La loi du marché
Alexis Jenni, prix Goncourt 2011, publie un étrange polar philosophique sur les ravages du libéralisme. Un cauchemar
Quatre ans après « l’Art français de la guerre », l’art néolibéral d’exploiter la misère. Les grands sujets saignants ne font pas peur à Alexis Jenni. Il appuie là où l’époque fait mal. Ceux qui avaient lu son prix Goncourt comme un roman historique, parce qu’il racontait les guerres d’Indochine et d’Algérie, s’étaient fourré le doigt dans l’oeil : tout était aimanté par une réflexion, incisive et inquiète, sur la France postcoloniale où l’on se débat aujourd’hui. Dans « la Nuit de Walenhammes », l’ancrage temporel est plus explicite encore. On est dans une ville sinistrée du Nord. Des attentats bizarres se produisent : la piscine municipale s’embrase, un contremaître finit dans un haut-fourneau, des types portant des masques de Mitterrand et de Donald attaquent un hypermarché au pistolet à peinture. Tout ça tombe à pic pour nourrir le discours sécuritaire des politiques, puisqu’il est bien entendu que « la sécurité est la première des libertés, et la condition du renouveau économique ». La pauvreté, elle, s’étend jusqu’à devenir une miraculeuse source de richesse puisque « l’économie telle que nous la connaissons a besoin de ceux, sans nom et sans nombre, qui travaillent pour rien ».
Toute ressemblance avec la joyeuse France des années 2010 n’est pas fortuite, mais le roman de Jenni n’a aucune prétention naturaliste. Il a beaucoup plus d’ambition que ça. Ironique et onirique, entrelardé de méditations qu’il appelle les « éphémérides de Lârbi », c’est un polar philosophique di orme, tentaculaire, limpide comme un cauchemar de David Lynch, un carnaval monstrueux comme ce qu’il cherche à décrire, et qui par définition ne se laisse pas décrire comme ça : l’idéologie du « Tina », ce There is no alternative qui imprègne notre bel âge contemporain. « Nous nous e ondrons pour les mêmes raisons que le monde soviétique : cercle dirigeant étroit, sbires prêts à tout, croyance en des lois que l’on oublie avoir inventées, remplacement du réel par sa mesure », résume Lârbi. Souvent bavarde, parfois boursouflée, toujours grinçante, « la Nuit de Walenhammes » est une puissante et chaotique chronique de l’apocalypse qui vient. Né en 1963 à Lyon,
Alexis Jenni a eu le prix Goncourt en 2011 avec son premier roman, « l’Art français de la guerre » (300000 exemplaires vendus,
15 contrats de traduction).
« La Nuit de Walenhammes »
est tiré à 12000 exemplaires.