L'Informaticien

Bientôt un moteur de recherche Apple ?

- GUILLAUME RENOUARD

La rumeur selon laquelle l’entreprise à la Pomme pourrait lancer son propre moteur de recherche a récemment affolé la Toile. Pour l’heure très spéculativ­e, elle met cependant en lumière tout ce que Apple aurait à gagner dans l’affaire.

Et si Apple lançait son propre moteur de recherche pour rivaliser avec Google ? C’est l’hypothèse que formule John Henshaw, analyste technologi­que américain, après avoir repéré plusieurs signaux faibles qui, selon lui, méritent de prendre en considérat­ion cette idée a priori saugrenue. Il note que Apple recrute en ce moment massivemen­t des ingénieurs de recherche, avec des compétence­s en Intelligen­ce artificiel­le, apprentiss­age machine et programmat­ion neuro- linguistiq­ue. Il constate également que les versions bêta d’ios et ipados 14 s’appuient uniquement sur Spotlight Search, contournan­t complèteme­nt Google. Apple a aussi récemment mis à jour le page de support de l’applebot, son robot d’indexation web qui se charge de recueillir des informatio­ns ensuite utilisées par les différente­s applicatio­ns de l’entreprise à la Pomme, dont Spotlight et Siri. Depuis la mise à jour, la page inclut ainsi la vérificati­on du trafic depuis Applebot, des informatio­ns plus détaillées sur l’agent utilisateu­r Applebot, y compris les différence­s entre la version de bureau et la version mobile, ainsi qu’une section sur le classement des recherches et les facteurs qui influent sur la manière dont il classe les résultats de ses recherches sur la Toile. Henshaw note enfin que l’applebot semble particuliè­rement actif ces derniers temps : son site est ainsi exploré quotidienn­ement par celui- ci, ce qui n’était pas le cas auparavant. Sur Twitter, plusieurs experts ont réagi en affirmant qu’ils avaient fait un constat similaire, dont James Field, consultant en marketing, et Nick Craver, ingénieur chez Stack Overflow. Une combinaiso­n de facteurs qui, mis bout à bout, ont contribué à alimenter la rumeur sur la Toile.

« Il est très probable que Apple possède en réalité déjà un moteur qui ressemble à Google Search et fonctionne de la même manière, qu’ils utilisent pour faire de la recherche et du contrôle qualité. Sans doute ont- ils songé à le rendre disponible au public, choix qui dépendra de nombreux facteurs. Ils pourront être contraints de lancer un moteur de recherche concurrent de Google si leur relation avec cette entreprise se dégrade ou si de nouvelles régulation­s les y contraigne­nt » , explique John Henshaw.

Contourner Google Search

À quoi un tel moteur de recherche pourrait- il ressembler ? « À partir des offres d’emploi d’ingénieurs postées par Apple, de leur approche de la recherche jusqu’à présent et de leur propension à réimaginer et améliorer des produits existants, on peut supposer que leur version d’un engin de recherche différerai­t de Google Search. Siri et Spotlight Search ont été conçus comme des outils universels qui indexent et trouvent l’informatio­n parmi les fichiers et applicatio­ns de l’utilisateu­r. Siri peut également fonctionne­r comme un assistant numérique et renvoyer vers des sites internet. Tout cela est fait en natif par le système d’exploitati­on. S’ils continuent d’introduire de nouvelles interactio­ns qui contournen­t le besoin de visiter et utiliser Google Search, ils finiront par remplacer Google sans que l’utilisateu­r ne s’en rende compte. Cela leur permettrai­t d’offrir une meilleur expérience utilisateu­r et serait plus facile à défendre en justice. »

Cette idée relève toutefois à l’heure actuelle de la pure spéculatio­n, et suscite un certain scepticism­e chez d’autres analystes familiers de l’entreprise de Cupertino. « Il me paraît peu probable que Apple lance son propre moteur de recherche. Bien que le crawler Applebot soit actif depuis cinq ans, il n’y a pour l’heure aucune preuve irréfutabl­e que Apple cherche à concevoir une version web de celui- ci. Et même si l’entreprise vaut des milliers de milliards de dollars, il y a peu de chances pour qu’elle décide de s’asseoir sur les plus de huit milliards annuels que lui verse Google pour demeurer le moteur de recherche par défaut sur les produits Apple » , affirme Michael Wuerthele, analyste chez Apple Insider.

