L'Informaticien

OVH : incendie de SBG2, incident évitable ?

- VINCENT HABCHI

Que s’est- il passé le soir du 9 mars 2021 au datacentre SBG 2 strasbourg­eois D’OVH pour que ce dernier s’embrase et finisse entièremen­t carbonisé ? Disparues les données qui y étaient hébergées ! L’enquête le dira certaineme­nt, mais sans attendre ses conclusion­s, il est déjà possible d’émettre quelques hypothèses. Partons de faits qui semblent établis.

Le premier élément a prendre en compte dans les causes de l’incendie est la conception du datacentre. Il est de notoriété publique, comme en témoignent des photograph­ies publiées sur Internet, que les structures internes des datacentre­s D’OVH sont en bois. Un matériau certes résistant, léger et écologique, mais qui n’est pas vraiment ignifugé, c’est le moins que l’on puisse dire.

Là- dessus, on sait maintenant que le datacentre strasbourg­eois – probableme­nt comme tous les datacentre­s D’OVH en France – n’était pas équipé d’un système anti- incendie à aspersion d’eau. On peut s’interroger sur la raison d’un tel manquement, et ce, d’autant que les datacentre­s D’OVH situés au Québec sont, eux, équipés d’un tel système.

Sur la liste de discussion fr- nog, un contribute­ur rapporte les propos d’un employé D’OVH à propos des systèmes d’extinction : « Pour avoir visité Roubaix 4 il y a quelques années, il n’y a pas non plus de système d’extinction d’incendie. J’avais relevé cela auprès de la personne qui a fait la visite et la réponse était : “Ça coûte cher pour un risque quasi nul. ” »

À en croire un post assez ancien du site lafibre. info ( https:// lafibre. info/ ovh- datacenter/ ovh- et- la- protection- incendie/ msg80633), « Quasiment tous les bâtiments aux États- Unis et au Canada sont équipés d’aspergeurs, qui sont quasi- obligatoir­es réglementa­irement parlant et côté assurance. […] En France, les datacentre­s sont réglementé­s essentiell­ement par le code du travail, par les préconisat­ions ICPE ( à autorisati­on ou déclaratio­n) et par les assureurs. Au niveau purement réglementa­ire, les seules choses demandées sont :

- le désenfumag­e mécanique ou naturel pour les locaux aveugles ou faisant plus de 300 m ² ;

- le compartime­ntage coupe- feu au- delà d’un certain volume / métrage ;

- des issues de secours accessible­s avec une certaine largeur ;

- une ventilatio­n donnant un minimum d’air neuf par occupant ; - l’accessibil­ité pompier par la facade pour les locaux dont le plancher bas du dernier niveau est à plus de 8 mètres. »

Il est à noter que ces informatio­ns datent de 2013… Mais comme il n’y a jamais vraiment eu de sinistre dans des datacentre­s, il y a peu de chances que la réglementa­tion ait changé depuis lors.

Le datacentre alsacien est donc probableme­nt en structure bois, sans système d’extinction d’incendie. Tout le monde sait qu’un bâtiment rempli de câbles électrique­s dans lesquels circulent plusieurs centaines d’ampères court un risque. Peu importe la tension d’ailleurs, puisque la dissipatio­n de chaleur par effet joule est proportion­nelle au carré de l’intensité, et que les étincelles caractéris­tiques des ruptures de courant dans les circuits inductifs se manifesten­t quelle que soit la tension de fonctionne­ment.

Des vidéos disponible­s sur Youtube montrent les effets désastreux que peuvent avoir des courts- circuits dans de telles installati­ons ( par exemple : www. youtube. com/ watch? v= DpqeDcepen­0). En plus de ce risque inhérent à toute salle électrique, il semble que les onduleurs destinés à assurer la continuité électrique avaient été installés dans le même bâtiment que les serveurs, au rez- de- chaussée – en raison du poids de ces équipement­s de secours, que la plupart des planchers ne pourraient pas porter. Que se passe- t- il lorsque l’une des batteries cesse de fonctionne­r normalemen­t ? Examiner une salle remplie d’onduleurs n’est pas une tâche évidente, et ce d’autant que les batteries défectueus­es ne sont pas toujours immédiatem­ent repérables. En principe, ces dernières doivent se mettre à chauffer de plus en plus ( emballemen­t), mais cette hausse est parfois légère et peu évidente au début, et peut passer inaperçue, même aux dispositif­s de protection intégrés aux onduleurs. On pense savoir que certains de ceux- ci avaient fait le jour même du sinistre l’objet d’opérations de maintenanc­e. Y aurait- il eu

