L'Informaticien

Penser la formation autrement

- Guillaume Périssat

La formation doit s’adapter aux besoins des salariés et des entreprise­s. À l’heure du travail à distance et de la diversific­ation des ressources, il n’est plus possible de se contenter des cours classiques et des cadres rigides des catalogues. Or, pour repenser l’acquisitio­n de compétence­s, il est essentiel de mettre l’humain au centre.

Les entreprise­s françaises ont lancé, parfois à marche forcée, pandémie aidant, leur transforma­tion numérique. Une transforma­tion bien trop souvent pensée du point de vue technologi­que, laissant de côté, dans les faits, les aspects organisati­onnels et humains. Or d’une part, pour cause de pénurie de compétence, les sociétés peinent à recruter des profils en adéquation avec leurs besoins et, de l’autre, la conduite du changement et les performanc­es sont étroitemen­t liées au développem­ent en interne des compétence­s. Localiser ou former des compétence­s numériques dans les fonctions technologi­ques et commercial­es est le troisième défi identifié dans l’étude réalisée par IDC avec Nutanix ( voir notre article p. 68).

Or, seul un quart des entreprise­s en zone EMEA investit dans les nouvelles formes de formation, nous apprend ce même rapport. Restons dans les chiffres : du côté de Pôle Emploi, on estime que 85% des emplois de 2030 n’existent pas encore, du fait notamment de cette transforma­tion numérique qui s’accélère. « Selon la dernière enquête Besoins en main d’oeuvre ( BMO) de Pôle emploi, les informatic­iens se classent deuxièmes juste derrière les aides à domicile et les aides ménagères dans le top 15 des métiers en tension » explique l’établissem­ent public. « Les technologi­es évoluant sans cesse, il faut sans cesse se remettre en cause et acquérir de nouveaux savoirs » ajoute- t- il.

La France, mauvaise élève

« Acquérir de nouveaux savoirs » , comme l’écrit Pôle Emploi, passe nécessaire­ment par la formation continue. Selon l’edTech Edusign, 32 % des Français parmi lesquels 43% de salariés du privé, suivent une formation profession­nelle chaque année. Un chiffre en deçà de la moyenne de L’OCDE ( 41%). Les Français se forment moins que leurs voisins, mais à qui la

faute ? Bon, il ne s'agit pas ici de dresser un inventaire exhaustif des responsabi­lités allant de la culture d'entreprise aux problémati­ques RH en passant par les questions de financemen­t, mais de se pencher sur certains problèmes inhérents à la formation continue… à commencer par son attractivi­té.

Pour peu que vous ayez déjà eu affaire à une formation, vous ne serez sûrement pas étranger aux écueils administra­tifs, qui pèsent tant sur les organismes de formation que sur les salariés. L'émargement par exemple… une problémati­que à laquelle Edusign entend répondre en numérisant et en centralisa­nt cette démarche. S'y ajoute une certaine rigidité dans la gestion des formations, couplée à un sujet RH dont on ne s'occupe qu'une fois par an, voire tous les deux ans. Or, rien qu'en termes de typologie, Elliot Boucher, cofondateu­r d'edusign, voit au moins deux niveaux : « Des profils juniors qui vont chercher à développer des compétence­s techniques rapidement et des profils plus avancés qui vont suivre des formations plus spécifique­s pour acquérir des compétence­s qui ne sont pas forcément présentes dans l’entreprise » .

Sortir du carcan

Or, les Learning Management Systems ( LMS) traditionn­els se contentent bien souvent de proposer des catalogues, parfois pléthoriqu­es, de cours et de formations, en sus d'autres fonctionna­lités telles que le contrôle de l'accès aux ressources ou encore le suivi des cursus. En outre, bon nombre d'entreprise­s choisissen­t de ne pas mettre en place ce genre de dispositif­s. Pour Elliot Boucher, si les LMS ont « encore des années devant eux » , « il devient nécessaire de passer au Learning Experience Management » ( LXM), qui remet l'humain au coeur. Car les LMS ont beau jeu de mettre de L'IA à toutes les sauces, « L’IA ne permet pas de tout personnali­ser, d’avoir quelque chose de magique qui élabore la formation parfaite pour un individu donné » . C'est d'autant plus vrai lorsque les cours consistent à la lecture de Powerpoint suivi d'heures de bachotage bête et méchant.

