Macron, le militant fantôme du PS
Au Touquet comme à Paris, personne n’a entendu parler du passage du ministre de l’Economie dans les sections socialistes. On se souvient de lui ailleurs, parfois plus à droite
Tout commence par une banale discussion, il y a quelques mois, entre Jean-Pierre Jouyet et l’une de ses vieilles connaissances. Le secrétaire général de l’Elysée et mentor d’Emmanuel Macron évoque son poulain: « Il a milité, tracté, participé à des réunions de section du côté du Touquet. » Tiens donc… Le ministre de l’Economie, dont la fibre socialiste est des plus discutées, ne serait donc pas celui que l’on croit. Le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, a beau avoir récemment jugé dans une interview à « l’Obs » qu’Emmanuel Macron n’était « pas socialiste », l’intéressé a plusieurs fois revendiqué un vrai passé de militant au PS. « J’ai fait beaucoup de politique locale dans le Pas-de-Calais, dans la région de Berck, Etaples, Le Touquet », affirmait-il par exemple le 24 mai 2012 dans « l’Obs ». Au lendemain de sa nomination à Bercy, le 29 août 2014, un communiqué du PS insistait sur son pedigree socialiste, expliquant que le nouveau ministre avait été « en contacts étroits avec des élus et des militants de la fédération du Pas-deCalais ». La Rue de Solférino ajoutait que s’il n’était plus adhérent, « M. Macron [était] dans les fichiers du PS », puisqu’il « a adhéré en 2006 à la fédération de Paris » et en « a été membre actif jusqu’en 2009 ».
La fédération de Paris ? Soit. Il ne serait pas le premier adhérent à être inscrit à un endroit et à militer ailleurs. Le jeune Macron aurait donc distribué des tracts dans le Pas-de-Calais, et plus précisément au Touquet, cette station balnéaire huppée où il possède depuis de longues années une résidence secondaire avec son épouse, issue d’une riche et célèbre famille de la ville. Une fois sur place, on peine à trouver la trace de ce militantisme… Et pour cause. Première surprise : il n’y a pas de section socialiste au Touquet! « Cela fait trente ans au moins qu’elle a disparu, avance une ancienne responsable locale. Au vu de la sociologie des habitants, très aisés, très à droite, ce n’est guère étonnant. » Au premier tour des municipales de 2014, trois listes concouraient: une liste UMP et deux listes... divers droite. En fait, les rares socialistes touquettois militent dans les sections des communes voisines de Montreuil, Etaples ou Berck, trois sections où l’amusement le dispute à l’étonnement quand on évoque le nom du ministre de l’Economie. A Montreuil, l’ex-secrétaire de section Laurence Stahlberger est caté---- gorique: « Sincèrement, je n’en ai jamais entendu parler ici. » Idem pour Jean-Bernard Cyffers, à l’époque secrétaire de la section d’Etaples : « Ah non, il n’a jamais milité ici! » Quant à la section de Berck, l’un de ses anciens dirigeants, sous couvert d’anonymat, se montre plus dur encore : « Ce monsieur s’est inventé un passé militant au Touquet. Il a dû un jour dire pour se dédouaner qu’il avait milité. Mais j’ai plus que de gros doutes. Ce qui est sûr et certain, c’est qu’il n’a jamais fait de terrain dans le coin. » Un camarade, récemment interrogé sur les déclarations de Macron, lui a même confié: « J’en ai marre de le couvrir!»
