L'Informaticien

Rencontre avec… Armand Thiberge, CEO de Sendinblue : « Il est vraiment temps que nous arrivions à construire des acteurs mondiaux »

- PROPOS RECUEILLIS GUILLAUME PÉRISSAT PAR

Née de l’emailing, la jeune pousse française Sendinblue fournit aujourd’hui une suite marketing en mode Saas résolument tournée vers les TPE et PME. Une clientèle que son fondateur, Armand Thiberge, n’entend pas abandonner quand bien même son entreprise vient de lever 140 millions d’euros auprès de la BPI mais aussi d’investisse­urs américains. L’informatic­ien : Pouvez- vous nous conter la genèse de Sendinblue ?

Armand Thiberge : L’aventure a démarré en Inde, il y a plus de dix ans, où j’étais parti en Volontaria­t internatio­nal en entreprise, un VIE. J’y fonde une agence web qui fait des sites d’e- commerce et des sites web. Ça dure quelques années au cours desquelles nous avons constaté qu’il n’existait pas forcément d’outils simples pour les PME qui souhaitaie­nt faire du marketing. Nous avons alors élaboré un petit outil, vers lequel nous avons pivoté en 2012, donnant naissance à Sendinblue.

Nous avons commencé par l’e- mail, en étant d’abord un outil de newsletter, mais nous nous sommes reposition­nés et diversifié­s en 2017. C’est quelque part à l’image de nos clients, les PME : on entre d’abord dans le marketing par le mail puis, à mesure que le client va être plus mature, on va lui proposer d’enrichir ses fonctions : SMS, chat, outils de gestion des ventes, etc.

Avez- vous rencontré des difficulté­s particuliè­res au moment de pivoter d’agence web à éditeur d’une suite marketing ? Et à votre retour d’inde ?

❚ Pas de difficulté particuliè­re, le marché était porteur car les besoins des PME étaient pressants. Elles souhaitaie­nt au plus vite pouvoir accéder à ce formidable levier qu’offre le digital. Nous avons donc commencé depuis l’inde avant d’ouvrir notre siège à Paris quelques années plus tard.

Sendinblue vient de lever 140 millions d’euros. À quoi ces fonds serviront- ils ? Quelle est votre feuille de route ?

❚ Ce qui a fait notre succès et notre croissance, c’est vraiment le produit. Plus de 50 % de nos clients viennent par le bouche à oreille. L’idée c’est de continuer à creuser le fossé par rapport à nos concurrent­s et de développer d’autres fonctionna­lités sur trois axes.

D’abord le CRM : nous voulons proposer un CRM pour les équipes B2B, pour optimiser leur cycle de vente. Aujourd’hui nous proposons une brique CRM qui va permettre d’éditer un contact, prendre des notes, etc., mais nous n’avons pas encore de fonctionna­lités très avancées – reporting, scoring… Notre promesse, c’est un outil tout- en- un. Les CRM du marché sont très lourds, compliqués et chers pour nos clients que sont les PME, et nous pensons pouvoir développer un outil qui aura de la valeur pour eux. Nous ne prétendons pas pour autant rivaliser avec un Salesforce, mais les PME n’ont pas nécessaire­ment besoin d’un outil aussi paramétrab­le.

Ensuite nous sommes une brique dans un écosystème intégré, avec des ERP, des CRM, des outils métier. Nous avons déjà développé de nombreux plugins pour nous intégrer à des acteurs tiers, avec par exemple des CMS type Wordpress, Shopify, Magento, mais aussi Salesforce. Nous allons continuer à développer des connecteur­s, nous travaillon­s actuelleme­nt avec Wix mais aussi à étendre l’intégratio­n avec tout l’écosystème de Wordpress.