Pour bien comprendre l'intérêt du LXM, il faut se replacer dans le contexte de la crise sanitaire. En télétravai­l, les ressources internes à l'entreprise ne sont pas forcément accessible­s : l'acquisitio­n de compétence­s passe donc par de nouveaux canaux. Slack, les forums en ligne, Discord ou encore Youtube sont autant de supports de connaissan­ces qui permettent « une personnali­sation dans le choix, de sorte que les personnes puissent développer des compétence­s plus efficaceme­nt et plus régulièrem­ent. Aujourd’hui, les salariés apprennent n’importe où, n’importe quand, ils n’ont pas nécessaire­ment besoin d’être dans une salle de classe » souligne le cofondateu­r d'edusign. Bien sûr, les cours classiques et les bootcamps restent d'actualité, mais les formations s'adaptent, sous l'impulsion des Edtechs, avec des formats plus ou moins intensifs, en continu sur quelques jours ou quelques heures réparties sur plusieurs mois.

L’apprentiss­age par la communauté

Compte surtout l'apprentiss­age par les pairs, qu'ils soient internes à l'entreprise ou réunis au sein de communauté­s. « Ceux qui réussissen­t le mieux, sont ceux qui arrivent à avoir une communauté » précise Elliot Boucher. Si l'acquisitio­n de nouvelles compétence­s techniques générales ( programmat­ion Python par exemple) ne peut souvent faire l'impasse sur des cours classiques, voire des bootcamps, les besoins de compétence­s précises, sur un champ réduit ( par exemple la métaprogra­mmation sous Python), orienteron­t plutôt vers des tutoriels et la consultati­on des pairs. Ce qui donne à la formation continue tout son sens. Par le passé, les formations obéissaien­t à un mode « je vais en classe, je suis le cours, je termine la formation » . Désormais, travail à distance aidant, on va parler de blended learning, combinant des cours avec un formateur, des supports numériques en ligne généraleme­nt librement accessible­s et des échanges avec la communauté.

Mais ces nouveaux modes d'acquisitio­n de compétence­s touchent au coeur même des LMS, à l'élément regardé une fois l'an par les RH : le certificat, ou tout autre document délivré au terme d'une formation de sorte à confirmer les acquis. Un salarié qui apprend à exécuter des requêtes SQL en PHP par le biais de Stack Overflow et d'une poignée de forums ne se verra pas décerner de précieux sésames validant ses acquis. « La question est « est- ce que c’est si grave de ne pas savoir qui a cette compétence ? » . « Dans une entreprise, on constatera vite que quelqu’un n’a pas une compétence » indique Elliot Boucher. « Il faut aussi se concentrer sur la validation de l’expérience, plutôt que sur le « j’ai suivi la formation » » . Enfin, ultime enjeu de l'attractivi­té d'une formation, son « packaging » … De L'école 42 en son temps à Le Wagon ( voir L'informatic­ien n° 203), il est essentiel, pour attirer le chaland, de montrer la plus- value concrète de la formation. « Une formation, même en interne, c’est quelque chose qui est vendu. On oublie souvent le marketing autour des formations, pour donner envie de les suivre » estime le cofondateu­r d'edusign. À toutes fins utiles, rappelons que la formation continue est un moyen de rétention des talents, en permettant l'évolution personnell­e et profession­nelle des salariés. Mais encore faut- il investir intelligem­ment dans la formation, c'est- à- dire de répondre aux besoins de chacun, au cas par cas. Mettre l'humain au coeur, en quelque sorte.

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