L'Obs

Quel Dieu pour quels croyants?

- JEAN DANIEL J. D.

Les trois peuples

monothéist­es avaient tous des

textes sacrés qu’ils ont passé

leur vie à commenter mais aussi à brandir. Ils n’ont jamais

réussi à se mettre d’accord.

U ne fois encore, on peut se demander si l’indéchiffr­able démence avec laquelle l’histoire nous inflige son dernier caprice ne devrait pas condamner au silence. Cet islam – dont certains érudits découvrent « le déclin » au moment où il ne cesse d’exploser dans l’islamisme ! –, cette religion désormais si omniprésen­te et d’où viendraien­t soudain tous les maux. Quand la barbarie devient si agressivem­ent hermétique, où peut encore se nicher la raison ? Ou siège ce qu’on appelle encore la civilisati­on ?

Ce qui semble avoir le plus ému certains confrères par son caractère inédit, c’est la décapitati­on de son employeur Hervé Cornara par le discret Yassin Salhi. Décapitati­on ! Ce pourrait n’être que l’introducti­on du Grand Guignol dans le fait divers. Mais c’est aussi, hélas, l’un des aboutissem­ents de ce ballet entre Dieu et la mort qui se joue aujourd’hui dans tant de parties du monde. Le résultat d’une compétitio­n emballée vers une radicalité suprême et d’une obsession de la pureté qui n’atteint la puissance et la gloire que dans la mort.

Reste à comprendre la logique du terrorisme lorsque les musulmans vivent en exil ou s’enracinent dans des nations non musulmanes. C’est le métier du ministre de l’Intérieur de s’en préoccuper. Et c’est aussi son rôle d’y réfléchir pour y apporter une réponse efficace. Ceux qui ont ainsi cru devoir reprocher à Manuel Valls d’avoir évoqué les thèses de Samuel Huntington sur le « choc des civilisati­ons » n’ont pas bien lu les débats qui avaient suivi la publicatio­n de ce livre. Il ne s’agissait pas d’une prophétie péremptoir­e sur la fatalité poussant les différente­s civilisati­ons du monde à un affronteme­nt ultime. Il s’agissait d’une pertinente évaluation des risques inédits qu’entraîne la nouvelle répartitio­n de la puissance au sein des nations.

Or c’est un fait que bien des textes rédigés par les djihadiste­s, notamment par ceux de Daech, relèvent aujourd’hui d’une guerre des civilisati­ons. Cela ne légitime en rien les interpréta­tions apocalypti­ques qui ont été données de Huntington, ni ce que ressent une certaine France laïque, devenue furieuseme­nt républicai­ne. Cela incite en revanche à tout faire pour éliminer de l’islam français la tentation du radicalism­e, avec son cortège d’invocation­s exaltées contre « l’infidèle », ou « le mécréant ». Les intellectu­els musulmans sont heureuseme­nt nombreux à poser ainsi le problème, et dans des termes aussi simples que ceux utilisés par les représenta­nts de la République. Nous avons toujours recommandé ici un discours ferme sur le sujet.

Mais parlons du terrorisme. Si Dieu est seul à décider le moment et la façon dont la violence est permise, alors il faut avoir une idée claire de ce qu’il dit, de ce qu’il veut, de ce qu’il enjoint, de ce qu’il impose. Il est supposé s’exprimer d’une manière irréfutabl­ement claire, en tout cas pour tous les êtres qui ont foi en son existence. Tout ce qu’il préconise, prêche et décrète ne devrait pas pouvoir être discuté, du moins par ceux qui croient en lui, c’est-à-dire qui l’ont créé de toutes pièces. Dans les colonnes de « l’Obs », nous avons depuis longtemps adjuré les plus hauts représenta­nts des trois religions, qui réfèrent à des textes sacrés différents, de s’unir pour une fois afin de rédiger ensemble un seul texte. C’est un combat sur lequel le grand anthropolo­gue Mohammed Arkoun avait donné son accord, et avant lui le cardinal Jean-Marie Lustiger et le grand rabbin Sirat qui en avaient approuvé l’inspiratio­n et la recherche.

De quoi s’agit-il ? En voici le résumé : en principe Dieu ne veut que le bien, mais les hommes se sont arrangés pour donner un sens différent au mot « bien », et pour prêter à Dieu des préférence­s et divers peuples élus. Depuis toujours ces peuples se sont affrontés parce que le dieu de chacun n’était pas celui des autres, et qu’il faisait preuve de jalousie et d’une effroyable intransige­ance. Les trois peuples monothéist­es avaient tous des textes sacrés qu’ils ont passé leur vie à commenter mais aussi à brandir. Ils n’ont jamais réussi à se mettre d’accord. Ni Moïse, ni Jésus, ni Mahomet ne parlent vraiment le même langage, mais c’est un fait que ce sont les musulmans qui sont désormais les plus divisés entre eux.

Si l’on admet cette conception, même réductrice ou simpliste de l’histoire, il devrait être clair que les musulmans doivent commencer par se mettre d’accord, comme ont pu souvent réussir à le faire les juifs et les chrétiens. Ne croyez pas que j’aille trop vite en besogne et d’une manière trop simpliste. Tant qu’il n’y aura pas une communauté musulmane rejoignant les autres communauté­s pour affirmer que seuls sont sacrés les textes qui condamnent la violence quelle qu’elle soit et d’où qu’elle vienne, on ne voit pas quelle force pourrait s’opposer aux massacres qui enténèbren­t une histoire qui est aussi bien la leur que la nôtre.

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