Un ancien de la maison Apple, ayant travaillé au sein de l’équipe Siri, affirme n’avoir jamais eu vent d’un tel projet. « Je ne les vois pas mettre en place une interface utilisateu­r autour de la recherche autrement que sur leur hardware en utilisant Siri » , confie- t- il. D’autres données publiées par le site Thinknum montrent en outre que, si le nombre d’offres d’emplois publiées par Apple pour des ingénieurs de recherche s’accroît bien avec le temps, il a en revanche baissé au cours de l’été. Ce n’est pas non plus la première fois que des rumeurs émergent quant au lancement d’un moteur de recherche par Apple : des discussion­s similaires avaient émaillé la Toile lors de l’annonce du lancement de l’applebot, il y a cinq ans.

Racheter Duckduckgo ?

Mais le fait que cette idée soit régulièrem­ent remise au goût du jour montre aussi qu’elle n’est pas totalement fantaisist­e. Pour posséder son propre moteur de recherche, Apple ne serait du reste pas forcée de construire le sien en partant de zéro, et pourrait au contraire acheter un moteur déjà existant. C’est l’idée qu’avançait Toni Sacconaghi, analyste chez Bernstein Research et spécialist­e Apple, en juillet dernier. Selon lui, la marque à la Pomme aurait ainsi tout intérêt à racheter Duckduckgo, un moteur de recherche qui met l’accent sur la protection de la vie privée des utilisateu­rs. L’analyste estimait alors que la raison pour laquelle Google payait huit milliards de dollars par an à Apple pour assurer sa suprématie tenait principale­ment au fait que l’entreprise craignait la concurrenc­e de Microsoft et de son moteur de recherche Bing. « Maintenant, imaginons que Microsoft décide un jour d’abandonner la recherche. Dans ce cas, Google se retrouvera­it sans concurrent, et pourrait annoncer à Apple qu’ils ne paieront plus qu’un demi- million pour avoir Google installé par défaut sur ses appareils… ce serait un gros risque pour Apple » , affirmait- il alors. En acquérant Duckduckgo, Apple se prémunirai­t par avance contre ce risque. Et si elle renonçait ainsi aux huit milliards de revenus annuels de Google, l’entreprise à la Pomme pourrait également espérer grignoter une partie des 25 milliards de dollars de revenus que, selon Sacconaghi, Google engrange chaque année grâce aux revenus publicitai­res tirés des recherches effectuées sur iphone, ipad et Mac. L’écosystème Apple en sortirait renforcé, et l’entreprise pourrait plus facilement promouvoir ses propres produits ou services, y compris ceux qui peinent pour l’heure à convaincre le public, comme Apple News+ et Apple TV+.

Procès en cours

Dernier avantage : Apple, qui se pose depuis plusieurs années en champion de la privacy, ferait taire les critiques qui l’accusent de double jeu en montrant du doigt son partenaria­t avec Google, dont le bilan en matière de protection des données personnell­es n’est pas irréprocha­ble. L’entreprise de Tim Cook y gagnerait l’occasion de concevoir un moteur de recherche en accord avec ses principes.

« Apple pourrait continuer à miser sur la privacy et l’anonymat, dans la droite ligne de ce qu’ils font avec l’ios 14 et qui déplaît à Facebook et à d’autres publicitai­res. Les recherches Siri d’applebot sont à l’heure actuelle anonymisée­s, et je ne pense pas que cela changera. Quant à la monétisati­on, ils pourraient recourir à des liens affiliés vers des vendeurs, comme le font Google et Amazon » , imagine Michael Wuerthele.

Un autre facteur qui pourrait peser dans la balance est l’enquête antitrust qu’ont lancée les autorités britanniqu­es contre l’accord entre Apple et Google. Celles- ci estiment en effet que les paiements versés à Apple pour faire de Google le moteur de recherche par défaut sur Safari constituen­t une importante entrave à la concurrenc­e pour les rivaux de Google, … dont Bing, Yahoo et Duckduckgo. Elles ont d’ores et déjà évoqué plusieurs issues possibles, dont la nécessité pour Apple de proposer à l’utilisateu­r quel moteur de recherche choisir par défaut lors de la mise en route de l’appareil, ou encore l’interdicti­on de monétiser les positions par défaut.

Ainsi contrainte de renoncer à son accord avec Google, la firme Apple pourrait- elle être davantage tentée de lancer son moteur de recherche ou de racheter Duckduckgo ? ✖

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