la communicat­ion, explique ce positionne­ment : « Nous sommes un Cloud souverain de confiance qui apporte aux entreprise­s à la fois des éléments de sécurité et une qualité industriel­le dans nos processus. La totalité de l’entreprise, à la fois notre organisati­on et nos infrastruc­tures, sont certifiées ISO 27001 : 2013, 27017 pour la sécurité et 27018 sur la protection de la vie privée dans le Cloud. C’est aujourd’hui un réel différenci­ant et personne d’autre sur le marché français n’est intégralem­ent certifié. » Autre originalit­é de la filiale cloud de Dassault Systèmes, son infrastruc­ture s’appuie sur Tina OS, sa propre solution de provisioni­ng de ressources :

« les grands opérateurs du Cloud américains vont de plus en plus vers le PaaS et parfois du SaaS. Nous, nous restons fermement positionné­s sur le IaaS avec une offre qu’on ne cesse d’enrichir. Mais ce qui est important pour nous, c’est que nous ne dépendons pas d’éditeurs tiers comme VMware, ou même communauta­ires comme Open Stack. Nous avons développé nous- même notre orchestrat­eur de Cloud, Tina OS. Cela nous permet d’offrir aujourd’hui des instances dont la performanc­e est maîtrisée et strictemen­t identique quel que soit le datacenter et l’infrastruc­ture sous- jacente qui la porte. » En outre, le Cloud Service Provider supporte des instances totalement personnali­sables avec jusqu’à 78 vCPU et 720 Go de RAM. En outre, l’API de pilotage des instances est compatible avec AWS EC2 et la facturatio­n s’effectue à la seconde. En revanche, pas d’offre IA ou IoT au catalogue du CSP, l’éditeur préfère laisser à ses partenaire­s l’initiative de proposer de telles solutions sur ses infrastruc­tures.

L’hybride, l’autre voie suivie par Ikoula et Econocom

Autre acteur historique du Web français à s’être reposition­né sur le Cloud public, Ikoula. Jules- Henri Gavetti, cofondateu­r d’Ikoula, explique la spécificit­é de son positionne­ment : « Nous proposons une plate- forme cloud public dont les API collent au plus près d’AWS, mais notre atout est qu’à la différence des grands Cloud public, on peut mixer des serveurs physiques, des instances cloud dans un même réseau, déployer des architectu­res hybrides sur nos infrastruc­tures. » Outre les serveurs dédiés, les serveurs dédiés virtuels, les instances Cloud, Ikoula préfère proposer des implémenta­tions de logiciels prêtes à l’emploi, les « Applicatio­ns Cloud 1- Click » plutôt que de proposer des applicatio­ns managées, une solution considérée comme bien moins coûteuse pour l’entreprise. L’hébergemen­t de plate- forme hybride semble une tendance forte pour les CSP français qui veulent se différenci­er du trio AWS/ Azure/ Google et de OVH/ Scaleway. C’est ce positionne­ment qui a été choisi par Econocom qui est présent comme fournisseu­r cloud depuis l’acquisitio­n d’ASP Serveur en 2014. Ahmed Morjane, directeur technique et innovation d’Econocom, détaille l’évolution de l’offre aujourd’hui rebaptisée EconoCloud : « Nous avons décliné cette année l’offre cloud issue d’ASP Serveur vers l’hybride car certains de nos clients souhaitent aller vers le Cloud public mais ont besoin de garder la main sur certaines données, certaines applicatio­ns dans leurs propres datacenter­s ou les infrastruc­tures privées chez des hébergeurs tiers. Ils ont besoin d’un outillage unique afin de provisionn­er des ressources on- premise mais aussi sur le Cloud public. Nous avons fait le choix de la solution Red Hat CMP ( Cloud Management Platform) composée de CloudForms et ManageIQ et qui permet d’avoir une vision commune aussi bien sur le Cloud privé que sur les Cloud publics. La solution permet notamment d’assurer la facturatio­n des services délivrés aux métiers, une microfactu­ration par projet, etc. » En outre, le Français se positionne sur le marché des platesform­es Edge Computing via un partenaria­t avec Nutanix qui s’inscrit dans le choix de la plate- forme Red Hat CMP. « Pour les besoins en Edge Computing, nous avons monté une offre avec notre partenaire Nutanix pour déployer des noeuds au plus près des sources de données afin de les stocker et traiter en temps réel et n’envoyer dans le Cloud public que les données agrégées. » Entre concurrenc­e frontale ou positionne­ment complément­aire aux fournisseu­rs cloud américains ou chinois, les CSP français sont portés par l’essor du marché français et le souci des entreprise­s françaises à ne pas confier leurs données aux Gafam. Si OVH semble avoir pris une longueur d’avance dans son internatio­nalisation, nombreux sont ceux à vouloir détrôner le Nordiste et devenir le champion français du Cloud public. Qui aura les moyens de ses ambitions ? ❍

OVH mise sur une intégratio­n verticale, depuis la conception/ fabricatio­n de ses serveurs à la gestion de ses datacenter­s et backbone réseau pour offrir les meilleurs prix au niveau mondial. « Nous ne croyons pas au one size fits all. Nous ne voulons pas imposer des solutions de bases de données à nos clients »

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Si l’argument de la localisati­on des datacenter­s en France semble moins différenci­ant maintenant que AWS et Microsoft disposent d’infrastruc­tures en France, néanmoins il reste souvent employé par les CSP français pour séduire un CAC40 tenté par l’aventure américaine.
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Michel Paulin CEO d’OVH
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Jules- Henri Gavetti PDG d’Ikoula
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