Enfin nous avons déjà un chat que les clients peuvent installer sur leur site internet. On veut faire la même chose pour les outils de communicat­ion instantané­e à l’instar de Whatsapp, Messenger ou Tiktok. Ce sont de nouveaux canaux pour lesquels nous voulons faire en sorte que, sur une

Il est vraiment temps que nous arrivions à construire des acteurs mondiaux

seule plate- forme, toutes les informatio­ns, tous les messages, arrivent au même endroit : nous développon­s le backend qui va assurer ça.

Et tous ces projets, vous comptez les développer en interne ou procéder à grands renforts d’acquisitio­n ?

❚ Nous avons toujours une croissance organique très importante, sur laquelle nous nous concentron­s. Une acquisitio­n, c’est beaucoup d’énergie.

Si l’opportunit­é se présente, avec nos moyens, nous pourrions en effet réaliser des acquisitio­ns. Mais pas à marche forcée !

Quid de votre développem­ent à l’internatio­nal ?

❚ Nous sommes déjà très présents à l’internatio­nal, avec 180 000 clients dans 160 pays. Les États- Unis sont notre premier marché, mais nous ne prévoyons pas de changement de stratégie de ce point de vue là.

Votre portefeuil­le de clients s’étoffe avec quelques grands noms. Songez- vous aujourd’hui à pivoter vers les grands comptes ?

❚ Nous avons déjà quelques grands comptes. Ce n’est pas une cible prioritair­e pour nous, mais ils viennent naturellem­ent vers nous – notoriété aidant – quand ils ont des besoins auxquels Sendinblue est le plus à même de répondre. C’est souvent pour un départemen­t donné, pour une opération donnée. Nous voyons des départemen­ts qui veulent aller vite utiliser l’outil dans de grandes structures parce qu’il est simple à utiliser et abordable. Nous avons déjà développé une offre Enterprise adaptée aux besoins de ces entreprise­s et comptons de très beaux clients dans notre portefeuil­le : Michelin, Carrefour, Ville de Paris, les Mousquetai­res, Tissot, Boutique Arthur, Solidarité­s Internatio­nal, Vide Dressing, Amnesty Internatio­nal, Liligo, K- Way, Groupe Casino, Europcar, Heineken, Banque Populaire, Axa, BMW, Fujitsu, le Figaro, la Fnac… Néanmoins, notre mission principale reste d’aider les PME. Nous n’avons pas de politique de montée en gamme, notre ADN c’est vraiment le self- service et les PME.

Fin septembre, suite à la levée de fonds, vous nous parliez de la poursuite de la politique de R & D de Sendinblue. Prévoyezvo­us d’étoffer vos équipes dans les prochains mois ?

❚ Aujourd’hui plus de 50 % des effectifs sont déjà dédiés à l’innovation, cette nouvelle levée de fonds va nous permettre d’étendre cette politique de R & D en interne, mais aussi d’acheter des briques technologi­ques pour accroître la fonctionna­lité de la plate- forme.

Le rachat de Newsletter­2go au début 2019 vous a garanti une entrée sur le marché allemand, que vous aviez du mal à pénétrer. Y a- t- il d’autres pays dans le même cas aujourd’hui ?

❚ Oui, nous souhaitons accélérer aux États- Unis et nous y avons des projets d’acquisitio­n.

Sachant que les États- Unis sont désormais votre premier marché, comment vous positionne­z- vous par rapport à la concurrenc­e, notamment américaine ?

❚ Cette levée de fonds va nous permettre de développer notre produit pour accélérer notre croissance sur le marché nord- américain.

Comment expliquez- vous l’intérêt d’importants investisse­urs américains pour Sendinblue ?

❚ Sendinblue a démontré sa capacité à s’adapter aux marchés à la fois très exigeants et très éclatés en Europe. Notre outil s’adapte aux besoins des PME et séduit par sa facilité d’utilisatio­n. Les investisse­urs américains ont sans doute perçu la force et la singularit­é de Sendinblue sur un marché aussi porteur que le marketing digital.

Contrairem­ent à d’autres entreprise­s à forte croissance, vous n’avez pas émigré vers les États- Unis. Qu’est- ce qui vous retient en France ?

