Docker, de Montrouge à la roche tarpéienne
Après Uber et d’autres, une nouvelle licorne est tombée. Docker, valorisée largement au- delà du milliard, a revendu sa branche entreprise et se débat pour continuer son activité autour de son offre pour les développeurs. L’histoire avait cependant commencé comme un conte de fée pour start- up. Un jeune franco- américain, né à New- York et diplômé de l’epitech, avait réussi à révolutionner le monde des architectures avec le concept des containers issus du monde Unix dans les années 70. D’une SARL, Dotcloud, qui était entrée dans une compétition pour start- up et avait gagné 20 000 dollars pour finir son projet dans la Silicon Valley, Solomon Hykes, le patronyme de ce jeune franco- américain, allait en faire une des coqueluches de L’IT et devenir une entreprise dont les grands de l’industrie informatique se disputait le partenariat. Red Hat, puis IBM, Microsoft intégraient ou utilisaient la technologie de containers de Docker inc., le nom ultime de la société lancée publiquement en 2013.
Du container Linux d’origine, Docker migrait vers le langage Go pour développer sa propre technologie de containers. Quelques temps après, Docker lançait Swarm, un orchestrateur de clusters de containers qui visait à rivaliser avec le tout neuf Kubernetes de chez Google et Mesos de Mesosphere, issu d’un projet analogue dans la fondation Apache.
Autour de cet ensemble, Docker a développé une offre pour les entreprises. Cette pile complète a éveillé les doutes et les soupçons des thuriféraires de l’open Source qui soudain ont vu, dans Docker, un acteur dangereux à l’image de Microsoft dans ses plus belles années de domination. La petite start- up était devenue le vilain qui cherchait à rétablir un monopole dans les entreprises. Ben Kepes, investisseur et technologue, dans un tweet cité dans un article sur ZDNET explique : « Docker a été victime de sa propre arrogance et d’hubris – la démesure en grec ancien. Ils pensaient qu’ils pouvaient créer un jardin propriétaire à l’arrière d’un projet OSS, ou open source, et ne voyaient pas qu’il n’y avait pas de moyen évident d’extrapoler les revenus de leur modèle. »
RIP Swarm !
Personnellement je me rappelle clairement d’un meet- up organisé par Mirantis dans la Silicon Valley. À l’époque, les intervenants prévenaient du danger que représentaient Docker et AWS. Amusant de voir aujourd’hui Mirantis, qui au départ se spécialisait sur les déploiements de la pile Open Stack, racheter la branche entreprise de Docker pour renforcer son offre de Kubernetes as a Service. Les deux entités vont continuer à opérer de manière indépendante mais la cible est déjà plus attirante quand elle amène 750 clients dans son escarcelle ! Au passage, Mirantis indique vouloir faire tout son possible pour faciliter au client le passage entre Swarm et Kubernetes. RIP Swarm !
Parallèlement et face à ce danger, l’industrie a fait un autre choix avec Kubernetes qui était sorti du giron de Google pour devenir un projet open source contrôlé par une communauté qui a verrouillé la possibilité d’une mainmise sur ce nouvel outil. Les concurrents sont cantonnés à la portion congrue sur un marché estimé gigantesque. Le concept de container révolutionne réellement les architectures des entreprises avec la possibilité d’utiliser pleinement les technologies Devops et de déployer leur infrastructure par du simple code via un simple package logiciel. Du fait du choix autour de Kubernetes qui est devenu un standard de fait dans l’orchestration des environnements en containers, la pile développée par Docker pour les entreprises a rencontré plus qu’un succès d’estime mais n’a pas fait assez d’argent pour devenir incontournable malgré le ralliement et la reddition en rase campagne de Docker qui permettait d’utiliser Kubernetes sur son environnement.
Nous faire prendre des VC pour des lumières
Au bilan, Docker a levé 335 M$ et vient d’en obtenir 35 de plus par deux de ses investisseurs pour continuer son travail autour de la version Desktop pour les développeurs. Après les milliards dépensés dans les start- up Hadoop, on vient de constater un nouvel accident industriel. Le miroir aux alouettes des valorisations ne brille plus des mêmes feux et pose question sur le modèle même des start- up ou des disrupteurs, dont on nous rebat les oreilles. Nous avons là l’exemple d’une technologie très porteuse avec une entreprise dont les fonds levés sont importants pour assurer son développement et pourtant elle connaît l’échec. On va nous dire que, non, ce n’est pas un échec, c’est un pivot, un coeur de métier qui était de simplifier la vie des développeurs. Une fois de plus la guerre des mots va être engagée pour nous faire prendre des VC pour des lumières !
Contrairement à d’autres projets open source, du fait de la défiance, Docker, malgré le nombre affiché de téléchargements, n’a jamais eu une vaste communauté si ce n’est celle des employés de Docker elle- même. Cela permet tout de même aux clients actuels de ne pas se trouver démunis et d’avoir accès à d’autres sociétés de service pour maintenir et supporter leurs investissements dans les containers. Retour donc à une vérité première de l’open Source, suivre et regarder l’importance de la communauté et de l’ensemble des travaux de celle- ci sur l’évolution de la solution avant de se lancer sur ce type de technologie. Dès 2016, des interrogations et des menaces de forks se faisaient jour dans la communauté Docker qui visait à rendre plus stable le runtime de Docker et qui relayait les inquiétudes autour de Swarm et de son intégration avec le moteur de Docker. De grandes entreprises de services et des éditeurs se sont aussi émus des cycles de développement de Docker, souvent trop rapides, et qui ne leur permettait plus de tenir les niveaux de service qu’ils annonçaient à leurs clients. Craig Mcluckie, un évangéliste de Kubernetes chez Google, le traduisait ainsi : « Nous avons besoin d’une technologie coeur ennuyeuse ! »
Pour résumer la fin de cette histoire qui finit mal, l’industrie a fait payer à Docker son ambition, sa vitesse, son succès. Cette histoire ferait une bien belle saison pour la série à succès Silicon Valley. « Stay tune to the next episode ! » ✖
Retour à une vérité première de l’open Source, suivre et regarder l’importance de la communauté et de l’ensemble des travaux de celle- ci sur l’évolution de la solution.