LE TOUQUET, C’EST PRIVÉ
Pourtant, Emmanuel Macron a bien eu une activité politique au Touquet. Mais pas vraiment là où on l’attendait… L’épisode remonte au début de l’année 2006. La ville s’apprête à tourner une page de son histoire. Le maire UDF Léonce Deprez ne se représentera pas aux municipales de 2008. Il dirigeait Le Touquet depuis 1969, presque sans discontinuer. Feutrée, la bataille pour sa succession est intense entre Daniel Fasquelle, la valeur montante de l’UMP locale, et le divers droite Philippe Cotrel, qui est le seul à avoir réussi à chiper le fauteuil de maire à Deprez en 1995, avant de devoir le lui rendre en 2001. Cotrel veut sa revanche, mais il sait qu’il ne fait plus l’unanimité. Si ce n’est pas lui, ce sera un autre, de son bord évidemment, lui qui fut encarté à Démocratie libérale. Avec d’anciens adjoints, il monte un club, Perspectives, pour trouver la perle rare. On y trouve des ex-élus, des entrepreneurs locaux et quelques résidents triés sur le volet, dont un certain… Emmanuel Macron. A seulement 28 ans, l’énarque, inspecteur général des Finances, brille déjà dans les dîners. Pour le « tester », selon l’expression d’un membre du club, Jacques Coyot, on invite Macron à parler devant la toute-puissante Union des Propriétaires, Résidents et Amis du Touquet (Uprat). Coyot raconte: « Au début de la réunion, l’ambiance était très froide, mais, à la fin, tout le monde l’applaudissait. Il avait fait un exposé brillant sur l’ISF. Il avait su séduire, tant par ses arguments que par son comportement. » Résultat: « On souhaitait qu’il soit partant, qu’il soit notre candidat. » Emmanuel Macron se prend au jeu, jusqu’à ce que certains politisent l’affaire. « Sans lui demander de prendre sa carte à l’UMP, ils ont exigé qu’il se dise de droite,
“J’ai regardé tous les fichiers et je ne trouve aucune trace de lui. J’ai pourtant épluché toutes les années : 2006, 2007, 2008 et 2009.”
Un ancien secrétaire de section du Parti socialiste
poursuit Jacques Coyot. Il nous a répondu: “Je ne peux pas, j’ai des ambitions autres que locales dans la vie.” Effectivement! » L’aventure de Perspectives périclite et c’est Daniel Fasquelle qui est élu maire.
Aujourd’hui, le ministre de l’Economie refuse de commenter cet épisode, faisant simplement savoir, par l’intermédiaire de son cabinet, qu’il ne s’agissait que d’amicales discussions. Le Touquet est un petit village de moins de 5000 âmes, tout le monde se connaît et beaucoup se fréquentent. Député-maire et désormais trésorier des Républicains, Daniel Fasquelle le confirme: « J’avais le numéro de portable d’Emmanuel Macron bien avant qu’il ne soit ministre. Je crois pouvoir affirmer que l’on s’apprécie. » Le ministre, lui, reste muet. Pour Macron, Le Touquet, c’est privé ! Les journalistes locaux attendent toujours que le Touquettois d’adoption accepte de parler de la ville dans leurs colonnes. Et à Bercy, on refuse désormais d’évoquer tout engagement politique du ministre dans le Pas-de-Calais. De même, on nie qu’il ait été tenté d’être candidat aux municipales de 2014 à Amiens, alors que le PS confirme les appels de François Hollande à Harlem Désir, alors premier secrétaire, en ce sens. De même, Bercy n’a jamais entendu parler d’un mot de soutien du ministre aux candidats socialistes d’Etaples lors des départementales de 2015. Le tract, avec la photo d’Emmanuel Macron, existe pourtant bel et bien. « C’était à ma demande », confirme Vincent Léna, qui aimerait le voir en faire bien plus : « En tant que secrétaire de circonscription, je ne peux que souhaiter un investissement plus fort localement, mais la décision lui appartient. » Pour l’heure, Macron répète qu’il n’est candidat à rien.