– ou plutôt pourquoi la France ?

❚ Pourquoi devrions- nous migrer aux États- Unis ? Nous avons deux bureaux en Amérique du Nord pour accélérer sur ce marché mais notre siège est et restera en Europe ! Il est vraiment temps que nous arrivions à construire des acteurs mondiaux depuis le continent. C’est incroyable que nous n’y parvenions pas davantage alors que nous possédons tous les atouts, aussi bien du côté des talents que de la taille du marché. À l’heure du RGPD, il est décisif de construire un écosystème européen indépendan­t qui garantit la confidenti­alité des données. Notre ADN est européen, mais notre ambition est mondiale.

Si vous ne communique­z pas sur votre valorisati­on, vous avez tout de même une vue globalemen­t sur l’écosystème des jeunes pousses en France. Pourquoi ne pas vous inscrire dans cette « course à la licorne » ?

❚ « La course à la licorne » n’est selon nous clairement pas une fin en soi. Nous ne souhaitons pas entrer dans ce jeu d’enchères sur la communicat­ion des valorisati­ons. Ce qui nous porte c’est l’aventure humaine et entreprene­uriale, être capable d’emmener tous nos employés vers la réussite de nos clients et la conquête de notre marché.

La BPI fait partie de vos investisse­urs, comme pour de nombreuses autres étoiles montantes. En quoi le soutien du bras armé et financier de l’état est- il important pour vous ? Est- ce qu’il démontre un changement d’échelle, une montée en gamme pour Sendinblue ?

❚ Comme discuté avant, nous avons déjà une offre Enterprise depuis plus d’un an, il n’est donc pas question de monter en gamme puisque cette gamme existe déjà. Avoir à nos côtés un investisse­ur français marque notre volonté de construire un géant mondial à partir de l’europe.

L’écosystème des start- up est- il suffisamme­nt aidé, aussi bien par les pouvoirs publics que dans le cadre d’initiative­s privés ?

❚ Nous avons un des écosystème­s les plus privilégié­s avec par ailleurs de très bonnes écoles d’ingénieurs. Tout ça fait que nous voyons de plus en plus d’étoiles montantes françaises émerger sur le marché mondial.

Voilà des années qu’on nous annonce la mort de l’e- mail, mort qui n’a pas eu lieu. Quelle est votre opinion sur le sujet ? Est- ce que le développem­ent dans la communicat­ion instantané­e est une stratégie destinée à pallier une hypothétiq­ue chute du marché de l’e- mailing ?

❚ En effet, il est régulièrem­ent à la mode d’annoncer la fin du mail. Aujourd’hui le mail reste le moyen le plus répandu, le plus agnostique, le moins intrusif, le plus abordable et efficace pour porter des campagnes. C’est l’outil de communicat­ion ayant le meilleur ROI. Les autres modes de communicat­ion ne le remplacent pas pour l’instant, ils le complètent.

Enfin, sur le Covid… La pandémie a- t- elle eu un impact positif ou négatif sur votre activité commercial­e ? L’accélérati­on de la transforma­tion numérique des entreprise­s – petites et moyennes surtout – et l’adoption par celles- ci de solutions Saas ont- elles boosté le recrutemen­t de clients depuis le début de l’année 2020 ?

❚ La pandémie a effectivem­ent augmenté le recrutemen­t de nos clients à 180 000 entreprise­s clientes dans 160 pays. Nous avons enregistré une croissance de 50 % sur les trois premiers mois de confinemen­t. Nous avons surtout vu des industries très peu digitalisé­es, se jeter à l’eau. De plus en plus de restaurant­s, boutiques locales, services de tourisme local et même des profession­s moins habituées à notre solution comme les thérapeute­s et coach en tous genres ont saisi l’intérêt de digitalise­r leur communicat­ion. ✖

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Armand Thiberge avec Mickael Arias, le co- CEO de Sendinblue.

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