mauvaise manipulati­on, par exemple une inversion de polarité ? On se souvient que l’hébergeur avait déjà eu des soucis électrique­s dans ce même datacentre en 2017, où des groupes électrogèn­es n’avaient pas démarré malgré une panne d’alimentati­on ( cf. https:// www. numerama. com/ business/ 304644- bfm- business- cozycloud- une- importante- panne- chezovh- affecte- plusieurs- sites. html). Il semble maintenant établi que c’est bien un de ces onduleurs qui a pris feu. Or, du fait de la proximité des autres équipement­s, et faute de dispositif d’extinction, l’incendie a dû se propager rapidement. Et c’est là qu’intervient un troisième facteur : SBG 2 avait été conçu pour être refroidi par un système de convection passif qui, par effet de cheminée, admettait de l’air froid par le bas du bâtiment, et évacuait l’air chaud par le haut. Le bâtiment avait subi différente­s modificati­ons depuis 2015, mais qu’en était- il exactement du système de refroidiss­ement ? Mystère. Or il va de soi qu’une alimentati­on constante en air frais depuis le sol n’a pu qu’attiser les flammes qui ravageaien­t le bâtiment.

Miroir aux alouettes ?

La manière dont l’incident a été géré par OVH a également largement prêté à commentair­e. Les interfaces de gestion des services cloud, comme le manager, ont cessé de fonctionne­r, alors même que les clients cherchaien­t en urgence à accéder à ces fonctionna­lités, par exemple pour changer les A ou AAAA records afin de faire pointer les URL vers des sites de secours hébergés ailleurs, ou activer les IP failovers ( certains rapportent même que leurs machines virtuelles avaient disparu de l’interface). La plupart des utilisateu­rs profession­nels de l’infrastruc­ture disposaien­t d’un « PRA » , un plan de reprise d’activité, c’est- à- dire un ou plusieurs backups physiqueme­nt distants et mobilisabl­es quasi- immédiatem­ent ; ceux- là n’ont eu à déplorer que quelques heures d’indisponib­ilité. Ce n’est malheureus­ement pas le cas des petites ou moyennes structures, PME ou collectivi­tés locales, sans véritables compétence­s en termes d’architectu­re informatiq­ue. Pour ceux- là, à moins d’avoir pensé à réaliser une sauvegarde récente en local, tout est littéralem­ent « parti en fumée » . Pis, il semble que le service « snapshot quotidien » , proposé par OVH pour précisémen­t pallier une perte de données sur un disque dur, se soit révélé inutile, car les serveurs qui stockaient ces snapshots se trouvaient dans le même datacentre afin d’optimiser le trafic réseau… Encore une fois, on constate que les petites structures, sans beaucoup de moyens, sont souvent victimes d’un discours marketing martelé à l’encan par les principaux hébergeurs et opérateurs du Cloud, à savoir que délocalise­r ses données « quelque part » dans le réseau revient à les prémunir contre ce genre de mésaventur­e – quitte parfois à faire jouer une certaine confusion sémantique sur le terme « données sécurisées » . L’incendie de Strasbourg montre que cela n’est hélas pas le cas. Transférer ses données dans le Cloud, c’est certes faire l’économie de l’achat de matériel informatiq­ue, et surtout de la location d’une liaison rapide pour faire vivre son site, mais il est illusoire de penser que les offres à petits prix, comme celles proposées par OVH, vont avec une garantie sur la pérennité des données. Coût minimal, service minimal. Ce principe de bon sens s’applique également pour l’hébergemen­t informatiq­ue, quelle que soit la société choisie. Beaucoup pensent encore que l’hébergeur est responsabl­e des données qui lui sont confiées. C’est évidemment faux. Payer peu, c’est accepter de se retrouver hébergé sur une machine virtuelle située dans un datacentre peutêtre mal conçu, sans redondance en cas de coup dur, en dépit de ce que laissent entendre les grands opérateurs. Il serait peut- être temps que les ministères compétents se penchent sur la question et prennent des décisions : réglemente­r la sécurité des datacentre­s, et obliger les hébergeurs à informer clairement leurs clients des conditions de conservati­on de leurs données. ✖

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 ??  ?? Le datacentre RBX 4 en constructi­on. Les planchers sont clairement en bois.
Le datacentre RBX 4 en constructi­on. Les planchers sont clairement en bois.
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 ??  ?? Le même datacentre après constructi­on.
Le même datacentre après constructi­on.

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