INVISIBLE
Son cabinet à Bercy se borne à expliquer qu’il a pris sa carte en 2006 à la fédération PS de Paris, précisément à la « section culture du 11e arrondissement », dans le but de voter à la primaire socialiste de 2006. Le souci, c’est qu’Emmanuel Macron n’est pas plus connu dans les rangs socialistes de la capitale que dans ceux du Pas-de-Calais. Le premier fédéral de l’époque, Patrick Bloche, n’en a aucun souvenir : «S’il a adhéré, il n’a pas milité, c’est sûr. » Pas plus que Michel Puzelat, l’ancien secrétaire de la section du 11e arrondissement: « J’ai regardé tous les fichiers et je ne trouve aucune trace de lui. J’ai pourtant épluché toutes les années : 2006, 2007, 2008 et 2009. » Mais c’est le secrétaire de la section culture d’alors, François Adibi, qui se montre le plus tranchant : « Je n’ai jamais entendu parler d’Emmanuel Macron de toute ma vie militante au PS ! » Sans manquer d’ajouter avec une pointe d’ironie: « La section culture du 11e arrondissement, cela n’existe pas. Au PS, ou on est inscrit dans une section territoriale, ou dans une section thématique. En l’occurrence, ou il était inscrit dans le 11e arrondissement, ou dans la section culture, il n’y a pas d’intermédiaire. » Invisible sur le terrain, Macron figure pourtant dans les fichiers du PS, et plus exactement dans le fichier « Rosam », pour « Répertoire Open Source des Adhérents et des Militants ». Il a bien adhéré courant 2006, quand l’opération Perspectives prenait fin au Touquet. A l’époque, à l’initiative de Ségolène Royal, les adhésions à 20 euros par internet ont fait se multiplier les cartes. Emmanuel Macron n’a payé que cette seule année. S’il est réputé avoir été membre jusqu’en 2009, c’est parce qu’un adhérent socialiste n’est radié qu’après deux années sans payer. A Solférino, on confirme que la formulation du communiqué publié lors de sa nomination à Bercy – « membre actif jusqu’en 2009 » – était volontairement ambiguë, mais on affirme que c’était sous la pression du cabinet de Macron. A Bercy, on se refuse encore à tout commentaire. En fait, à Paris comme au Touquet, Emmanuel Macron a bien un passé militant. Mais toujours pas au PS. On le retrouve, cette fois, dans les rangs chevènementistes, en 1998, alors qu’il est élève à Sciences-Po. A l’occasion d’un stage à la mairie du 11e arrondissement de Paris, il se rapproche du maire, Georges Sarre, figure du Mouvement des Citoyens (MDC) et fidèle de JeanPierre Chevènement. Jean-Yves Autexier, ancien secrétaire national du MDC, l’a « bien connu »: « Il était présent lors de l’université d’été du mouvement en 1998 à Perpignan. Je me souviens aussi l’avoir vu pendant la campagne des européennes de 1999. La question de la construction européenne l’intéressait beaucoup et notamment le problème de souveraineté qu’elle entraîne inévitablement. » Le jeune Macron ne prendra cependant jamais sa carte, mais il participera, se souvient Karim Zin el-Abidine, le directeur du cabinet de Sarre, « au groupe municipal de réflexion des chevènementistes, baptisé le Cercle Etienne-Marcel, composé d’intellectuels, de hauts fonctionnaires et jeunes pousses comme lui ».
Alors, pas socialiste, Emmanuel Macron, comme l’a dit Jean-Christophe Cambadélis? Le ministre de l’Economie a coutume de répliquer en s’appuyant sur une citation qu’il attribue à François Mitterrand à la fin des années 1970 : « Personne n’est en situation de donner le brevet de socialisme. C’est le peuple qui le donne. » Dans le même numéro de « l’Obs » publié le 4juin, un sondage réalisé auprès de ce fameux « peuple » accompagnait l’interview de Cambadélis. 55% des sympathisants socialistes interrogés jugeaient que Macron était « insuffisamment à gauche ». Il arrivait en dernière position des sept personnalités de la majorité testées par l’Ifop. C’est que si le militant PS d’hier est invisible, le ministre « social-libéral » d’aujourd’hui, lui, ne se cache pas.