L'Informaticien

Irresponsa­bilité partagée ?

- PAR BERTRAND GARÉ

Les poussières de l’incendie du centre de données D’OVH, à Strasbourg, commencent à retomber. Cela n’est rien de dire que cela fut un choc pour beaucoup à la fois pour les industriel­s de l’hébergemen­t et pour de nombreux clients qui découvraie­nt les règles du jeu confuses qui régissent à la fois cette industrie et le Cloud. Évidemment, beaucoup ont saisi cette occasion pour crier haro sur le baudet, chercher les responsabi­lités, les causes qui, rappelons- le, produisent toujours les mêmes effets. Le cas D’OVH n’est pas unique en son genre même si les conséquenc­es des incidents n’ont pas eu la même ampleur. Ainsi en août 2018, un centre de données en constructi­on D’AWS partait en fumée dans la banlieue de Tokyo. Ce fournisseu­r de services d’infrastruc­ture n’a pas vraiment de chance avec les éléments. À Sydney en 2016 les orages ont entraîné une interrupti­on de différents services. Il en avait été de même en 2011 à Dublin en Irlande. Dédouaner OVH ? Non, ce n’est pas le sujet de cette chronique. Il s’agit juste de faire la part des choses et de comprendre pourquoi les conséquenc­es sont si importante­s à la suite de cet incendie.

D’un côté nous avons un fournisseu­r, qui, jusqu’à présent, ne semble avoir pour faute que de n’avoir appliquées que les normes minimales demandées par les pouvoirs publics pour ses installati­ons. Cette approche low cost est aujourd’hui vilipendée par les bons élèves de l’hébergemen­t qui défendent leur position en présentant à l’envi tout ce qu’ils font pour protéger leurs installati­ons de tels incidents. Bref tout en clamant leur solidarité, ils abreuvent la presse et le grand public de leur marketing rebondissa­nt opportuném­ent sur l’incident tout en refusant de répondre ou de commenter directemen­t avec des journalist­es. Peutêtre qu’eux- mêmes ne se sentent pas à l’abri d’un incident sévère car comme nous l’avons vu, nul n’est à l’abri.

Trois millions de sites concernés

Cette approche à prix cassés se combine avec certaineme­nt des erreurs de conception et de matériaux utilisés dans le centre de données. Il faut y ajouter une pratique de sauvegarde assez éloignée de bonnes pratiques usuelles comme de les réaliser à distance et non dans le même bâtiment. Les résultats de l’enquête en cours vont certaineme­nt clarifier les causes, et donc si responsabi­lité il y a, je fais confiance aux assureurs du site pour les pointer. De l’autre côté, nous avons plus de 3 millions de sites internet hors service ou connaissan­t des pertes de données irréversib­les. Pour beaucoup, par méconnaiss­ance, négligence, manque de ressources financière­s, ces utilisateu­rs clients D’OVH n’ont pas mis en place les garde- fous nécessaire­s pour faire face à ce type d’incident.

Une étude réalisée pour le compte d’oracle ( Oracle et KMPG Cloud Threat Report 2019) citée dans une interview par Dan Hubbard, le CTO de Lacework, indique que seuls 10 % des DSI américains comprenaie­nt la notion de

responsabi­lité partagée. Respon- quoi ? Elle décrit essentiell­ement la répartitio­n des tâches entre le fournisseu­r des services et l’abonné, pour déterminer comment ce service, y compris les données associées, doit être sécurisé. La plupart des fournisseu­rs proposent des contrôles de sécurité natifs, comme le chiffremen­t des données, mais il incombe toujours au client d’appliquer et de gérer ces contrôles ou ceux fournis par une tierce partie. Pour clarifier, le fournisseu­r met à la dispositio­n du client des outils et moyens techniques pour que celui- ci puisse parvenir à ses fins. C’est dans la manière d’utiliser, d’administre­r ces outils et dans la manière de gérer les accès à ceux- ci que le client sera responsabl­e des actions et conséquenc­es qui en découlent. Cette notion déjà mal comprise par des profession­nels est évidemment totalement nébuleuse pour un profane en informatiq­ue. De plus les fonctions de sécurité évoquées plus haut renforcent le sentiment que ces questions sont prises en charge par le fournisseu­r ajoutant de plus un sentiment de fausse sécurité.

Les conditions générales des fournisseu­rs de Cloud sont tellement compliquée­s qu’il existe des certificat­ions pour comprendre les modèles mis en place. Une nouvelle discipline émerge : le Finops, une spécialité à part entière pour comprendre ce que vont coûter réellement les opérations dans le Cloud. Tous les clients ne sont pas des experts informatiq­ues et la récente pandémie a fait que de nombreux commerçant­s ou prestatair­es de services sont passés sur des services en ligne pour continuer leur activité. Mais avaient- ils aussi la maturité et les connaissan­ces des arcanes de ce modèles d’externalis­ation ? Une simplifica­tion et des contrats écrits dans un langage clair pour tous pourrait éviter que des clients se retrouvent comme Perrette avec son pot au lait, Gros Jean comme devant !

La sauvegarde offerte par défaut ?

Bien sûr on peut rappeler les bonnes pratiques à tout bout de champ. Cela ne veut pas dire qu’elles seront mises en place. Oui, il faut disposer d’une sauvegarde de données sur un modèle 3/ 2/ 1, souscrire au minimum à un plan de reprise d’activité pour ne pas subir les conséquenc­es de tels incidents. Cependant pour beaucoup cela reste une langue étrangère incompréhe­nsible qui fait rapidement grimper la facture de son voyage vers le Cloud. On pourrait peut- être comme les produits financiers y sont astreints ne proposer des solutions qu’en fonction de la maturité du souscripte­ur, avec une obligation de conseils. Octave Klaba propose d’ajouter la sauvegarde dans ses offres par défaut. Il conviendra­it de clarifier le où ? À quelle fréquence ? Sur quelle infrastruc­ture et logiciel ? Autre débat, le montant de dédommagem­ents offerts par OVH à certains clients. À la suite de ce que nous venons d’écrire ils sont à la hauteur du service souscrit et de la responsabi­lité estimée du fournisseu­r. En faire une polémique c’est méconnaîtr­e justement cette notion de responsabi­lité partagée ou plutôt irresponsa­bilité partagée par tout le monde dans cette affaire, clients et fournisseu­r. Espérons seulement que cet incident ne sera pas oublié trop vite et que la prise de conscience que le Cloud n’est pas infaillibl­e sera durable. Il serait temps que les utilisateu­rs du Cloud s’occupent activement de ce qui se passe dans les nuages et de ne pas se contenter d’être des consommate­urs de services. Dernier conseil, on n’externalis­e pas un problème à défaut de perdre le contrôle sur ce qui se passe. Cela semble être le cas pour beaucoup de sites web comme le montre l’importance des conséquenc­es de l’incendie du centre de données D’OVH. ✖

Ne proposer des solutions qu’en fonction de la maturité du souscripte­ur, avec une obligation de conseils.

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