L'Obs

Antoine, oh, yeah !

PAR ANTOINE AUDOUARD, GALLIMARD, 204 P., 18 EUROS.

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« Changer la vie » : à 58 ans, Antoine Audouard vient de donner à son nouveau roman le titre le plus légitime et le plus prometteur. Car il a été victime, en juin 2012, d’un AVC qui l’a laissé hémiplégiq­ue du côté gauche. Au fils d’Yvan Audouard, petit-fils du surréalist­e André Thirion et filleul d’Antoine Blondin – c’étaient trois attaquants cérébraux, l’héritage est lourd à porter –, il a fallu lentement réapprendr­e à marcher, parler, espérer. Ecrire, aussi. Dès la première page de son roman, il prétend d’ailleurs avoir fait appel à un traducteur, seul capable de déchi rer son manuscrit à la graphie illisible et aux néologisme­s incompréhe­nsibles. On voit par là que, s’il a perdu l’usage de son bras gauche, l’auteur de « la Peau à l’envers » a conservé son humour. Et toute sa mémoire.

En compagnie du narrateur, André, un gaucher de gauche, et de son ami François, Antoine Audouard repasse en e et le film euphorique des années 1980. D’abord à Paris, où Mitterrand promet de « changer la vie » et où la fête bat son plein. Ensuite à New York, où les deux copains, qui ont 20 ans et des poussières, réalisent leur rêve américain : tandis que François disparaît dans la nuit gay, André pénètre le petit monde de la presse et de l’édition marginales. Il décroche même làbas son premier job : on le charge de recueillir, pour les mettre en forme et en volume, les souvenirs d’une certaine Jenny Schwartz, née nîmoise et protestant­e, initiée au piano par le maître Alfred Cortot, résistante pendant l’Occupation, membre du réseau du Musée de l’Homme, amie de Germaine Tillion, arrêtée et torturée par la Gestapo, sauvée par les Américains et vivant aux Etats-Unis depuis quarante ans. (Le livre finira par paraître, mais je vous laisse découvrir le coup de théâtre final.)

Rythmé par une bande-son très rock, un medley des Rolling Stones, de Springstee­n, de Lennon, d’AC/DC, des Beatles, des Who, du Velvet ou de Lou Reed, peuplé d’écrivains-frères, de Superviell­e à Philip Roth, de Modiano à Saul Bellow, et porté de bout en bout par l’irrépressi­ble désir des femmes, ce roman vasculaire et vernaculai­re d’Antoine Audouard, qu’on pourrait croire tourné uniquement vers le passé, s’oriente au contraire vers l’avenir. Maintenant qu’il s’est réappropri­é une langue perdue et qu’il a rassemblé ses souvenirs, réels ou imaginaire­s, l’auteur d’ « Abeilles, vous avez changé de maître » est devenu un écrivain nouveau et un homme neuf. La preuve : il ne désespère pas de reprendre ses entraîneme­nts de baseball. JÉRÔME GARCIN

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