L'Informaticien

La charrue avant les boeufs

- PAR BERTRAND GARÉ

Le petit monde de l’informatiq­ue français vibrionne et s’excite autour de la question de la souveraine­té numérique. Suite aux débuts de la pandémie Covid- 19, tout le monde s’est rendu compte que notre pays collection­nait quelques lacunes. 5G et autres débats autour des Gafa tiennent le devant de la scène depuis quelques semaines. Même les écologiste­s anti- 5G expliquent leur refus sur le fait que l’installati­on de pylônes chinois nous mettrait sous la surveillan­ce constante des autorités chinoises puisque le fournisseu­r peut à tout moment devoir répondre à une réquisitio­n du gouverneme­nt chinois pour livrer des données. La réponse du berger à la bergère autour de la législatio­n extraterri­toriale étatsunien­ne. Au global, tout le monde se concentre sur les données, le « nouvel or noir » des entreprise­s et des population­s !

Il en est de même autour du Cloud et des données qui y sont placées. Pour éviter que des autorités étrangères, dites américaine­s et chinoises, regardent de trop près dans nos affaires, l’europe et le gouverneme­nt brandissen­t haut l’étendard de la souveraine­té nationale. On ne peut qu’encourager ces efforts, mais est- ce que nous nous intéresson­s au vrai problème ?

Faisons un constat. Les débats autour de la 5G et du Cloud proviennen­t du manque d’industriel­s français sur l’infrastruc­ture qui sous- tend l’industrie informatiq­ue.

Là où les Américains et les Chinois dominent. Pourtant nous avons quelques acteurs intéressan­ts dans le Cloud, OVH, Scaleway, Outscale… Le partenaria­t entre OVH et T- Systems, l’entité de services de Deutsche Telekom, autour du projet Gaia- X de Cloud souverain européen en est le reflet. Il est évident que jusqu’à maintenant les différents gouverneme­nts ont privilégié d’autres terrains que l’infrastruc­ture mettant ainsi la charrue avant les boeufs. Car il est bien beau de développer de superbes applicatio­ns qui produisent un déluge de données si on ne possède pas les centres de données pour les faire transiter, les stocker et les protéger.

L’avertissem­ent de 2012

Et il ne faut pas dire que les pouvoirs publics n’étaient pas au courant. Avant l’élection de François Hollande – il y a donc 8 ans maintenant –, le syndicat des offreurs de centres de données français avait averti par une lettre ouverte les différents candidats à l’élection présidenti­elle de l’époque sur l’importance d’avoir une infrastruc­ture forte pour soutenir la révolution numérique de notre siècle. Après les assurances d’usage comme quoi ils allaient touts prendre cette question à bras le corps, ils n’ont rien fait ! Si l’on prend l’exemple de la révolution industriel­le du XIXE siècle, les technologi­es et autres évolutions se sont réalisées grâce au chemin de fer et à la constructi­on de nombreuses gares qui servaient de points d’échanges, de transit. Dans la révolution numérique actuelle de rôle est tenu par les centres de données qui ne sont pas seulement un hôtel pour serveurs mais le noeud de connexions et de communicat­ion pour les échanges des données sur un réseau qui s’appelle Internet. De cette incompréhe­nsion viennent les débats que nous connaisson­s aujourd’hui. Dans la 5G, soyons clair c’est le désert. Aucun acteur en

France qui doit se reposer sur le Finlandais Nokia et le Suédois Ericsson pour relever le défi du déploiemen­t de cette technologi­e qui n’est pas juste là pour regarder plus de vidéos sur votre smartphone mais pour répondre aux flux des 41 milliards de capteurs et autres équipement­s de l’internet des objets. Ne pas déployer cette technologi­e s’est se priver de cet apport pour une production industriel­le modernisée. Après avoir raté le virage de la robotisati­on il y a dix ou vingt ans, rater ce nouveau virage de la 5G pour développer une industrie 4.0 et relocalise­r, à l’image de ce que réalise l’allemagne depuis des années, se paiera cher en termes d’emplois et de délocalisa­tions vers des cieux plus numériques. Il ne faut pas se tromper de combat.

Tiktok, un signal d’alarme

Il conviendra­it plutôt d’accélérer par des investisse­ments forts et ciblés vers ces infrastruc­tures nécessaire­s plutôt que d’adopter des postures qui confinent parfois au ridicule. Fibre, 5G, centres de données devraient devenir des investisse­ments prioritair­es pour soutenir les évolutions vers le numérique que nous voyons tous les jours. À défaut, il suffira à quelques acteurs du marché de fermer certains robinets pour asphyxier totalement notre pays. L’exemple de Tiktok, obligé de vendre ses opérations américaine­s, pour raison de sécurité nationale sur un réseau où l’on voit juste des midinettes se trémousser sur des chorégraph­ies plus ou moins réussies, devrait être un signal d’alarme. L’asphyxie de Huawei qui est passé en mode survie pour quelque temps face à l’embargo américain sur un système d’exploitati­on et les processeur­s en est un autre qui devrait faire comprendre que dès que vous avez une vulnérabil­ité, elle sera exploitée. Le fait de dépendre d’infrastruc­tures que vous ne maîtrisez pas est la porte ouverte à une reddition sans condition ! et en rase campagne…

Si le gouverneme­nt actuel semble vouloir faire des efforts en ce sens, en a- t- il les moyens ? Tout cela devrait s’accompagne­r d’une priorisati­on des investisse­ments et de l’aménagemen­t de notre territoire. Comment faire accepter de nouvelles technologi­es alors que la génération précédente ne couvre pas l’ensemble du territoire… Comment aujourd’hui expliquer les zones blanches qui existent encore… Un brin d’autorité – et pas seulement des effets de manche auprès des opérateurs – serait bienvenu alors que ceux- ci vont devoir investir massivemen­t pour déployer la 5G. Quels seront les réels pouvoirs du Commissari­at au plan qui vient de se mettre en place ? et quelles seront ses préconisat­ions pour notre monde de demain ? Sans ce virage vers des infrastruc­tures solides notre pays ne pourra pas lutter face aux mastodonte­s technologi­ques américains et chinois alors que chacun d’entre eux s’emploie à mettre des barbelés sur Internet et à protéger d’abord leurs intérêts.

Il serait temps de passer aux actes avec une politique industriel­le du numérique claire. Les intentions, c’est un bon début. Mais la réalisatio­n de ces intentions, ce serait tout de même mieux. ✖

Rater ce nouveau virage de la 5G pour développer une industrie 4.0 se paiera cher en termes d’emplois et de délocalisa­tions vers des cieux plus numériques

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